Citations de Rivers Solomon (100)
Il ne suffisait pas de traiter Aster décemment pour avoir droit à son affection.
Elle lut, jour après jour, les aventures du petit garçon vêtu de rouge dans la neige, comme si elle mettait la femme au défi de se moquer de sa prononciation imparfaite. Puis les semaines passèrent et Vern lut un autre livre, et un autre, encouragée par la cruauté de la femme – des livres aux pages cartonnées, des livres d’images.
Quand tu incarnes tous ceux qui ont vécu autrefois, quand tu existes pour tous ceux qui vivent aujourd’hui, tu n’es personne. Personne. Tu n’existes pas.
Connaître les langues anciennes, c’est connaître l’âme de nos Ancêtres communs, et connaître les Ancêtres, c’est se connaître soi-même.
-Les dieux apprécient ceux qui résistent, dit Ziza.
Quand les Caïniens sortaient en groupe, vêtus de leur uniforme distinctif, les parents leur jetaient des regards inquiets et serraient leurs enfants contre eux. On disait qu'ils appartenaient à une secte.
Vern aurait voulu savoir pourquoi tous ces gens étaient certains de ne pas appartenir, eux aussi, à une secte.
Quand nous avons appris que nous deviendrions historien, nous étions satisfait. Enfin, nous pourrions assouvir la soif de notre esprit. Quand notre prédécesseur nous a transmis les souvenances, nous avons senti une étincelle de vie, et le torrent du passé s'est engouffré en nous. Nous ne serions plus jamais vide.
Certains sont tristes quand ils prennent connaissance de l'Histoire, mais nous, nous avons ressenti une colère immense et glorieuse. Ce défi nous plaisait, nous convenait. Et la colère était notre émotion préférée. nous en jouissions. La colère donnait un sens à notre vie.
Nous ne sommes pas chrétiens, nous sommes capitalistes. Tout le monde dans ce pays de branleurs est capitaliste, que les gens le veuillent ou non. Tout le monde dans ce pays fait partie des consommateurs les plus voraces qui soient, avec un taux d’utilisation des ressources vingt fois supérieur à celui de n’importe qui d’autre sur cette pauvre terre. Et Noël est notre occasion en or d’augmenter la cadence.
Nous devons retrouver nos places. – C’est quoi, notre place ? demandons-nous. – C’est là où il n’y a pas de solitude.
C'est ce qu'ils racontaient. Ce qu'ils se racontaient. Leurs légendes. Quand on tente de se remémorer un passé aussi lointain, l'histoire est toujours une légende. (p.27)
Yetu voulait que les autres revivent les mêmes souvenirs qu’elle, qu’ils entendent les mêmes cris. Elle refusait que ces catastrophes deviennent un spectacle, que ces tragédies, qu’elle avait fini par considérer comme les siennes propres, se fardent en divertissement.
Aster ne savait pas si la vieille femme lui demandait si elle entendait littéralement ses paroles, ou si elle les comprenait. Le sens propre ou le sens figuré appelaient chacun une réponse différente.
Elle s’étonna que ces femmes, qui savaient bricoler des étoiles-en-pot, ne puissent fabriquer des réchauds à alcool. Tout tenait à la géographie du Matilda, se dit-elle. Certaines choses se savaient depuis deux générations sur le pont R, mais personne n’en avait entendu parler sur le pont V, et ainsi de suite. Ils étaient vingt mille Bas-Pontiens, et il y avait presque autant de modes de vie différents. Cela découlait de la nature même de ce vaisseau, que divisaient les cloisons de métal, les langues et les gardes. Même sur ces ponts très unis qu’étaient ceux des Goudrons, les informations ne circulaient guère.
Toute notre vie, reprit-elle, on a cru qu'il n'y avait rien d'autre que ce vaisseau. Si tu savais qu'il y avait autre chose, est-ce que tu ne serais pas prête à toute abandonner, toi aussi ?
En chaque personne repose une part du passé, l’héritage de ses parents et de des grands-parents. Si toute cette dimension historique demeure dans l’obscurité, cela signifiait-il que l’on était incomplet ?
L’histoire était une forme de mémoire. Les faits refusent de vivre dans l’obscurité et le secret, ils s’efforcent toujours de remonter à la surface.
Vern avait toujours envie de leur crier : il n’y a pas d’église, pas de philosophie, pas d’école de pensée, il ne faut avoir confiance en rien. Croire en quelque chose, c’est faire le sacrifice de vos facultés. Pour avancer, il faut accepter de se battre
Le Souverain Nicolaée gisait sur la table, la cage thoracique ouverte, comme le plus amer des pamplemousses.
Il est plutôt déconcertant, quand on a passé presque toute sa vie à se poser des questions au sujet d'une chose, de découvrir que la réponse à ces questions est horrifiante. Nous savions qu'un lien de parenté nous unissait aux habitants de la terre. Cela seul pouvait expliquer nos similitudes, notre capacité à parler leurs langues, notre souvenir de ce visage qui ressemblait à celui de Waj et que nous avons vu, alors que nous étions un nourrisson, flotter, immobile, à la surface de l'eau.
- D'où venez-vous, Zoti Aleyu? demandons-nous à ces créatures qui nous ressemblent tant.
Nous les serrons contre nous, nous les caressons du bout du nez. Nous les regardons quand ils tentent maladroitement de nager et de se déplacer. Leur peau écailleuse est plus douce que la nôtre, et leurs visages sont si tendres, comme la douce chair d'une palourde à l'intérieur de sa coquille.