Citations de Rae Delbianco (51)
Et si les manifestations physiques de la mort avaient le moindre sens, il savait que s'il survivait, s'il rentrait chez lui et vivait une longue vie, son corps finirait par pourrir, envahi par la mousse, puis serait dissous des siècles avant que les os desséchés de ceux qu'il avait tués dans le désert ne commencent même à se décomposer.
Car emportons-nous dans la mort toute violence que nous avons commise ou bien restait-elle comme une cicatrice sur la terre?
Parce que le désert s'accroche trop fermement aux souvenirs de ses brûlures quotidiennes pour que l'emprise de la chaleur et du soleil puisse être interrompue par les rotations de la planète, et que les galeries creusées par les tarentules étaient parcourues d'une lueur bleue, et qu'existait en fait ici quelque chose de vivant et de beau.
Ici, le vent pouvait avancer telle une créature à quatre pattes, une bête laborieuse progressant à son rythme essoufflé comme un boeuf à l'attelage, ou bien il pouvait s'avancer comme une marée, comme un océan qui, même dans ses eaux les plus calmes, leur restait inaccessible, un environnement pour lequel ils n'étaient pas nés.
La nuit se mit à tomber et sur le sol du désert le sable se moutonna de rose, comme un gigantesque poisson crocodile se secouant de sa torpeur au fond d'un récif. Le silence était assourdissant, il se réverbérait contre la plaine, renvoyant l'écho de son souffle depuis les hauts plateaux au loin dans un bruit fracassant.
Il regarda la terre se débarrasser de sa peau verte et s'assécher en se couvrant de buissons d'acacias et de sable telles les plaques brunes d'un hématome -- les longs doigts écartés du désert qu'on voit s'avancer sur la carte comme des callosités sur la terre.
Le chant des cigales était tonitruant et les arbres à la lisière de la forêt avait bloqué la brise, plus rien ne bougeait.
L'aube n'était pas levée quand Smith passa la porte, deux bonnes heures encore avant que les rayons du soleil soient assez hauts pour s'étirer sur les cimes de la falaise au loin. Une nuée d'étourneaux s'échappèrent d'un buisson de chêne sur son passage et s'éloignèrent dans le ciel de leurs ailes noires en jasant, chauves-souris ou démons rappelés en enfer avant le lever du jour.
Smith l’observa, silhouette espiègle portant la moitié de son poids entre ses bras dans la pénombre bleutée. Ils reculèrent en la voyant s’avancer, puis se rapprochèrent à l’odeur alléchante, et lorsqu’elle leur lança le sac de viscères qui éclata au sol à ses pieds ils se jetèrent dessus. Smith la regarda un moment lancer des morceaux de la bête qu’elle avait tuée pour nourrir celles qui avaient essayé de la tuer, leur permettant de survivre en faisant ce à quoi ils ne s’étaient pas résignés.
p.194.
« Elle croit que l’immortalité se gagne en s’emparant de celle des autres, quand ils viennent jouer leur vie contre la sienne. Son immortalité elle l’a déjà gagnée... N’être ni traumatisée ni abusée à son âge, c’est être immortelle, surtout comparé à ce que subissent toutes les autres gamines à la peau brune qui naissent dans le genre de cabane abandonnée ou de coin de forêt d’où elle a dû émerger. »
Sors-moi de là vivante et t’auras ce que tu veux.