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Citations de Rouja Lazarova (33)


Elle m'a surnommé Rino. Elle dit que je suis insensible, que j'ai l'armure d'un rhinocéros, c'est pour ça qu'elle a choisi ce sobriquet, pas à cause de la corne, hélas ! Si elle avait feuilleté le dictionnaire, cette petite paresseuse, elle aurait appris que la peau du rhinocéros est extrêmement fine et sensible, et qu'il se roule toute la journée dans la boue pour se protéger des moustiques. Son armure, c'est une croûte de boue sèche, c'est tout...
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« Tu avalais les mots, alors, tu t'es mise à vomir la nourriture. »
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Je ne voulais plus mentir sur mon passé, je voulais le ressusciter, aussi mortifère fût-il, mais je n'avais pas de souvenirs. De ma mémoire soufflait le vent sec du désert, qui me brûlait. Ne pas se souvenir était une torture.
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Dans mon pays, j'avais voulu étudier les lettres françaises. On m'immergea donc dans Le Roman de la Rose et, pendant trois années d'académisme austère, je ne pus en ressortir la tête. Tout bien pensé, la littérature médiévale avait l'avantage d'être politiquement très correcte et de ne pas déranger le régime communiste. Un jour, pourtant, un professeur français vint dans notre université pour y dispenser un cours de littérature moderne. De littérature quoi ? Moderne, ai-je bien dit. Il repartit, laissant derrière lui une traînée lumineuse de références introuvables dans les bibliothèques locales et, en moi, une durable impression d'amertume.
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Le socialisme avait développé chez l'homme un muscle du silence parce que les mots, une fois prononcés, pouvaient se retourner contre lui. Situé au niveau du diaphragme, ce muscle les happait et les enfermait. C'était l'organe de protection de l'espèce.
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Si elle démarrait par un état physique de détente, d'abandon, l'écriture devenait très vite tension. Elle affluait dans le corps, raidissait les muscles et gorgeait la tête de sang. Elle s'emparait du visage, tordait ses sourcils, sa bouche, le faisait grimacer. Elle le transformait en visage de clown sans public.
L'écriture remuait le corps parce qu'elle laissait s'échapper le désir.
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Je me leurrais terriblement. La mort était un mot dont on n'apprenait vraiment le sens que quand elle advenait.
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Pourquoi choisir *tomber*, ce mouvement descendant qui rabaisse et écrase, pour une femme qui *devient* enceinte ? Ne peut-on pas exprimer les débuts de la grossesse par un verbe approprié, *enceindre*, par exemple ? Quelle étrange option pour exprimer la conception d'un enfant ! Pourtant, la procréation semble vénérée comme l'accomplissement final de l'homme. Le langage, lui, en révèle l'angoisse intrinsèque.
Tomber enceinte, tomber amoureux, tomber malade, on y lit la même fatalité, la même impuissance accablante devant les faits. Il est étonnant de constater la fréquence du verbe *tomber* dans les locutions françaises. La langue veut-elle abattre les serfs qui osent la parler ? Ou bien, fait-elle juste preuve, en recourant si souvent au fatalisme inhérent à ce verbe, de résignation devant le destin ?
(...)
*S'envoyer en l'air* pour *tomber enceinte*, je ne pus m'empêcher de sourire malgré le tragique de la situation. Quelle drôle de langue, qui nous projette vite des espaces célestes des rapports amoureux aux responsabilités terrestres d'une grossesse.

p106/107
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"Nourriture". Quand on répétait obstinément un mot, il devenait mot-clé et ouvrait les cadenas de l'oubli. Il aidait la navigation dans la mémoire, il accélérait les recherches.
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- Rien de grave, maman, j'ai dû prendre froid.
Maman écarquilla les yeux.
- Qu'est-ce que tu as pris ?
Je pris conscience du malentendu. J'avais utilisé une expression française, la traduisant littéralement en ma langue où, naturellement, *prendre froid* ne voulait rien dire.
(...)
Que s'était-il passé ? J'éprouvais la sensation pénible d'avoir perdu ma langue maternelle. Cette idée provoqua une douleur lancinante. Amputée d'un organe vital, invalide à vie. Au cours de mon exil à l'étranger, ma vigilance endormie avait permis à l'oubli d’œuvrer.

p. 127-128
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- Camarade, pourriez-vous la poster? C'est rien de politique, c'est juste pour la famille, pour dire que tout va bien.
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Qu'est-ce que le passé sinon un vaste champ de bouses, que la mémoire a recouvert de pâquerettes pour étouffer l'odeur et embellir la vue ?
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Une note de tendresse perce dans la voix de Jean. Ils sont bien tous les deux, partageant une vie calme, sans grande surprise mais pleine de complicité et d'affection.
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Je suis une jeune fille mal rangée, et s'il le faut, j'écrirai mes mémoires pour chanter le desordre.
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Raconter ces histoires trace une frontière avec le passé, l’éloigne comme une rive d’embarquement…Mais ça reste. Cet arrière goût que laissent des événements anodins. Des flashs du communisme aveuglants. Des piqûres de rappel.
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La mémoire était un travail à temps plein, une existence parallèle. Il fallait s'en occuper, la nourrir, elle avait sa propre cuisine dont j'ignorais encore les recettes. En lisant je compris qu'il fallait continuer à extirper les souvenirs un à un, avec la racine, car certains, comme les mauvaises herbes, empêchaient d'autres souvenirs de pousser. La mémoire était un état de veille permanent. p.60
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Le grand amour sublimé de ma vie, ce sont les anorexiques. Les psychanalystes diraient qu'elles me rappellent les jeunes filles de mon adolescence dans le camp, ils ont peut-être raison. Moi, je suis fasciné par leur courage à braver les contingences sociales et les lois de la nature, par leur aspiration à une liberté absolue. Elles y parviennent parfois, quand elles ne meurent pas. Ce sont parmi les personnes les plus libres que je connaisse, mais elles sont aussi incroyablement dépendantes. J'aime leurs contrastes : leur sensibilité exacerbée et leur froideur, leur volonté de fer et leur extrême fragilité. p.38
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J'aimais cette robe : elle avait des couleurs, et les couleurs étaient subversives. La matière faisait parcourir sur ma peau le frisson de liberté.
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On aurait pu décrire le cancer en commençant par l'hôpital, parce qu'une partie de l'existence du cancéreux s'y déroulait. L'énorme tourniquet en verre du hall d'accueil transformait le monde en un demi-tour : l'extérieur demeurait plein de couleurs, d'odeurs, d'envies; à l'intérieur, l'odeur s'industrialisait, les couleurs pâlissaient, la lumière gommait les reliefs et les ombres - seule demeurait l'envie de la vie.
C'était un labyrinthe de longs couloirs aboutissant à des virages, des ascenseurs ou des impasses. Ils possédaient leur propre signalétique, des marquages au sol, des panneaux à chaque croisement, indiquant par une flèche la direction des différents services. A partir de ces panneaux-là, un nouveau langage commençait. Il apportait la science, mais désincarner la maladie. Il la nettoyait de la souffrance et, une fois aseptisée, il la nommait. Il l'intégrait dans une classification complexe, apportait des réponses et des traitements aux appellations obscures. Les panneaux orientaient dans l'espace mais ils plongeaient dans la confusion linguistique. A l'hôpital il fallait apprendre une langue étrangère pour survivre.
La circulation se faisait à pied ou à roulettes, debout, allongé ou assis. La vitesse variait. Les virages étaient parfois difficiles à prendre pour les lits médicalisés. Le corps médical se déplaçait rapidement, il semblait toujours en retard. Le corps malade était lent, on le bousculait parfois. [...]
Ce qui me frappa d'emblée, ce furent les portes ouvertes des chambres des malades. Elles laissaient entrevoir un bout de corps immobilisé sous une couverture, un écran de télévision. Ces chambres béantes m'indisposaient parce qu'elles violaient l'intimité du patient, au nom de sa sécurité. Cela me répugnai, je ne voulais pas regarder - à l'hôpital, je marchais en fixant le sol. p.118
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On pourrait aussi décrire le cancer comme une successions d'examens qui prenaient la journée, nécessitaient parfois une hospitalisation, des interventions chirurgicales ; des examens qui prenaient l'allure de soins. On pourrait tenter de saisir la complexité et les phases de l'attente des résultats, de décrire la large palette émotive que traversait le cancéreux : du gris de la peur aux couleurs de l'optimisme, en passant par la teinte instable des émotions des proches, que le malade vivait par ricochet. p.117
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