Citations de Rainer Maria Rilke (1497)
Si votre quotidien vous parait pauvre, ne l'accusez pas. Accusez-vous vous-même de ne pas être assez poète pour appeler à vous ses richesses. Pour le créateur rien n'est pauvre, il n'est pas de lieux pauvres, indifférents. Même si vous étiez dans une prison, dont les murs étoufferaient tous les bruits du monde, ne vous resterait-il pas toujours votre enfance, cette précieuse, cette royale richesse, ce trésor des souvenirs ?
Pure tension. Ô musique des forces !
N'est-ce pas grâce aux besognes futiles
qu'est détourné de toi le moindre trouble?
Le paysan a beau veiller à tout,
là où le grain en été se transforme,
jamais il n'y suffit. La terre donne.
Je vais toujours vers toi
avec toute ma marche
car qui suis-je et qui es-tu
quand on ne se comprend pas -
Creve mes yeux : je te vois
Ferme mes oreilles : je t'entends
Et sans pied je peux encore aller vers toi
Et sans bouche je peux encore te conjurer.
Casse-moi les bras : je te saisirai
Avec mon cœur comme une main
Déchire-moi le cœur : et mon cerveau battra
et tu enflammeras mon cerveau aussi,
,
alors je veux te porter sur mon sang
Nous, nous infiniment risqués, que de temps nous avons!
Et la mort qui se tait, seule à savoir ce que nous sommes,
ce qu'elle gagne, à chaque fois qu'elle nous baille un prêt.
Seul qui a tenu haut la lyre
parmi les ombres même
a divinatoire le droit
de louange infinie.
Seul qui avec les morts
a mangé du pavot, du leur,
plus jamais ne perdra
le son même le plus léger.
Le reflet dans l'étang
peut souvent nous devenir flou:
Aie savoir de l'image.
Ce n'est qu'en la double portée
qu'alors les voix se font
éternelles et douces.
Vois les fleurs, vois, leur fidélité au terrestre,
un destin selon nous en marge du destin.
mais qui sait ! Se faner, le regretteraient-elles,
ce serait à nous d'être leur regret.
Tout se veut nature aérienne. Et nous sur tout
de nous poser, pesants et ravis de peser;
quels maîtres dévorants nous sommes pour les choses,
car d'éternelle enfance est leur bonheur.
Qui les prendrait dans son sommeil et dormirait
profondément : de cette profondeur commune,
dans l'aube neuve, ô qu'il serait neuf et léger.
Ou peut-être resterait-il; alors fleurir
serait louer le converti, votre semblable,
sœurs par milliers, sœurs de silence au vent des prés.
"Nous sommes les abeilles de l'invisible"
« Le travail est lui-même amour, infiniment plus d 'amour que l'individu n 'en peut susciter en autrui. Il est toutes les espèces d'amour. »
« Désormais laisse-moi, Chère, laisse-moi mettre de l'ordre dans ma vie et la tirer au clair au cours de ces prochains mois, le temps que me sera accordé ce refuge. (Je ne saurais subsister dans ce trouble qui dure depuis des années !) C'est cela même qui m'importe, et non pas du tout Les Elégies ni une quelconque productivité &emdash; je ne suis pas un auteur qui "fait" des livres ! Même Les Élégies (ou quoi que ce fût qui pût m'être accordé un jour) n'étaient que la suite d'une disposition et d'un progrès intérieurs, d'un devenir plus pur et plus vaste de toute ma nature interrompue et ébranlée.»
« Exposé comme je le suis, je ne voulais pas l'éviter, elle non plus: mais je rêvais de la traverser ! Qu'elle me fût une fenêtre dans l'espace élargi de I'existence... (non un miroir). »
«Celui qui a un engagement envers les sens, et qui doit tenir l'apparence pour pure et la forme pour vraie sur cette terre, comment serait-il libre de commencer par le refus ! »
« Tout élan de mon esprit commence dans mon sang»
« C'était comme si, à partir de cette orbite que la force de la solitude lui faisait décrire, il avait reconnu sa figure plus parfaitement que personne avant lui. Et de ce savoir, infini, naissait en lui la privation infinie. »
« Si l'auteur a réuni ces feuillets épars (après coup manifestement) sous le titre de Testament, c'est vraisemblablement que, dans cette exploration de sa fatalité particulière, s'exprime une volonté qui restera la dernière, même si la tâche d 'années nombreuses attend encore son cœur. »
V
Douce courbe le long du lierre,
chemin distrait qu'arrêtent des chèvres ;
belle lumière qu'un orfèvre
voudrait entourer d'une pierre.
Peuplier, à sa place juste,
qui oppose sa verticale
à la lente verdure robuste
qui s'étire et qui s'étale.
Nulle part il n'y aura, bien-aimée, qu'en nous-même de monde. Notre
vie passe en transformation. Et l'extérieur de plus en plus ténu
s'étiole. Là où jadis il y avait une maison durable,
une figure d'invention maintenant se propose, de travers, du ressort exclusif
du pensable, comme si elle se dressait entière encore dans notre cerveau.
« Être aimé, c’est se consumer dans la flamme .
Aimer, c’est luire d’une lumière inépuisable.
Être aimé, c’est passer;
Aimer, c’est durer » .
Et soudain dans ce nulle part besogneux, soudain
l'indicible endroit où le pur Trop Peu
par une inconcevable métamorphose se mue
en ce Trop vide.
Où le calcul à plusieurs chiffres
Se dissout sans faire de nombre.
Vois, nous n'aimons pas comme les fleurs, poussés
par l'unique saison d'une année; il monte dans nos bras, quand nous aimons,
une sève immémoriale. Ô, jeune fille, tout
ceci : je veux dire qu'en nous nous aimions, non point un être unique, et à venir,
Mais la fermentescence innombrable; non pas un seul enfant,
mais les pères qui sont au fond de nous, couchés
comme des débris de montagne ; mais le lit de fleuve asséché
de mères de jadis; mais tout
le paysage de silence sur qui est suspendue une fatalité
de nuages ou d'azur : voici donc, jeune flle, ce qui t'a devancée.