Citations de Romain Fustier (15)
c’est le vent qu’on entend
c’est le vent qu’on entend – elle le saisit
y prêtant attention, l’écoutant souffler
derrière les vitres de la salle de
restaurant de l’hôtel – défilent en moi
des projections dès le petit-déjeuner
e fermes, de villages émiettés sur
la terre austère comme dans une assiette
les croûtes de fromage sec – le café
dans sa tasse n’est guère autre chose que
ce qu’il est, pas davantage que l’aube à
l’aube : le fantastique tape pourtant
aux carreaux, paraît se déplacer au
voisinage du sol, porté par l’air, mû
par quelles mains parmi ces habitations
]] Picherande
je voyagerai sous les draps
le feu de bois – elle a su repérer cette
odeur à la seconde où j’ai entrouvert
la fenêtre, déplié les battants d’une
persienne pour relever qu’il neigeait – nous
dormirons étendus, allongés sur les
champs alentour, le village cerné par
les flocons : je voyagerai sous les draps
à travers le village, au centre du bourg
où notre hôtel s’assoupit sur la petite
place, son restaurant déserté par les
résidents du soir – la nuit sera aussi
tranquille que les couloirs de cette mai-
son , je l’espère – les chutes attendues nous
envelopperont comme d’un édredon
]] Picherande
entre le vert et le blanc
les sapins saupoudrés de neige dans la
montée du col – ces oiseaux chantant ici
au matin, réveillant notre jardin des
plaines sous une douceur pas de saison
rien qui puisse nous laisser augurer le
paysage que nous avons retrouvé
là-bas : les os laiteux des gencives du
massif détachant leurs sommets au-dessus
des pâturages où la poudreuse semble
désormais réduite à des plaques çà
et là, comme si la nature hésitait
entre le vert et le blanc, l’hiver et le
printemps – cette année m’a paru revenir
en arrière alors que nous progressions
]] sur la route
UN ORCHESTRE DANS LES JARDINS…
extrait 3
un orchestre dans les jardins du casino la tempête sur la côte – je me raccroche à une peinture quelques photographies – ce qu’elle écrit il y a des chutes de neige et du spleen au même instant chez nous – avons trouvé des jonquilles deux jours de grand soleil – les camélias mimosas en fleurs – et j’y entends la lumière j’y vois le vent – hors de mon corps embarqué il m’embarque lui-même – parmi ces paysages qu’en piéton j’arpente arpentant ses phrases – ces lieux où je vais en où je sors de moi
SA CHAMBRE ORIENTÉE AU SUD…
extrait 2
sa chambre orientée au sud y va ma petite n’en démord pas ― que sa chambre va dans le sud elle répète — et cette vision cette idée me plaît— suscite une émotion ma fille s’y baigne avec moi — la pointe nord de l’étang tournée vers le nord mon enfant se tourne vers elle — cette station balnéaire elle aussi nous aime ― rêve de nous revoir elle devient nous qui devenons elle ― quand avril et le vent sont là son littoral nous accueille ― nous reçoit nous retient ― comme je l’accueille le nommant ma petite fille dans sa grammaire le retient
…
UN PETIT AIR DE PRINTEMPS…
extrait 1
un petit air de printemps aujourd’hui le long du canal saint-martin elle nous annonce ça au moment de quitter paris — et qu’elle rentre les bras chargés les jambes moulues – les yeux enchantés elle conclut – de sorte que sans même y être j’aborde ces rives — qui sont présentes dans ma tête m’apparaissent en s’évanouissant — en un mot en ce moment— leurs ponts mobiles leurs ponts mobiles — mobiles mobiles — des passerelles métalliques moi — les usines en briques en fumée— qui s’en vont avec elle leur lenteur fugitive
…
LA SENSATION DE FLOTTER SUR LA LAGUNE…
la sensation de flotter sur la lagune /
elle est plus vive par ici
où tout autour baigne dans l’eau /
les paysages & moments qu’on partage
avec les salins / les pinèdes & garrigues
qui défilent jusqu’à la mer / étendue
tachetée de chalets que la digue protège
des marées que tu te figures / équinoxes
d’antan où les vagues la nuit
poussaient encore au-delà des rizières /
renversant le soleil à ras de terre /
les toits rouge feu / les maisons brûlées
par le dernier été dont les murs
ondoient sous la mer dans tes yeux
extrait chambre 233
ai passé la nuit seul avec la maison
vide d'elle mis un seul bol sur la
table du petit-déjeuner preuve qu'il
s'est produit quelque chose
d'important dans ma vie qui s'est
remplie de lui à l'hôpital où je les ai
laissés pour une nuit étrange où je
me suis endormi papa
extrait de Côté jardin
tu surveilles l'éclosion des tulipes d'amsterdam
dans la plate-bande à l'entrée de la maison leur
accordant une attention toute particulière par
rapport à leurs semblables indigènes car elles
viennent d'amsterdam et non d'ici ces grandes
fleurs solitaires que tu épies ces abats-jour de
jardin que l'on t'a rapporté de là-bas l'année
dernière pour que tu aies à l'œil aujourd'hui
ces belles fleurs renflées suggérant la hollande
extrait de le volume de nos existences
je suis pendu au fil de la ligne téléphonique
qui vibre comme une corde de guitare blues
une mélancolie bleue à formule constante
qu'un vieux noir rythme à quatre temps je
suis pendu à mon cafard qu'un vieux noir
fait grincer au bout de ses doigts en pinçant
les cordes de ma mélancolie dont je connais
l'harmonie par cœur qui bat à quatre temps
dans un téléphone dont la ligne est coupée
tous ces gens parmi les galeries marchandes /
dans la file des voitures au feu /
stoppés dans la course vers l’hypermarché /
ils prendront bien le temps de mourir
finissait toujours par dire ta grand-mère
qui avait frôlé la faucheuse très tôt /
tuberculose / un poumon mort / & puis faire
avec les deux tiers d’un autre
à perpète / tu repenses à cette réplique
pris dans les embouteillages / à la sortie
des bureaux où tout le monde
se précipite sous des hangars à consommer /
payer ce qu’on gagne à peine /
déjà presque trépassés sans le savoir / enfants
tomate + basilic = été au jardin
dans ton assiette / avec tous les étés
de tous les jardins / celui-là même
qui paresse devant toi & d’autres
plus à l’ouest souffrant du manque
de pluie / malgré le ciel nuageux
cet après-midi / une averse en soirée
ici / l’été avec ses roses éphémères /
ses feuilles qui chutent déjà là-bas /
t’apprend-on / au-delà des haies
du bocage & des marais / le basilic
en lamelles + une tomate en rondelle /
des mots qui t’ouvrent un présent
de futurs regrets d’étés au jardin
ELLE EST ELLE…
Elle est elle / ton héroïne de chair
que tu revois venant à ta rencontre
sur le trottoir / allant sous les arbres
de la contre-allée où son escalier
donne / quinze ou seize ans plus tôt
que tu combles tandis que tu repenses
à ça/aux néons sur son visage
qui éclaire le soir sur le boulevard /
encore ta vie à distance / jeune fille
qui sera ta jeune femme / ta vive
de mouvement d’eau & de lumière
pour traverser une fin de siècle morte
& le début du suivant si moribond /
ton amour ton amour dans la nuit
en cette veille de la saint-nicolas on égorge les oies dans le bocage on les prépare pour la nuit de noël alors que les maître-sonneurs se replient dans les bois pour semer un air de cornemuse aux fiancées de circonstance abandonnées sur les sentiers de la mémoire leur peau au goût de châtaigne et de blé noir évaporée un matin entre huriel et la châtre que la route est longue jusqu’au printemps
les lueurs bleutées du pressing à travers le pare-brise donnent au carrefour un air de piscine une allure de menthe claire ouvrant sur la rue qu’on emprunte à l’heure noire qui vient de tomber tandis que brassent les rangées de cintres devant la vitre plastifiée paquebot de machines à quai sur le trottoir qu’on devine à travers le hublot de notre voiture redémarrant dans le chlore du soir