Dans le cadre de l'exposition Posy Simmonds, dessiner la littérature, la Bpi organise une table ronde autour des médias d'actualité dessinés.
En première partie de soirée, Blanche Sabbah, l'autrice de Mythes et Meufs et de Histoire de France au féminin, viendra discuter bande dessinée et actualité.
Puis, La Revue Dessinée, Mâtin et Topo se rassemblent pour échanger sur le traitement de l'information en bande dessinée. Ensemble, ils offrent un regard unique et engagé sur le monde qui nous entoure, faisant de la bande dessinée un médium privilégié pour décrypter les enjeux contemporains.
Que vous soyez un·e amateur·rice de bande dessinée, un·e passionné·e d'actualité ou simplement curieux·se de découvrir de nouvelles formes d'expression journalistique, rejoignez-nous pour une exploration captivante de la façon dont la BD se fraye un chemin au coeur de l'actualité avec originalité et engagement.
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Il y a juste un an, j'ai cédé à l'idéal caucasien : j'ai subi une rhinoplastie, autrement dit, j'ai refait mon nez.
(...)
Je ne dirais pas que je rêve de mon ancien nez, mais je comprends que je lui ai imputé mes échecs sentimentaux (sans ce nez, il m'aimerait). C'est le piège de la chirurgie. Aux laides, elle offre la chance d'un soi plus aimable. Pour les Belles, c'est un signe de détérioration, une tentative maladroite de maintenir la perfection. Un combat perdu. Nous devons apprendre à admirer la Beauté Intérieure, la seule qui compte vraiment. A ce qu'on dit.
Je ne suis pas prude …
J’ai été mariée, divorcée, mais pas plus troublée que ça par la passion. Ce dont je m’enorgueillissais jadis – la vie amoureuse des autres semblait si dévorante et confuse. J’ai eu une ou deux liaisons mais j’ai toujours haï le jeu de pouvoir entre les sexes, la coercition, la soumission, l’idée d’être « possédée »
Bien sûr, je considérais l’Amour comme la plus belle chose au monde, dans les livres, les poèmes, au théâtre et dans ses représentations artistiques - temples indiens, tableaux de Giulio Romano, estampes d’Utamaro. En pratique, je n’ai jamais pu m’empêcher de penser à l’absurdité de l’acte, pas plus sublime que l’entassement de cochons aperçu un jour lors d’une promenade campagnarde. Mêmes cris perçants et grognements. …
… Longtemps après le départ de mes invités, je suis restée assise, pétrie de regrets. Réalisant soudain que ma défiance envers le sexe n’avait été que couardise, peur de perdre le contrôle. Je m’étais refusé le plaisir. Je ne m’étais jamais perdue dans les vapeurs de la passion. …
… Et voilà qu’à l’hiver de ma vie, je planifiais ma mort alors que, semblait-il, j’avais à peine vécu.
Page 55
Sachant cela, je me rappelle avoir éprouvé une étrange jubilation. Ça signifiait que Gemma et lui pourraient se revoir. J'avoue que mon imagination s'est emballée : je les voyais déjà nus, enlacés. Ce qui m'a fait rire tout haut. Quelle absurdité. La vie imitant le chef d'œuvre de Flaubert : Madame Bovary croisait le chemin du châtelain local, Rodolphe, tout comme Gemma venait de croiser celui d'Hervé, quelques instants plus tôt.
Je dis "tout comme" mais ce n'était en rien comparable au roman - la Vie imite rarement l'Art. L'Art a une certaine pertinence, alors que la Vie...
Jane Austen est interviewée (il fallait l'oser!).
-Alors Jane...
Bon miss Austen... Alors, vous ne vous êtes jamais mariée, n'est ce pas? On a entendu parler d'une proposition... Mais une femme attirante comme vous a dû en recevoir plusieurs. Combien de partenaires sexuels avez vous eus en fait?
Hum... Jusqu'au diriez vous que votre écriture est un substitut du sexe?
Le monde m’a toujours trouvée déviante, « ratée » en tant que femme, et je l’admets. Je n’ai pas vécu comme une femme est censée le faire. J’ai obéi une fois aux conventions en me mariant. Terrible erreur, mais leçon utile (connais-toi toi-même) ; je suis nulle pour vivre avec des gens. Je n’ai d’intérêt ni pour la vie domestique ni pour les enfants. Je suis solitaire, vieille fille dans l’âme, responsable devant personne, à charge de personne. …
… D’habitude, j’ai hâte d’attaquer mes propres provisions de Noël –caviar, stilton, un grand vacherin, un Dundee cake, porto, champagne. Cette année, je n’ai pas fait l’effort.
J’en ai assez. Toute ma vie, j’en ai eu assez –assez d’argent, d’éducation, de choix, de liberté, de voyages, de confort. J’ai vu assez d’œuvres d’art, d’opéras, de pièces, de films, écouté assez de musique, lu assez de livres, bu assez de vin. J’en ai plus qu’assez.
Il fait froid. Ce matin, mon jardin était plein de givre. Le temps rêvé pour une hypothermie.
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Je choisirai ma sortie, ce qui signifie ne pas partir trop tard. Le timing sera primordial. Crever tant que c’est encore possible.
Les nazis l’ont fait au revolver et avec 300 mg de cyanure. Tout bien pesé, je penche pour l’hypothermie – nuit froide, whisky, opéra dans les écouteurs, mon jardin l’endroit évident … Je déteste le jardin, genre zen, une erreur. Du temps du jardinier, le gravier était ratissé, mais là, c’est un fouillis de mauvaises herbes qui pue le renard. Il y a quatre gros rochers, et si on en arrive là, à l’aube gelée, mon corps fera le cinquième. …
… Ma mort serait une oblitération silencieuse sous une neige épaisse. J’ai toujours aimé les paysages d’hiver, en art comme dans la nature, et ça ne me gênerait pas d’être une bosse en plus dans un tableau de Gaspar David Friedrich. Evidemment, à la fonte des neiges, je finirais par gâcher la journée de quelqu’un.
Pages 23 et 24
Depuis que j’ai quitté l’hôpital, Margot s’occupe de moi dans sa maison de l’Oxfordshire. Elle a l’habitude de soigner des invalides et paraît plus qu’heureuse de le faire. Bien sûr elle a ses propres motivations, ses processus pour « recréer du lien » et « tourner la page » qui m’auraient jadis recroquevillé les orteils mais que j’apprécie maintenant. Cela faisait longtemps que nous n’avions pas parlé de notre enfance. Nous avons chacune perdu un parent, mon père à la guerre, sa mère d’une péritonite. Chacune avait un beau-parent. Et chacune a épousé Freddie. …
… Je me suis habituée à la maison de Margot, j’ai fini par accepter le chintz et le chauffage central capricieux (Margot pense qu’on a juste besoin d’un chien supplémentaire sur le lit par temps froid.) Et je suis étrangement heureuse, à regarder le paysage hivernal au-dehors, à compter les brebis gravides.
Pages 92 et 94
Je ne peux m'empêcher de me sentir abjectement voyeur tandis que, phrase à phrase, je traduis les six pages du journal. Un travail ardu. Je ne m'arrête pas, même quand j'entends ma femme rentrer du magasin - il est normal que je me trouve à mon bureau à cette heure-ci et elle a appris à ne pas me déranger. Et aussi, je suis convaincu que Martine ignore tout de mes relations avec Gemma et de mon récent chagrin. Elle pense que c'est mon côlon irritable qui me tient éveillé la nuit.
Était-ce la désinvolture qu'elle mettait à cette affaire ? Était-ce le chewing-gum ? Était-ce son jogging ? Je veux dire, tout de même ! Pour un rendez-vous d'amour, la femme française se parfume, se fait belle, un peu sexy, non ? Mais Gemma... elle aurait aussi bien pu aller étriller son cheval.
Comme je l'ai dit, c'est le printemps à présent et les pommiers des Bovery sont en fleurs. Il y a un camion de déménagement devant la maison : les nouveaux propriétaires s'installent. Ils sont anglais, eux aussi, comme les Bovery. Un couple. Il est plus âgé qu'elle, me dit Martine. Elle a croisé la femme dans l'allée. Elle s'appelle Jane. Jane Eyre.