Nous avions décidé de nous retrouver entre Italiens, tous les dimanches soir, dans un coin du Lager; mais nous y avons bientôt renoncé parce que c'était trop triste de se compter et de se retrouver à chaque fois moins nombreux, plus hideux et plus sordides. Et puis c'était si fatigant de faire ces quelques pas, et puis se retrouver, c'était se rappeler et penser, et ce n'était pas sage.
Une femme avait passe tout le voyage à mes côtés, pressée comme moi entre un corps et un autre corps Nous nous connaissions de longue date, et le malheur nous avait frappés ensemble, mais nous ne savions pas grand-chose l'un de l'autre Nous nous dîmes alors, en cette heure décisive, des choses qui ne se disent pas entre vivants. Nous nous dîmes adieu, et ce fut bref: chacun prit congé de la vie en prenant congé de l'autre. Nous n'avions plus peur.
Si j'étais Dieu, la prière de Kuhn, je la cracherais par terre.
Les jeunes disent aux jeunes qu'ils choisiront les vieux. Les bien-portants disent aux bien-portants qu'ils ne prendront que les malades. Ils ne prendront pas les spécialistes. Ils ne prendront pas les juifs allemands. Ils te prendront toi, pas moi.
Car l'hiver ici n'est pas que l'hiver.
Nous avons lutté de toutes nos forces pour empêcher l'hiver de venir. Nous nous sommes agrippés à toutes les heures tièdes ; à chaque crépuscule nous avons cherché à retenir encore un peu le soleil dans le ciel, mais tout a été inutile. Hier soir, le soleil s'est irrévocablement couché dans un enchevêtrement de brouillard sale, de cheminées d'usines et de fils ; et ce matin, c'est l'hiver.
Car son regard ne fut pas celui d'un homme à un autre homme ; et si je pouvais expliquer à fond la nature de ce regard, échangé comme à travers la vitre d'un aquarium entre deux êtres appartenant à deux mondes différents, j'aurais expliqué du même coup l'essence de la grande folie du Troisième Reich.
Si les damnés n'ont pas d'histoire, et s'il n'est qu'une seule et large voie qui mène à la perte, les chemins du salut sont multiples, épineux et imprévus.