Citations de Pierre Jean Jouve (163)
DES DÉSERTS
Extrait 6
Je suis le Feu
Tu es le Feu ?
L'ardeur
Oui ma nature est feu et je te reconnais.
À l'aube tu me fais me lever de mes songes brisés
Détruis, détruis !
Et moi je suis les étincelles.
Elle s'ennuyait mortellement. Elle était en pleine obscurité. Faut-il continuer comme cela ? Comment interrompre ce ravage inutile ?
Regarde, disait-elle à son portrait dans la glace, regarde Catherine Crachat. Moi. Moi que j'ai tant aimée. Moi qui me dégoûte, qui m'agace, qui m'horripile. Il est impossible que cette femme-là soit moi. Cette femme n'a pas l'air honnête.
Je me suis perdue plusieurs fois. D’abord je l’ai fait doucement, ensuite je l’ai fait follement et j’ai tout, tout oublié. Me perdre était nécessaire. Aujourd’hui je suis au-delà.
Le sourire est un phénomène qui peut paraître insensé.
Dans cet acte étrange, il y a du déchirement, de la révélation, du feu.
Elle me sourit.
(Dans les années profondes)
« Elle ne pouvait séparer Dieu principe de toutes choses d’avec son amour lumière intérieure de toutes choses ; la pureté du baiser qu’elle donnait était la pureté de la croyance qu’elle tournait vers Dieu. » (p. 71)
Catherine était donc assise sous la clarté diffusée par un gros abat-jour fait de soierie chinoise dix-huitième siècle ; dans l'angle d'une vaste pièce obscure. Les objets endormis, tout devenait calme. Un sentiment de fine qualité émanait de la petite baronne souriante. Le "gemüt" de Vienne était au plus haut degré, car il fondait dans l'air ne laissant que des traces. Catherine portait ce soir une blouse de soie avec un seul petit noeud noir près du cou, ses cheveux non collés, vaporeux, son visage à la poudre et la boche à peine agrandie. On se regardait. On respirait des choses lointaines, indéfinissables. On se sentait en Autriche. On était très bien.
Diadème (p. 121)
Si tu reviens un jour, chère fille des rues,
Plus pure qu’une princesse de sang
Plus serve qu’une esclave d’Ethiopie,
Que ce soit sous l’aspect d’un cygne ou de l’ombre défunte errant;
Je te saluerai d’un sourire aussi douloureux que le sort
Et sobrement j’attendrai que ta lèvre aussi sourie
Et si j’invoque la misère avec l’anneau de la chair nue
Je dirai le langage par des amours proches de la mort.
Songe
L’esprit du poète est par hasard tombé sur le vieux texte de l’Ecclésiate : Tout y est vanité et poursuite du vent.
Extrait 8
Combien nous avons cherché – miracles nous sommes des
miracles
Rien
Ce monde était droit infini le voici courbe glissant l’un dans
l’autre
La vision de l’homme a grandi mais il y a de moins en moins
de choses derrière
La pensée est mince faible inutile une traînée brumeuse comme
la Voie Lactée
Tandis que le monde est matériel est étendu est effrayant est
véritable comme la paroi de l’enfer
La pensée sourit parce que peut-être elle va mourir
Adieu
III
Adieu. La nuit déjà nous fait méconnaissables
Ton visage est fondu dans l'absence. Oh adieu
Détache ta main de ma main et tes doigts de mes doigts arrache
Laissant tomber entre nos espaces le temps
Solitaire étranger le temps rempli d'espaces ;
Et quand l'obscur aura totalement rongé
La forme de ton ombre ainsi qu'une Eurydice
Retourne-toi afin de consommer ta mort
Pour me communiquer l'adieu. Adieu ma grâce
Au point qu'il n'est espoir de relier nos sorts
Si même s'ouvre en nous le temple de la grâce.
Adieu
II
De longues lignes de tristesse et de brouillard
Ouvrent de tous côtés cette plaine sans fin
Où les monts s'évaporent puis reprennent
À des hauteurs que ne touche plus le regard :
Là où nous sommes arrivés, donne ta main,
Puis aux saules plus écroulés que nos silences
À l'herbe de l'été que détruisent tes pieds
Dis un mot sans raison profère un vrai poème,
Laisse que je caresse enfin tes cheveux morts
Car la mort vient roulant pour nous ses tambours loin,
Laisse que je retouche entièrement ton corps
Dans son vallon ou plage extrême fleur du temps
Que je plie un genou devant ta brune erreur
Ta beauté ton parfum défunt près du départ
Adorant ton défaut ton vice et ton caprice
Adorant ton abîme noir sans firmament.
Laisse ô déjà perdue, et que je te bénisse
Pour tous les maux par où tu m'as appris l'amour
Par tous les mots en quoi tu m'as appris le chant.
La cellule de moi-même emplit d'étonnement
La muraille peinte à la chaux de mon secret.
Mais si la volonté de Dieu était de te jeter en enfer ? – Me jeter en enfer ? Que sa bonté l’en préserve. Mais si vraiment il me jetait en enfer, j’aurais deux bras pour l’entourer. Un bras est la véritable humilité que je passerais en dessous de Lui pour m’unir ainsi à Sa sainte humanité. Et avec le bras droit de l’amour, qui unit à Sa sainte divinité, je l’embrasserais si bien qu’il lui faudrait venir avec moi en enfer.
Paulina dans une atmosphère confite, conventionnelle et immuable, où les hommes ont de la majesté et très peu d’esprit, où les femmes ne s’occupent qu’à entretenir leur charme paresseux, une vie qui n’avait ni fêtes ni fantaisies ni plaisirs, ni âpreté ni tragédie mais beaucoup de méfiance, concentrée autour d’intérêts religieux et d’intérêts financiers, Paulina serait morte si elle n’avait pas été gaie de sa nature.
"Mais je suis Catherine Crachat! Si je les tuais tous les deux."
Catherine a un revolver, elle fait dix pas, elle tire dans la tête de la femme. Clac! cette Fanny tombe, s'effondre comme un linge, une saleté de moins sur terre! (...)
Il ne se passe rien de ce genre.
Nous sommes trois, nous sommes le fameux trois. Le chiffre trois porte malheur à l'amour.
Chacun des trois s'aime d'abord lui-même. Ensuite chacun est attiré vers le nouveau, le troisième, sans vouloir perdre le second, mais en empêchant le second et le troisième de se réunir. Il y a une jalousie tournante.
La pensée est mince, faible, inutile, une traînée brumeuse comme la Voie lactée
Tandis que le monde est matériel est étendu est effrayant est véritable comme la paroi de l'enfer
La pensée sourit parce que peut-être elle va mourir.
AU JOUR
extrait 1
Un grand plateau de mer de collines de vapeur
Se déroule à l’épaisse embrasure des bleus
Du haut : telle une idée de Chine intérieure
Se déroule une paix de soie et des villages
De zéphyr et parfois parmi le cours des âges
Ici et là un manteau d’ombres sur le cœur
// Pierre Jean Jouve France (11/10/1887-08/01/1976)
J'AI UN ARBRE
DE LA PLANTE D'AMOURS
ENRACINÉ EN MON COEUR
PROPREMENT...
Non, on n'a pas le droit de rire de cette manière. La rencontre a terrifié le coeur de Catherine, mais le rire la blesse à mort.
Le rire tue des êtres visibles et invisibles, roule le passé comme une pâte ou une boue, avilir la sainte image que l'on forme, blesse Dieu.
- Je déteste le cinéma, dit assez sèchement Catherine. C'est mon métier. Comme vous me plaisez. Il n'y a rien de plus grand que de refuser ce que l'on est.