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Critiques de Pierre-Henry Gomont (293)
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Pereira prétend (BD)

Ma lecture récente de « Slava », une histoire de la Russie « après la chute » belle découverte dont pour l’instant il faut attendre la suite, m’a donné envie de découvrir d’autres réalisations de Pierre Henry Gomont, volume disponible dans ma médiathèque.

Ouah !

Quelle belle adaptation d’un roman éponyme que j’ai envie de découvrir maintenant.

Le Portugal dans les années 1930, un pays pas encore européen, un pays où règne la censure, la dictature et les meurtres qui vont avec au nom de la patrie.

L’Allemagne est en proie avec la montée du fascisme, l’Espagne est en proie avec la guerre civile, la France s’interroge sur les positions qu’elle doit prendre vis à vis de ses voisins.

Pereira lui ne fait pas de politique, il vit dans son passé, pour se replonger dans ses souvenirs … il est indifférent à ceux qui l’entoure … il est seul … seul avec la littérature … il attend que ça s’arrête.

Un roman graphique qui nous montre que vivre …

C’est choisir son camp …

C’est choisir parmi notre propre confédération des âmes (1), l’âme qui doit diriger notre vie …

C’est aussi découvrir un texte considéré comme révolutionnaire, un des contes du lundi d’Alphonse Daudet, « la dernière classe » (2) …

C’est se demander faut il … Écrire avec la tête ? … ou écrire avec le cœur ?



(1)

La Confédération des âmes est un principe philosophique élaboré par Théodule Ribot et Pierre Janet : deux philosophes faisant partie d'un mouvement de pensée : les médecins philosophes.

La théorie prétend que chaque homme n'a non pas une seule âme, comme le prétendent les religions monothéistes, mais une multiplicité. Ces différentes âmes sont régies par une âme "reine", appelée âme hégémonique.

La théorie s'appuie sur le fait que nous avons tous une infinité de désirs et de réactions par rapport au monde, et qu'il serait illusoire et trop simple de croire que l'âme soit unique.

Ces âmes multiples seraient en combat permanent, et ce tiraillement permettrait de stabiliser nos réactions et nos désirs. Chaque homme doit trouver une âme hégémonique adéquate.



(2)

LA DERNIÈRE CLASSE

(récit d’un petit alsacien)

Ce matin-là, j’étais très en retard pour aller à l’école, et j’avais grand-peur d’être grondé, d’autant que M. Hamel nous avait dit qu’il nous interrogerait sur les participes, et je n’en savais pas le premier mot. Un moment l’idée me vint de manquer la classe et de prendre ma course à travers champs.

Le temps était si chaud, si clair !

On entendait les merles siffler à la lisière du bois, et dans le pré Rippert, derrière la scierie, les Prussiens qui faisaient l’exercice. Tout cela me tentait bien plus que la règle des participes ; mais j’eus la force de résister, et je courus bien vite vers l’école.

En passant devant la mairie, je vis qu’il y avait du monde arrêté près du petit grillage aux affiches. Depuis deux ans, c’est de là que nous sont venues toutes les mauvaises nouvelles, les batailles perdues, les réquisitions, les ordres de la commandature ; et je pensai sans m’arrêter :

« Qu’est-ce qu’il y a encore ? »

Alors, comme je traversais la place en courant, le forgeron Wachter, qui était là avec son apprenti en train de lire l’affiche, me cria :

« Ne te dépêche pas tant, petit ; tu y arriveras toujours assez tôt à ton école ! »

Je crus qu’il se moquait de moi, et j’entrai tout essoufflé dans la petite cour de M. Hamel.

D’ordinaire, au commencement de la classe, il se faisait un grand tapage qu’on entendait jusque dans la rue : les pupitres ouverts, fermés, les leçons qu’on répétait très haut, tous ensemble, en se bouchant les oreilles pour mieux apprendre, et la grosse règle du maître qui tapait sur les tables :

« Un peu de silence ! »

Je comptais sur tout ce train pour gagner mon banc sans être vu ; mais, justement, ce jour-là, tout était tranquille, comme un matin de dimanche. Par la fenêtre ouverte, je voyais mes camarades déjà rangés à leurs places, et M. Hamel, qui passait et repassait avec la terrible règle en fer sous le bras. Il fallut ouvrir la porte et entrer au milieu de ce grand calme. Vous pensez, si j’étais rouge et si j’avais peur !

Eh bien, non ! M Hamel me regarda sans colère et me dit très doucement :

« Va vite à ta place, mon petit Franz ; nous allions commencer sans toi. »

J’enjambai le banc et je m’assis tout de suite à mon pupitre. Alors seulement, un peu remis de ma frayeur, je remarquai que notre maître avait sa belle redingote verte, son jabot plissé fin et la calotte de soie noire brodée qu’il ne mettait que les jours d’inspection ou de distribution de prix. Du reste, toute la classe avait quelque chose d’extraordinaire et de solennel. Mais ce qui me surprit le plus, ce fut de voir au fond de la salle, sur les bancs qui restaient vides d’habitude, des gens du village assis et silencieux comme nous : le vieux Hauser avec son tricorne, l’ancien maire, l’ancien facteur, et puis d’autres personnes encore. Tout ce monde-là paraissait triste ; et Hauser avait apporté un vieil abécédaire mangé aux bords, qu’il tenait grand ouvert sur ses genoux, avec ses grosses lunettes posées en travers des pages.

Pendant que je m’étonnais de tout cela, M. Hamel était monté dans sa chaire, et de la même voix douce et grave dont il m’avait reçu, il nous dit :

« Mes enfants, c’est la dernière fois que je vous fais la classe. L’ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l’allemand dans les écoles de l’Alsace et de la Lorraine… Le nouveau maître arrive demain. Aujourd’hui, c’est votre dernière leçon de français. Je vous prie d’être bien attentifs. »

Ces quelques paroles me bouleversèrent. Ah ! les misérables, voilà ce qu’ils avaient affiché à la mairie.

Ma dernière leçon de français !…

Et moi qui savais à peine écrire ! Je n’apprendrais donc jamais ! Il faudrait donc en rester là ! Comme je m’en voulais maintenant du temps perdu, des classes manquées à courir les nids ou à faire des glissades sur la Saar ! Mes livres que tout à l’heure encore je trouvais si ennuyeux, si lourds à porter, ma grammaire, mon histoire sainte, me semblaient à présent de vieux amis qui me feraient beaucoup de peine à quitter. C’est comme M. Hamel. L’idée qu’il allait partir, que je ne le verrais plus, me faisait oublier les punitions, les coups de règle.

Pauvre homme !

C’est en l’honneur de cette dernière classe qu’il avait mis ses beaux habits du dimanche, et, maintenant, je comprenais pourquoi ces vieux du village étaient venus s’asseoir au bout de la salle. Cela semblait dire qu’ils regrettaient de ne pas y être venus plus souvent, à cette école. C’était aussi comme une façon de remercier notre maître de ses quarante ans de bons services, et de rendre leurs devoirs à la patrie qui s’en allait…

J’en étais là de mes réflexions, quand j’entendis appeler mon nom. C’était mon tour de réciter. Que n’aurais-je pas donné pour pouvoir dire tout au long cette fameuse règle des participes, bien haut, bien clair, sans une faute ! mais je m’embrouillai aux premiers mots, et je restai debout à me balancer dans mon banc, le cœur gros, sans oser lever la tête. J’entendais M. Hamel qui me parlait :

« Je ne te gronderai pas, mon petit Franz, tu dois être assez puni… Voilà ce que c’est. Tous les jours on se dit : Bah ! j’ai bien le temps. J’apprendrai demain. Et puis tu vois ce qui arrive… Ah ! ç’a été le grand malheur de notre Alsace de toujours remettre son instruction à demain. Maintenant ces gens-là sont en droit de nous dire : Comment ! Vous prétendiez être Français, et vous ne savez ni parler ni écrire votre langue !… Dans tout ça, mon pauvre Franz, ce n’est pas encore toi le plus coupable. Nous avons tous notre bonne part de reproches à nous faire.

« Vos parents n’ont pas assez tenu à vous voir instruits. Ils aimaient mieux vous envoyer travailler à la terre ou aux filatures pour avoir quelques sous de plus. Moi-même, n’ai-je rien à me reprocher ? Est-ce que je ne vous ai pas souvent fait arroser mon jardin au lieu de travailler ? Et quand je voulais aller pêcher des truites, est-ce que je me gênais pour vous donner congé ?… »

Alors, d’une chose à l’autre, M. Hamel se mit à nous parler de la langue française, disant que c’était la plus belle langue du monde, la plus claire, la plus solide : qu’il fallait la garder entre nous et ne jamais l’oublier, parce que, quand un peuple tombe esclave, tant qu’il tient bien sa langue, c’est comme s’il tenait la clef de sa prison[1]… Puis il prit une grammaire et nous lut notre leçon. J’étais étonné de voir comme je comprenais. Tout ce qu’il disait me semblait facile, facile. Je crois aussi que je n’avais jamais si bien écouté, et que lui, non plus, n’avait jamais mis autant de patience à ses explications. On aurait dit qu’avant de s’en aller le pauvre homme voulait nous donner tout son savoir, nous le faire entrer dans la tête d’un seul coup.

La leçon finie, on passa à l’écriture. Pour ce jour-là, M. Hamel nous avait préparé des exemples tout neufs, sur lesquels était écrit en belle ronde : France, Alsace, France, Alsace. Cela faisait comme des petits drapeaux qui flottaient tout autour de la classe, pendus à la tringle de nos pupitres. Il fallait voir comme chacun s’appliquait, et quel silence ! On n’entendait rien que le grincement des plumes sur le papier. Un moment des hannetons entrèrent ; mais personne n’y fit attention, pas même les tout petits qui s’appliquaient à tracer leurs bâtons, avec un cœur, une conscience, comme si cela encore était du français… Sur la toiture de l’école, des pigeons roucoulaient tout bas, et je me disais en les écoutant :

« Est-ce qu’on ne va pas les obliger à chanter en allemand, eux aussi ? »

De temps en temps, quand je levais les yeux de dessus ma page, je voyais M. Hamel immobile dans sa chaire et fixant les objets autour de lui, comme s’il avait voulu emporter dans son regard toute sa petite maison d’école… Pensez ! depuis quarante ans, il était là, à la même place, avec sa cour en face de lui et sa classe toute pareille. Seulement les bancs, les pupitres s’étaient polis, frottés par l’usage ; les noyers de la cour avaient grandi, et le houblon qu’il avait planté lui-même enguirlandait maintenant les fenêtres jusqu’au toit. Quel crève-cœur ça devait être pour ce pauvre homme de quitter toutes ces choses, et d’entendre sa sœur qui allait, venait, dans la chambre au-dessus, en train de fermer leurs malles ! car ils devaient partir le lendemain, s’en aller du pays pour toujours.

Tout de même, il eut le courage de nous faire la classe jusqu’au bout. Après l’écriture, nous eûmes la leçon d’histoire ; ensuite les petits chantèrent tous ensemble le ba be bi bo bu. Là-bas, au fond de la salle, le vieux Hauser avait mis ses lunettes, et, tenant son abécédaire à deux mains, il épelait les lettres avec eux. On voyait qu’il s’appliquait, lui aussi ; sa voix tremblait d’émotion, et c’était si drôle de l’entendre, que nous avions tous envie de rire et de pleurer. Ah ! je m’en souviendrai de cette dernière classe…

Tout à coup l’horloge de l’église sonna midi, puis l’Angelus. Au même moment, les trompettes des Prussiens qui revenaient de l’exercice éclatèrent sous nos fenêtres… M. Hamel se leva tout pâle, dans sa chaire. Jamais il ne m’avait paru si grand.

« Mes amis, dit-il, mes amis, je… je… »

Mais quelque chose l’étouffait. Il ne pouvait pas achever sa phrase.

Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie et, en appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu’il put :



« VIVE LA FRANCE ! »



Puis il resta là, la tête appuyée au mur, et, sans parler, avec sa main, il nous faisait signe :

« C’est fini… allez-vous-en. »
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Slava, tome 1 : Après la chute

Dimitri et Slava, l'un trafiquant, l'autre artiste, deviennent chasseurs d’œuvres, d'objets d'art dans une URSS qui vient de vivre ses derniers instants ; l'un, parce que c'est son fonds de commerce, le trafic, peu importe de quoi, l'autre, parce qu'il ne trouve plus sens à l'art qu'il produisait avant la chute du régime soviétique - et parce qu'il doit quelque chose à Dimitri, accessoirement. Alors qu'ils ont justement repéré un bâtiment abandonné dans lequel certaines pièces sont d'un intérêt commercial, les choses ne vont pas du tout se passer comme prévu pour nos deux compères...



Par l'intermédiaire d'une aventure menée tambour battant, parfois comique, souvent tragique, aux graphismes symbolisant à la perfection cet entre-deux selon les scènes et les personnages, Pierre-Henry Gomont nous conte un moment-charnière de l'Histoire de la Russie, quand elle est justement redevenue la Russie, par l'histoire de deux anti-héros, l'un d'un cynisme éhonté, l'autre d'un désabusement d'idéaliste qui n'a plus la foi en rien, et des nombreux personnages qui gravitent autour d'eux, symbolisant quant à eux les différentes postures face à l'effondrement de l'URSS : acceptation, révolte, nettoyage de ceux qui ont trahi avant, ou qui trahissent désormais.



Et par l'intermédiaire de cette histoire particulièrement vivante et palpitante, qui pourrait paraître de prime abord d'une grande légèreté malgré le contexte - les graphismes aussi y jouent pour beaucoup - l'on entre de plein fouet, avec Dimitri et Slava, dans toute la noirceur de cette période.



Une BD que j'ai en somme appréciée, et dont je lirai avec plaisir la suite. Je remercie les éditions Dargaud et NetGalley de m'en avoir permis la découverte.



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Slava, tome 1 : Après la chute

Slava et Lavrine sont deux escrocs, spécialisés dans le vol des reliques et vestiges soviétiques laissés à l'abandon dans les campagnes Russes. Slava est un peintre qui ne peut plus vivre de sa plume, il est inexpérimenté et fait confiance à Lavrine pour écouler la marchandise. Après un vol particulièrement lucratif, ils se font courser par d'autres trafiquants et sont sauvés par Nina. Pour aider Nina en retour, à sauver l'usine qui fait vivre son village, ils vont tenter un coup qui risque de s'avèrer plus dangereux que prévu.

Cette bande dessinée a été écrite avant la guerre en Ukraine.

J'ai bien aimé cette bande dessinée même je n'ai pas accroché avec les dessins et les couleurs. Le trait de crayon est simple, réaliste mais les couleurs sont froides et ternes.

Les traits de caractère des personnages sont marqués et travaillés. Lavrine est agaçant au possible, le père de Nina m'a bien fait rire.

L'ambiance de cette bande dessinée est froide, glauque, on plonge au sein du milieu de la pègre slave.

Je me suis laissée embarquée par les aventures de Slava et je lirai volontiers la suite.
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Slava, tome 1 : Après la chute



Session roman graphique. Pas n'importe lequel, puisqu'il s'agit d'un titre qui a fait parler de lui, qui a même été conseillé par Le libraire se cache, célèbre sur Twitter, qu'il a été mis à l'honneur par Babelio le mois dernier, Slava - Après la chute. L'auteur, Pierre-Henry Gomont, scénariste, dessinateur et coloriste, a publié le premier tome d'une trilogie dont il me tarde de lire les deux prochains tomes. Auteur reconnu et primé, Pierre-Henry Gomont a fait plusieurs séjours en Russie, Dargaud, l'éditeur, explique que La fin de l'homme rouge de Svetlana Alexievitch a été l'une de ses inspirations. Mais également les mines de Chiatura qui se trouvent en Géorgie et qui fut l'une des plus grandes exploitations de manganèse au monde. Slava est l'œuvre d'un idéaliste désenchanté, un utopiste revenu brusquement les pieds sur terre lorsque l'idéologie communiste soviétique s'est révélée être une dictature. Et qui a laissé place à une Russie, comme à d'autres anciennes RSS, l'Ukraine et la Géorgie pour ne citer qu'elles, sucée jusqu'au sang par les vautours qui se réclamaient de ce tout nouveau capitalisme.



En couverture : Slava Segalon, le protagoniste éponyme des trois tomes, accompagné de Lavrine, commercial, marchand, trafiquant, escroc, pilleur un peu tout à la fois. Slava est un artiste, un peintre talentueux, mais le vent a tourné, l’URSS n'existe plus et sa peinture, engagée contre le pouvoir en place d'alors, n'a plus aucun sens pour lui. Pour survivre, il espère prendre la relève de Lavrine, qui s'en sort en monnayant les ruines soviétiques laissées à l'abandon. Le roman s'ouvre sur les deux hommes en train de récupérer vitraux et lustre somptueux vendus à peine à la moitié de leur valeur à un gouverneur corrompu parmi d'autres. Prenant la route, chargés de leur marchandise, les choses ne se passent pas comme prévu, et en plein milieu des montagnes caucasiennes, leur convoi est attaqué par un équipage d'hommes armés, évidemment, nous sommes en Russie. Perdus dans le Caucase, alors que Slava est simplement vêtu d'un léger blouson de sky, qui en dit long sur sa capacité à devenir un autre Lavrine, ils sont sauvés par Nina, qui ramène ce drôle de duo de bras cassé chez elle dans un ancien complexe minier. Rebelote, Lavrine, toujours le dollar dans l’œil, y voit une énième opportunité de se faire de l'argent.



Pierre-Henry Gomont en fait part dans son introduction, il a lui-même fait plusieurs séjours en Russie, de cette page de l'histoire, la transition de l'état soviétique à la fédération russe, ou la privatisation en masse a vu ses profiteurs, de ceux qui en sont devenus millionnaires à se gaver d'un patrimoine national, ou pour survivre les plus retors, les moins susceptibles au remord ont entrepris de piller méthodiquement les vestiges et le mobilier plein de valeurs d'un pays qui veut se détacher de son passé. Tout est bon à prendre, tout est bon à piller. C'est d'ailleurs en partie l'objet du roman de Renaud S. Lyautey La baignoire de Staline avec une situation identique en Géorgie, le pays voisin, aussi riche en ruines soviétiques, dont les thermes de la ville natale de Staline.



C'est un roman graphique très divertissant, ancré dans un contexte qui m’intéresse particulièrement, j'ai eu un coup de cœur pour les cases illustrant les paysages caucasiens et qui rendent hommage à la beauté des paysages concernés. La dynamique du duo de personnages Slava-Lavrine, le plus jeune grand et dégingandé, l’aîné, petit et bien en chair, le premier plutôt idéaliste, malgré l'afflux de désillusions, et totalement crédule, avec un bon fond, le second, fourbe, aigrefin et vénal. Les deux briscards se complètent bien et forment le genre de duo dont la dimension comique n'a d'égal qu'à la dimension dramatique, qui révèle une réalité bien moins reluisante que les hauts sommets du Caucase. Des travailleurs, des ouvriers, des mineurs qui ont voué leur vie à leur travail se retrouvent, à la chute de l'URSS, dépouillés de leurs outils de travail, ici la mine, ses machines hors de prix, et de la matière même qu'ils exploitent à coup de pioche et d'années d’espérance de vie en moins, pour manger à la fin du mois. Dépouillés par les mêmes rapaces, fruits pourris de ce nouveau capitalisme émergeant, qui pressent tout et tous jusqu'à la moelle. Derrière l'humour des scènes, des personnages un peu caricaturaux, des dialogues, se cachent une forme certaine de cynisme tout à fait russe. On y retrouve ces méchants toujours plus sardoniques les uns que les autres, Slave et Lavrine, issue de cette mine, détonnent dans ce monde totalement obscurci par l’appât du gain. Je le disais plus haut, au point de vue graphique, des cases entières s'étendent sur toute la largeur de la page, laissant davantage de marge pour proposer des scènes plus détaillées, plus explicitées, car le décor dans ce roman graphique est aussi important que l'action. Des illustrations qui ravissent l’œil, des dialogues savoureux, un contexte particulièrement bien renseigné et tout autant exploité, j'ai également été amusée par les nombreuses onomatopées en cyrilliques, qui dès lors qu'on peut les déchiffrer, rajoutent une petite pointe d'humour bienvenue.



C'est avec plaisir que je lirai la suite des aventures de Slava et voir sur quelle thématique Pierre-Henry Gomont va bien pouvoir baser sa créativité. Mais compte tenu de la configuration de la société russe, cela lui laisse une certaine amplitude devant lui, les sujets ne manquent pas. Le roman graphique, même s'il est parfois obligé de grossir le trait, en particulier des personnages, de par ses illustrations, donne une vision moins terrible de l'histoire qu'il nous conte, et j'avoue qu'il permet de faire une petite coupure appréciable et agréable, entre deux romans. De quoi regretter de ne pas m'être intéressée au genre bien avant.
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Slava, tome 1 : Après la chute

Bande dessinée très sympathique qui raconte cette période adorée des occidentaux pendant laquelle ce grand pays voisin était dépecé de toutes parts, de l'intérieur comme de l'extérieur, par tous les mafieux du monde, ceux qu'on qualifie d'oligarques là-bas et de capitaines d'industrie ici car ils portent bien et délèguent le sale boulot plus discrètement.

On suit dans cette bande dessinée des petits joueurs, un arnaqueur de pacotille et un artiste maudit en prise avec la grande histoire du pays, celle qui voit un peuple fier de ses usines et de ses mines aux prises avec la chute du système soviétique à bout de souffle.

Les personnages sont caricaturaux à souhait, ce qui les rend potentiellement attachants. A différents degrés selon son orientation politique et sa perception de l'histoire de la Russie...

Les dessins sont du pur Pierre-Henry Gomont, donnant l’illusion de simplicité et de naïveté, mais réussissant des compositions remarquables. Il joue habilement avec les couleurs et les volumes pour créer une atmosphère qui rend parfaitement le gigantisme de la Russie et de son architecture soviétique.

Un bémol : son introduction. Je trouve personnellement dommage qu’il sente le besoin de se justifier de nous proposer une bande dessinée sur la Russie.



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Slava, tome 1 : Après la chute

Slava . Tome 1 Apres la chute de Pierre Henry Gomont.



Les années 1990, l'URSS a éclaté, Slava artiste peintre engagé a perdu son aura avec la chute du mur. Il n'avait plus rien à combattre dans ses peintures. Il a suivi alors Lavrine magouilleur de haute voltige qui profite de l'effondrement du bloc soviétique pour investir les lieux des anciens pontes et revendre tout ce qui peut l'être : Marbre, bois précieux, machines industrielles. Mais a-t-il l'envergure pour faire face aux malfrats qui se multiplient face aux nombreuses aubaines offertes par un pays déboussolé ?



Ses affaires virent aux vinaigres et Slava va tenter de prendre son indépendance pour aider Nina qui représente ce peuple Russe qui tente de survivre et n'aspire qu'à travailler.



Les personnages sont bien campés. Le scénario exprime vraiment la période de flottement de l'après bloc soviétique.  L'auteur dans une préface explique le pourquoi de cette BD écrite avant les événements terribles générés par Vladimir Poutine.



Les planches pâles font ressortir les plaines Slaves hivernales. La mise en couleur en aquarelle donne de la puissance aux traits du dessin.



J'ai particulièrement aimé le personnage de Volodia, truculent à souhait et sans barrière.  Car malgré le sujet grave, il y a de l'humour dans cette BD qui est le 1er tome d'une série de 3. Hâte de lire la suite.



&&&&



#slava #pierrehenrygomont #bd #aprèslachute #Russie #URSS 



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Slava, tome 1 : Après la chute

Je peux commencer comme l’auteur … « comme bon nombre de mes congénères, j’ai été fasciné par l’expérience communiste, l’idéal égalitaire et communautaire qu’elle portait, et horrifié par sa déclinaison pratique ».

J’ai constaté comme l’auteur … « libérée du joug communiste, la Russie est livrée au capitalisme le plus sauvage ; l’idéal égalitaire (dévoyé par le parti des les premières heures du communisme, mais cher au cœur de la population) n’est remplacé par rien ».

Je cherche comme l’auteur à comprendre pourquoi les russes ont amené au pouvoir un homme brutal élevé aux méthodes du KGB ?

Alors il me reste à lire, à découvrir ce qui s’écrit, ce que d’autres ont cru comprendre.



Cette fresque de la Russie des années 90,

Quand tout s’est écroulé et quand le peuple s’est retrouvé face au grand chamboulement… où sont nos valeurs d’autrefois ? … où est le chemin à suivre maintenant sans grand guide pour nous éclairer ? …

L’auteur nous propose un simple tableau de l’état de la société.

Le texte est clair, (bien que le choix de la police de caractères ne facilite pas la lecture pour nos yeux fatigués), intelligent et sert de fil rouge pour la compréhension des événements.

Le dessin est soigné, élégant, permettant avec économie de nous faire ressentir l’atmosphère des scènes.

Une grande réussite … un regret … il va falloir attendre pour découvrir la suite !
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Slava, tome 1 : Après la chute

Le résumé m'avait apaté et pourtant j'avoue ne pas avoir été séduite par l'histoire. En effet, j'ai eu du mal à rentrer dans l'intrigue de Slava. En effet, j'ai eu une sensation de longueur tout au long de ma lecture et je déplore un vrai manque de rythme.

Quant aux illustrations, elles n'ont pas su me séduire. Cela fourmille de toute part et je n'ai pas su où regarder. J'ai également trouvé les couleurs plutôt fades.

En somme, je n'ai pas du tout été séduite par ma lecture.
Lien : https://www.instagram.com/au..
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Slava, tome 1 : Après la chute

Premier tome de ce qui s'annonce être une trilogie, Pierre-Henry Gomont mêle habillement fiction, Histoire et humour pour nous conter les aventures de Dimitri Lavrine et son acolyte Slava Legalov qui, dans la Russie des années 90 vont profiter de l'arrivée du capitalisme pour s'enrichir, enfin, essayer.

L'auteur réussi avec talent à nous présenter cette société russe postsoviétique et par quelques flashbacks, il revient sur la 'URSS communiste et ses désillusions. Un album intéressant à lire.
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Pereira prétend (BD)

Depuis que j’ai lu « Malaterre », Pierre-Henry Gomont fait partie des auteurs que je suis assidûment. J’ai découvert un auteur avec un style à lui, mais pourtant des projets aux univers différents. Je m’offre un petit retour en arrière avec « Pereira prétend », peut-être l’album où il s’est finalement trouvé graphiquement. Adaptation d’un roman d’Antonio Tabucchi (que je n’ai pas lu), l’ouvrage pèse près de 150 pages et est publié chez Sarbacane.



Pereira est portugais. Alors que la dictature sévit, il travaille dans un journal catholique et s’occupe de la page culturelle. Après avoir lu un article d’un jeune étudiant en philosophie, il contacte ce dernier pour le rencontrer. Va s’ensuivre alors une série d’événement que Pereira provoque sans parvenir à s’en défaire. D’abord, il propose, sans en parler à sa direction, que l’étudiant écrive des nécrologies pour son journal. Or, ces nécrologies engagées, vont mettre en danger Pereira et le faire vaciller.



Pierre-Henry Gomont reprend le concept littéraire de « Pereira prétend ». Ainsi, la narration commence régulièrement par cette phrase, comme pour mettre en doute le récit lui-même, ce qu’aurait dit, pensé ou fait le personnage. Dans le contexte d’un pays où les actes et la pensée sont contrôlés et surveillés, cela apporte une force au texte. Ainsi, la narration est très présente. Je ne suis habituellement pas fan de ce procédé lors des adaptations d’œuvres littéraires, mais cela fait partie du langage de Gomont.



L’ouvrage est long. Il permet à la pensée de Pereira d’évoluer lentement. Pas de grand changement, de retournement de situation. Tout paraît très naturel : une influence de deux jeunes gens, de l’empathie simplement, une envie de ne plus ignorer et se voiler la face. Pereira n’est pas un révolutionnaire, il ne vit qu’à moitié depuis la mort de sa femme. Mais face aux événements, il est bien obligé d’agir. Cet homme difforme, détruit, asocial, nous paraît soudain sympathique dans ses travers. En cela, l’ouvrage est parfaitement réussi.



Graphiquement, le trait de Gomont, dynamique et expressif, marche parfaitement. Les pages sont pleines de cases, la narration maîtrisée. C’est beau et efficace à la fois. Les couleurs sont également une réussite, souvent dans les tons ocres du Portugal avec quelques entorses pour les scènes de nuit. C’est le Gomont d’aujourd’hui dans son trait, on le reconnaît parfaitement.



« Pereira prétend » est un ouvrage réussi. Les personnages sont vivants, crédibles et Pereira lui-même est particulièrement crédible. La montée en tension dans le livre se fait lentement, mais inexorablement. Gomont maîtrise son rythme et nous emporte jusqu’à la fin. Du beau travail.


Lien : https://blogbrother.fr/perei..
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Slava, tome 1 : Après la chute

Je découvre cet auteur. Ce qui m'a attirée c'est, avant tout, le cadre de l'histoire (la Russie) et l'époque (post-communiste).

Graphisme et couleurs valorisent certes l'intrigue. Mais si le texte introductif explique bien les intentions de l'auteur, les péripéties maffieuses des personnages sont pour moi seulement divertissantes. Je n'y ai pas appris grand chose.

Oui, les onomatopées sont "traduites" en alphabet cyrillique, oui les personnages sont bien caricaturés ou caricaturaux, oui l'humour ne manque pas mais... c'est tout.
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Slava, tome 1 : Après la chute

Slava c’est l’histoire d’un jeune peintre un peu désœuvré qui assiste à la fin de son monde , la fin de l’URSS .

Période troublée où tout est permis , où on passe d’un système communiste verrouillé à l’anarchie la plus complète , période qui va voir la naissance très mal vue par les personnes plus âgées des nouveaux riches, qui vont faire fortune en pillant le pays sans vergogne .

Une triste période où la loi du plus fort domine , où tous les excès sont permis , pillages de bâtiments sans état d’âme .

Dans tous les cas , c’est le peuple qui trinque .

Très belle évocation de l’époque des années 90 .

Merci aux éditions Dargaud et à #netgalley .

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Slava, tome 1 : Après la chute

Pierre-Henry Gomont est notamment connu pour ses remarquables one-shot que sont Perreira Pretend et Malaterre , deux romans graphiques inspirés portés par une certaine exigence littéraire et un sens graphique immersif dévoilant une galerie de personnages foncièrement imparfaits mais ô combien humain. Précisons qu'avant d'entamer sa carrière de dessinateur, Mr. Gomont était sociologue ce qui explique sans doute son amour pour des personnages à la fois ancrés et détachés dans une société imposée.



Avec Slava tome 1, le dessinateur se lance pour la première fois dans une série qui se déroule dans la Russie au début des années 90, juste après la chute du bloc soviétique. Dans cette période complexe où les russes se retrouvent subitement propulsés dans le monde capitaliste, nous suivons les manigances de deux roublards en quête de richesse : Slava, un ancien artiste déchu et Lavrine , un escroc-rapilleur de première qui passe son temps à écumer les vestiges de la Russie soviétique pour les revendre au plus offrant.



Alors qu'ils pillent un vieux batiment luxueux perdu dans les montagnes du Caucasse, notre duo de compère se heurte à la hargne d'une bande de pillards. Heureusement, Nina, une minière aguerrie à la dureté du climat, leur sauve la mise. Peu après, ils apprennent que la mine qui alimentait la communauté de Nina est voué au rachat par un oligarque russe peu scrupuleux signant par la même occassion le chomage forcé pour ce petit peuple de travailleurs encore influencés par les valeurs communistes. L'un d'eux , ayant pris connaissance du talent de "marchandage " de Lavrine décide de faire appel à nos compères pour court-circuiter ce rachat.



Mais, dans une Russie pris en étau entre son effondrement communiste et l'impulsion du capitalisme, les motivations des hommes demeurent bien incertaines, à commencer par celle de Slava et surtout de l'impétueux et égoiste Lavrine qui entraine Nina et son golgoth de père Volodia dans les abymes rutillantes du capitalisme made in Moscou...



Slava est un polar finement écrit sous un cadre politique et social parfaitement relevé et épineux. Sans nous noyer dans la noirceur, Pierre-Henry Gomont nous plonge dans les blancheurs hivernales et traites d'une Russie dont le peuple est la première victime des remous de l'Histoire.



Mais en resserrant son intrigue autour d'une poignée de personnages bien spécifiques, Pierre-Henry Gomot délivre davantage qu'un simple thriller politico-historique. Nous avons affaire à des personnages qui tentent de survivre tant bien que mal que ce soit pour des raisons purement égoistes ou pour aider le peuple. Slava, l'artiste déchu, est un antihéros tiraillé par son accointance avec l'opportuniste Lavrine et sa relation avec Nina qui représente les travailleurs russes mises à l'écart par l'oligarchie. Slava peut se lire comme un polar au rythme effrénné , une qualité d'autant plus mise en valeur par le style fluide de l'auteur et une bonne utilisation de l'humour.



Ce premier tome de Slava ne s'enfonce jamais dans le pathos grâce aux dialogues très vivants , un dessin fluide entre sens de la caricature et une grande utilisation d'onomatopées écrits en alphabet russe sans compter les petites pensées des personnages qui sont définis non pas par du texte mais bien par du dessin. Cela donne donc un contenu très vivant qui offre un bon mélange de légereté dans la lecture et de gravité (les morts sont comptés ) dans cette fiction qui oppose capitalisme et prolétariat.



Pour sa première série, Pierre-Henry Gomont publie une oeuvre d'excellente facture qui apporte un regard dynamique et sans jugement sur la Russie après la chute à travers une poignée de personnages haut en couleurs qui se débattent entre deux mondes. Avec un mélange intelligent d'humour et de gravité, le dessinateur délivre une oeuvre attachante grâce à son style inimitable.



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Slava, tome 1 : Après la chute

Connu pour ses adaptations de romans (« Les nuits de Saturne » et le multi primé « Pereira prétend »), son album partiellement autobiographique « Malaterre » et son récit déjanté inspiré d'une anecdote bien réelle « La fuite du cerveau », Pierre-Henry Gomont revient aux éditions Dargaud et se lance pour la première fois dans une série !

Premier tome d'une trilogie, « Slava : après la chute »se déroule dans un contexte inattendu et met en scène une époque et un lieu que nous connaissons mal : la Russie - non pas celle de Poutine dont on entend bien trop parler, hélas, - mais celle des années Eltsine où les repères vacillèrent par suite d'une transition trop violente après la chute soudaine de l'URSS. « Libérée du joug communiste, la Russie est livrée en pâture au capitalisme sauvage » écrit-il dans sa préface. L'auteur nous surprend donc une fois de plus en se renouvelant. Il lance comme boutade qu'une « BD sur l'ex-URSS c'est un suicide commercial » et avant de le lire, on serait également tenté de le penser ! Comment donc parvient-il à nous faire changer d'avis ?



PETITE LEÇON D'ECONOMIE



Pierre Henry Gomont a fait des études d'économie et de sociologie et s'en sert dans cet album. En dix ans, les Russes et tous les membres de l'ex-URSS ont vécu une transition d'une violence inouïe qui s'est étalée sur plus d'un siècle chez nous, ce que le bédéaste appelle « un précipité du monde moderne ». « L'arrivée du capitalisme dans un pays pas préparé » lui a donc semblé être « un matériau romanesque passionnant ». C'est l'argument principal du roman : comment des conceptions antithétiques (celles communistes de Nadia, capitalistes de Lavrine et plus nuancées de Volodia et Slava) vont s'affronter pour le devenir de la mine.



Mais la leçon d'économie du professeur Gomont est dispensée de façon extrêmement légère et graphique. Ainsi quand dans le premières pages Lavrine explique à son jeune apprenti Slava les tenants et aboutissants du nouveau monde capitaliste qui s'ouvre à eux, tout passe dans la fluidité du dialogue. de même, pour faire comprendre aux mineurs et au lecteur, le tour de passe-passe auquel se livrent les oligarques lors du rachat d'entreprises en faillite avec la vente des actifs, le dessinateur crée une pleine page explicative et graphique dans laquelle Dimitri expose les manigances de façon pédagogique. Des concepts compliqués sont ainsi transmis au lecteur dans une double énonciation de manière ludique et claire, sans parasiter pour autant la narration, comme dans le film « The Big shot » que l'auteur cite comme modèle.



L'OeIL DU SOCIOLOGUE



Mais plus encore que l'économie, c'est la sociologie qu'il convoque. En effet, lors de ses études d'économie on lui avait présenté les choses de façon extrêmement monolithique : la chute de l'URSS était une bénédiction car elle permettait la libéralisation de l'économie et la libération des peuples. Or, quand il a beaucoup voyagé dans les pays d'Europe centrale durant sa jeunesse et même travaillé là-bas, il a ressenti une nostalgie pour la grandeur perdue et il a lu ensuite les ouvrages de la prix Nobel Svetlana Alexievitch dont le plus connu « La fin de l'homme rouge » retrace ce moment charnière de la fin de l'URSS. Donc, il a voulu témoigner de cela et éviter le manichéisme.



Ce refus va jusque dans sa présentation de l'architecture soviétique : il combat l'idée reçue qu'en URSS l'architecture était monolithique et montre la finesse de l'art dans les vitraux abstraits et colorés ou les lustres arachnéens. Il souligne la splendeur de la nouvelle liturgie du peuple qui a remplacé la liturgie religieuse dans les maisons du peuple telle celle que dépècent les héros à l'ouverture. le livre est extrêmement documenté, HP Gomont a refait un voyage de repérage en Géorgie et confie volontiers qu'il aurait souhaité être architecte s'il n'avait été auteur.



Cette volonté de neutralité se retrouve aussi dans le portrait assez acide du héros éponyme : peintre qui, pour avoir fondé sa carrière sur l'opposition au régime soviétique, se retrouve décoté après la chute de ce dernier. Cette anecdote permet une légère satire des artistes engagés prosélytes tout en donnant un mode d'emploi de l'écriture « sociologique » de l'album. Gomont met en scène divers personnages qui incarnent différentes attitudes possibles et ne prend pas parti. Il utilise d'ailleurs la voix off, celle de Slava, pour rendre à travers le prisme de son regard, sympathique un Lavrine qu'on aurait pu présenter comme une ordure si l'on avait adopté un point de vue omniscient. L'auteur ne regarde jamais ses personnages de haut ni ne donne de leçons au lecteur.



WILD WILD EAST



En effet, loin d'être un pensum ou un traité « Après la chute » est tout d'abord un véritable récit d'aventures. Cette ruée vers l'or des années 1990 rappelle celle du XIXe siècle par son aspect sauvage : c'est le règne de la loi du plus fort. Les gens y sont sans foi ni loi. Dès les premières pages ça flingue à tout va ! On y trouve « le bon » Slava, « la brute » Volodia, « le truand » Lavrine et on y ajoute même la belle Nina, Calamity Jane à la gâchette facile.



Le dessinateur plante la scène dans un décor grandiose en technicolor et en cinémascope. Il dépeint de grandes étendues de désert blanc neigeux ; il consacre de superbes grandes vignettes sur un voire deux strips à la mine de Tchiatoura creusée au milieu d'un canyon et alimentée par des téléphériques. Ce lieu authentique donne un aspect « Far-West à l'est » à l'album et constitue également un clin d'oeil historique car ce fut le premier bastion du bolchevisme au temps où Staline détroussait les trains pour remplir les caisses du parti.



On a donc une sorte de western burlesque. Les personnages s'agitent dans tous les sens. Il y a beaucoup d'énergie dans le trait et plus encore que l'amour des lieux on ressent l‘amour des personnages.



UN HUMOUR DISTANCIE ET UN AMOUR DES PERSONNAGES



Les silhouettes sont élastiques, les visages exagérément expressifs voire cartoonesques. Ce style caricatural et jeté, insuffle immédiatement de l'humour et de la légèreté dans un sujet grave. Lavrine est petit et rond et Slava longiligne ce qui donne un côté comique à la Laurel et Hardy mâtinés de Christophe Blain. On serait tenté de parler de « Pieds Nickelés chez les Soviets » mais avec un duo au lieu du trio qui se transforme rapidement en un quatuor.



Au bagout et à la gouaille de Lavrine, succède le personnage « bigger than life » qu'est Volodia, un géant grand buveur de vodka qui se promène en slip tout au long de l'album. Tous deux sont inspirés de personnes ayant réellement existé que le jeune Pierre-Henry Gomont a rencontré durant ses séjours à l'Est. Volodia a le verbe imagé tandis que sa fille Nina a le sens de la répartie. L'auteur nous régale alors de dialogues à la Blier et d'aphorismes à la Audiard qui font souvent mouche.



Les onomatopées en cyrillique donnent l'impression d'être ailleurs et créent comme une bande son. le dessinateur a imaginé une police de caractère qui rappelle le constructivisme communiste et qui retranscrit de façon phonétique des onomatopées françaises. Il joue beaucoup sur le côté graphique et utilise à plein le langage de la BD : comme dans l'ouvrage précédent, les bulles se déforment, serpentent, bondissent et parfois les mots sont remplacés par des images et cela crée des respirations drolatiques. Enfin, par la voix off de Slava : on obtient une distanciation et un humour un peu désespéré. Là encore Gomont surprend en refusant de traiter cette période sous l'angle du drame et en choisissant la comédie.





« Slava » devait au départ s'appeler « Les Nouveaux russes » car cet album évoque l'émergence d'une caste d'oligarques suite au pillage et à la dilapidation de l'héritage soviétique mais ce titre apparaissait à la fois polémique et réducteur. Jean Giono déclarait à propos de « Deux cavaliers de l'orage » : « Si j'écris l'histoire avant d'avoir trouvé le titre, elle avorte généralement. Il faut un titre, parce que le titre est cette sorte de drapeau vers lequel on se dirige ; le but qu'il faut atteindre, c'est expliquer le titre. ». Dans ce premier tome, Gomont « explique le titre » : Slava c'est tout à la fois le personnage éponyme qui s'interroge sur le bien-fondé de son art et le rôle de l'artiste, c'est aussi la peinture d'une société en mutation et l'expression d'une âme slave comme le suggèrent les consonnances. Ce titre polysémique et intrigant rend bien compte de la richesse d'une oeuvre combinant documentaire, polar économique, critique sociale, causticité, lucidité, humour et tendresse dont on attend avec impatience les deux prochains volets !



Je remercie toute l'équipe de Babelio pour m'avoir permis d'assister à la rencontre organisée avec PH Gomont. Vous pouvez d'ailleurs en retrouver des extraits sur notre blog Bulles2dupondt.fr (ainsi que d'une ITW menée au festival du livre sur la place à Nancy)




Lien : https://bulles2dupondt.fr/20..
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Les Nuits de Saturne (BD)

Je crois que je suis complètement passée à côté de cette BD…



Voici ce que le résumé annonçait :

« Pour échapper à la DDASS, Césaria, orphelin de 14 ans, se fait la belle. Il rencontre un clochard, Casper, qui deviendra plus qu'un père, un mentor. Avec lui, il apprend à survivre. Lorsque Casper meurt, Césaria décide alors de changer de vie et désire devenir une femme. La métamorphose s'accomplit. Elle rencontre Clovis, un braqueur qui sort de prison et qui veut à tout prix se venger. »



Or, rien de tout ça n’est évoqué hormis la rencontre avec Clovis, échappé de prison et qui cherche à se venger.

Le récit est d’ailleurs complètement centré sur lui et sa vengeance, Cesaria étant clairement secondaire à l’histoire…

Rien donc sur sa fugue, son mentor ou sa métamorphose. À tel point que je me demande encore si je n’ai pas lu le tome 2 de l’histoire…



En plus de cette absence des sujets qui m’avaient fait choisir cette BD, l’histoire de vengeance n’est finalement que violence, pas vraiment pour moi donc…
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Slava, tome 1 : Après la chute

Entre narration copieuse portée par Slava et dialogues directs, Pierre-Henry Gomont manœuvre efficacement son équipée, en appuyant juste ce qu’il faut là où ça fait mal, délivrant un message suffisant pour mettre bien en avant les travers d’une société passée et le machiavélisme de la suivante.
Lien : http://www.sceneario.com/bd_..
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Slava, tome 1 : Après la chute

Voilà le tome 1 d’une trilogie qui s’annonce grandiose ! En tous cas moi, j’ai plongé dedans avec délectation et j’attends impatiemment la suite !



Ce qui m’a plu ?

Le contexte historique : une sorte de western, de ruée vers l’or dans la Russie après la chute de l’URSS… Ce roman graphique a été commencé par son auteur avant les récentes actualités et devient pourtant aussitôt la clé de lecture de la souffrance d’un peuple et d’une nation.

Clé de lecture toute en finesse et humour pour ne rien ajouter de dramatique à une situation qui l’est pour ce qu’elle est.



Le message philosophique et les paradoxes que l’on découvre dans ce 1er tome : Vouloir faire fortune en plein communisme, c’est osé et c’est le pari de Lavrine. Slava, lui, est un artiste aussi flegmatique qu’engagé. Il permet de poser la question du rôle de l’art dans un pays en ruine. “Assujetti aux petites causes politiques qu’il défend, l’artiste engagé a tout perdu une fois que sa cause est gagnée” paradoxe avec lequel l’auteur s’est plu à jouer. Que faire donc quand ce que l’on fait semble ne servir à rien ? Pierre-Henry Gomont a sa théorie et nous la livrera dans les prochains volumes !



Le trait graphique : des traits doux, une ambiance, des onomatopées en cyrillique parfaites pour l’immersion. Les personnages ont des postures criantes de vérité et en disent autant que les textes. Les images se mettent à bouger. Mention spéciale pour les monuments : l'architecture est une passion de l’auteur, et cela se voit immédiatement !



Ce tome 1 qui prend le temps de tout mettre en place est une vraie promesse pour la suite !
Lien : https://www.instagram.com/p/..
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Slava, tome 1 : Après la chute

C'est le sourire aux lèvres

que se lit ce premier tome de Slava.

Pierre-Henri Gomont écrit

et dessine avec grand talent.

Il sait saisir les moindres détails

des relations mercantiles et ..humaines

des années 90 quelque part dans le Caucase.

Son œil et sa plume capturent l'essence

du système D, c'est du east-stern grand teint.

Nos héros sont les cousins soviétiques

de nos chers pieds-nickelés .

Ça achète et revend à tour de bras..

Le bien commun mute en bien personnel.

Un communisme redigéré ,revisité.

C'est drôle et terrifiant !





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Slava, tome 1 : Après la chute



Pierre-Henry Gomont nous avait épaté avec "Malaterre", un roman graphique publié chez Dargaud. L'album, salué par la critique, reçoit le Grand Prix RTL de la bande dessinée en 2018 et le Prix Première du roman graphique en 2019.

En 2020, il publie "La Fuite du cerveau" (Dargaud), une bande dessinée romanesque et pleine d'humour, abordant l'histoire folle du vol du cerveau d'Albert Einstein. brosse le portrait d'un pays déboussolé, qui amorce une transition incertaine, et annonciateur de la Russie d'aujourd'hui.



C'est une première pour Pierre-Henry Gomont : avec ce premier tome de 'Slava', il débute une série qui en comptera trois.



Le sujet ? L'ex-URSS, la Russie du début des années 1990 qui se construit sur les ruines du communisme, alors que le capitalisme triomphe déjà partout. A la fois BD d'aventure et réflexion sur un pays en transformation accéléréeLe tome 1 de la saga "Après la chute" met en scène des personnages qui se débattent avec leurs convictions, et se cherchent un avenir, dans une mise en scène proche d'un western.



Mafia, capitalisme sauvage et trafics en tout genre. L'auteur a su composer des personnages forts, qui nous guident dans cet univers impitoyable. Les décors sont superbes, les dialogues sont bons, l'histoire est prenante



Et cette fiction dans le monde bien réel de la Russie des années 90 nous semble être une probable prémice de la situation actuelle!.
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Slava, tome 1 : Après la chute

L'album est captivant, drôle, bien rythmé.

Je découvre le style graphique de Pierre-Henry Gomont et c'est une belle surprise. Un très bon premier tome. Il va falloir attendre pour lire la suite mais j'ai déjà hâte de connaître ce qui va se passer !

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