Deux millions de lecteurs « déjà conquis », nous annonce le bandeau qui entoure ce livre. Sérieusement ? Il est vrai que les notes reçues par ce livre laissent rêveur : 4,02/5 en 3.393 notes sur Babelio ou 16,4/20 en 510 votes sur Livraddict… Eh bien, sans préméditation aucune, on va faire comme d’habitude : je suis dans « l’autre camp », ceux que ce livre aux notes dithyrambiques n’a pas convaincus. Du tout. Au moins, pour le coup, je suis arrivée au bout, mais que c’était dur, et que de passages survolés pour que ce ne soit pas complètement indigeste !
Certes, l’idée était bonne : créer une histoire de famille, sur plusieurs générations, autour de l’île de Spinalonga, c’était un point de départ franchement bien trouvé. C’est que cette petite île, quasi une presqu’île même, au large de la Crète, a servi de léproserie pendant toute la première moitié du XXe siècle (de 1903 à 1957, même si les dates avancées dans le livre sont très légèrement différentes de celles que l’on peut trouver sur Wikipédia par exemple). Or, une véritable société s’est organisée sur cette île, entre ces malades condamnés à vivre jusqu’à leurs derniers jours sur cette prison en plein air, eux qui étaient condamnés à une époque où la lèpre était encore méconnue et surtout contre laquelle il n’existait aucun traitement. Des malades d’autant plus rejetés que, dans une société traditionnelle et apparemment très croyante comme pouvait l’être la Crète, la crainte de la lèpre pouvait être amplifiée par la vision qu’en offre la Bible… « Impur, impur ! », nous répète-t-on de-ci, de-là, pour bien enfoncer le clou.
Et ce n’est pas tout : on pouvait même apprécier la structure de ce livre. Tout commence avec Alexis, jeune femme (si, si ! en français ça m’a d’abord fait un peu bizarre…) anglaise d’origine grecque par sa mère, qui se trouve en vacances avec son petit ami trop parfait dans le pays de ses origines. Elle est parfaitement consciente qu’elle n’en connaît rien, car sa mère a toujours soigneusement veillé à ne surtout rien lui dire ! Elle décide sur un coup de tête de se rendre (seule) à Plaka, le village qui fait face à la fameuse île de Spinalonga, à la recherche de ses racines, de l’histoire de cette famille dont elle vient mais dont elle ne connaît rien. Elle a pour seul repère une vieille photo de l’oncle et la tante de sa mère, pour elle des inconnus dont elle n’a donc pas la moindre idée, mais sa mère semble tenir plus que de raison à cette photo ; et une lettre que sa mère lui a remise pour une vieille amie sur place, si jamais elle y passait. Bien évidemment elle y passe (elle aurait mieux fait de passer son chemin, mais bon, je vais arrêter là les mauvais jeux de mots…).
Et paf, à peine est-on arrivé à Plaka avec Alexis, que l’on est entraîné dans un flash-back qui nous entraîne de Plaka à Spinalonga, à travers quelques personnages principaux que l’on va suivre presque jusqu’à la fin, et qui auraient pu indéniablement être intéressants.
Hélas, cette très belle idée a été exploitée avec l’une des écritures les plus plates que j’aie jamais lues, et des personnages tellement stéréotypés et sans aucune ampleur qu’on ne parvient jamais à s’attacher à eux.
En effet, très clairement, l’autrice s’est bien documentée, peut-être même connaissait-elle déjà l’histoire de Spinalonga et s’y est alors plongée à fond ; je peux même dire qu’elle s’est passionnée pour cette histoire, il y a tant et tant de détails sur la vie à Spinalonga, sur le contexte historique général (notamment la 2e guerre mondiale), c’est intéressant. Mais le style ne décolle jamais… L’autrice semble avoir cherché à raconter une histoire, mais on dirait qu’elle n’a pas su choisir entre une intrigue qui ferait réellement vibrer le lecteur, et son besoin d’asséner ses connaissances sur Spinalonga. Le résultat est un roman où on ne « montre » que très peu les choses, car tout est vu et asséné depuis le regard d’un narrateur omniscient qui, par définition, sait tout, et débite ce tout au lecteur d’une manière descriptive constante, sans respiration, si ce n’est dans quelques passages attendus. Oui, c’est bien là le problème : il n’y a aucun vrai suspense, aucun vrai rebondissement, tout est attendu, tout est toujours dit et redit (et souvent encore répété) comme on gaverait un lecteur sans lui laisser jamais le temps de digérer, d’anticiper, de se réjouir ou de se laisser émouvoir. Certes, vous allez me dire, il suffisait alors de suspendre sa lecture pour « profiter »… mais alors je réponds non merci ! Il y a tant de livres, dans différents registres, que j’ai déjà lus et où mes larmes coulaient tellement que je devais effectivement arrêter. Ici, rien de rien, c’est plat, plat, plat et ça reste plat, sans relief, du début à la fin, malgré quelques très vagues soubresauts.
Je ne pourrais dire si ce sentiment a été créé ou seulement amplifié par la façon dont j’ai ressenti les personnages. (L’œuf ou la poule ?) Il y en a toute une galerie, de ces personnages, où la famille de Giorgis et Eleni, avec leurs filles Anna et Maria, tiennent la vedette. Et là, comme tant d’autres, ils sont tellement stéréotypés qu’on n’y croit pas ! Giorgis est le pauvre pêcheur qui complète ses faibles revenus en assurant les liaisons (livraisons de marchandises, mais aussi dépôt des malades « condamnés » à une vie sur Spinalonga, ou encore transport des médecins qui y vont plus ou moins régulièrement) entre Plaka et l’île. Étrange pêcheur qu’on ne voit jamais pêcher, sa vie semble se réduire à ses voyages vers Spinalonga, qu’il ferait par pure bonté d’âme et contre quelques sous mais ce n’est bien sûr pas sa motivation (dont on ne parle jamais, pourtant on l’appelle bien ici ou là « le passeur » !?), et pour le reste il adore sa famille mais trouve normal d’être servi par ses filles alors qu’il passe ses soirées au bar du village… Mouais… Eleni est elle aussi un personnage sans aucune ombre : elle est l’institutrice parfaite du village, que tout le monde adore, et qui s’occupe de tous les enfants du village avec autant d’amour que pour ses deux adorables filles. Bonjour les bisounours !
Mais l’histoire va surtout se centrer sur les deux sœurs, et là, c’est le pompon. Anna est définie d’emblée comme la rebelle, l’éternelle insatisfaite dans un village fait de traditions profondément ancrées et très clairement sexistes (même si, à l’époque, personne ne s’en souciait), et qui outre ses crises récurrentes, aura du début à la fin un comportement détestable – bref, elle est cataloguée sans aucune nuance dès le début, et la seule explication qui poindra jamais pour pseudo-justifier un tel caractère, c’est qu’elle était une fille « trop belle » !?! À côté de ça, Maria est évidemment tout l’opposé : jolie elle aussi mais plus effacée, personne ne la voit jamais, elle qui passe son temps à servir ses parents, et dans la foulée tout le village ; elle la dernière « vieille fille » mais qui préfère s’occuper de son vieux père envers et contre tout. Bref, on a là, et développés à l’extrême, les symboles de la méchante dévergondée insupportable face à la nunuche volontairement sacrifiée sans tache! Or, on sait que je n’aime pas trop les univers manichéens, et là ce sont carrément les personnages qui le sont, et à l'excès : Anna semble n’avoir aucun bon point, rien pour elle à part cette beauté, c’est tellement réducteur (et c’est une femme qui l’écrit !) ; tandis que Maria est la fille parfaite toujours égale, sans aucun trait de caractère qui la rendrait un tant soit peu intéressante.
Pour le dire autrement : elles sont tellement figées dans leur cliché respectif qu’elles n’ont aucune ampleur, et dès lors sont bien incapables de donner une quelconque âme à une histoire qui ressemble par ailleurs à un documentaire à peine masqué…
Et pour combler le tout, quand Sophia apparaît enfin, elle la mère tellement taiseuse d’Alexis, son histoire est brossée en deux coups de cuillère à pot, son silence sur ses origines lui est excusé encore plus rapidement et sous des prétextes tellement abracadabrants que j’en suis restée bouche bée. Heureusement, en réalité, que l’autrice en soit restée là, car l’indigestion était déjà bien avancée à ce stade-là, et je ne suis pas certaine que j’aurais pu lire une seule page de plus !
Tout cela étant dit, je peux comprendre que ce livre ait plu, car le contexte historique est intéressant et le sujet (aujourd’hui encore sensible car tellement marqué dans l’inconscient collectif de nos sociétés de tradition judéo-chrétienne) de la lèpre a eu le mérite d’être abordé. Mais l’écriture, plus proche d’un documentaire linéaire et quelque peu rébarbatif, est soporifiquement plat, avec en plus trop de longueurs et autres répétitions inutiles. Je n’ai pas non plus accroché aux personnages, trop stéréotypés et manichéens, de telle sorte qu’ils n’ont pas cette ampleur qui les aurait rendus tout simplement réalistes et vivants. Je ne lirai pas d’autres livres de cette autrice, une seule indigestion de cette ampleur m’a suffi !
Commenter  J’apprécie         60