Ainsi va la vie
Présentation :
Vétéran de la Deuxième Guerre mondiale, le Germano-Américain Kurt Vonnegut a choisi l'alibi de la science-fiction pour construire une oeuvre, qu'on hésite toutefois à faire entrer dans ce genre littéraire. Par nature hostile à toute forme de classification, me voilà ravie de pouvoir considérer cette histoire comme inclassable. Néanmoins pour les irréductibles puristes qui voudraient coûte que coûte faire entrer chaque chose dans une case, il est toujours possible de qualifier cette lecture de pamphlet antimilitariste. Et surréaliste aussi, comme aurait pu le dire Hugh Grant... Par certains aspects, ce texte emprunte également à la satire. Inclassable, que je vous dis. C'est ainsi que, sur un ton incomparable, l'auteur a échafaudé une histoire rocambolesque qu'il déclare « vraie » au prétexte que « tout ce qui touche à la guerre n'est pas loin de la réalité. » De plus, au sujet de l'absurdité du monde et de l'inconséquence des individus qui le peuplent, toujours prompts à commettre mille turpitudes, ce récit n'est pas sans rappeler l'ironie caustique de Voltaire à l'égard des pérégrinations de son Candide. Du coup, avec cette référence à Voltaire, ce livre tiendrait même du conte philosophique ! Le tout saupoudré d'une belle dose d'irrévérence envers la société tout entière ; instances civiles et religieuses n'ayant pas non plus été épargnées.
Quant au sous-titre « La croisade des enfants », celui-ci ne fait pas seulement allusion à la croisade des enfants de 1212 mais à la guerre elle-même que des hommes d'âge mûr envoient faire à leur place par des « gosses » ; en l'occurrence des garçons à peine sortis de l'adolescence dont certains n'atteindront jamais la vingtaine ou, si d'aventure ils en réchappent, subiront les affres de ce que la psychiatrie moderne a nommé « syndrome de stress post-traumatique ».
Histoires dans l'histoire :
Pour parler du contexte de l'époque, il faut savoir que Kurt Vonnegut, alors incorporé dans l'infanterie américaine, a été fait prisonnier par les Allemands en 1945 et qu'il assistera à la destruction de Dresde par les Américains. Dans Abattoir 5, cette tragédie hante l'esprit de Billy Pèlerin, sorte de double de l'auteur, puisque ce personnage central a aussi été témoin du bombardement de cette même ville allemande, tandis qu'il avait trouvé refuge dans une cavité sous un abattoir désaffecté. À partir de son expérience, nous sera retracé l'étrange parcours de Pèlerin, cet Américain moyen opticien de profession.
Une fois revenu à la vie civile, Pèlerin rentre dans le rang, se marie, a deux enfants. Un jour, un vaisseau spatial extraterrestre l'enlève pour l'emporter sur la planète Tralfamadore située à des milliards de kilomètres de la Terre. Dans cette dimension parallèle, il connaîtra une autre femme terrienne, une star du X dont il s'éprend et qui, elle aussi, avait été kidnappée. Le héros sera ensuite en mesure de saisir la vraie nature du Temps, avec un T majuscule, à savoir le Temps selon les Tralfamadoriens. En effet, pour ces drôles de créatures hautes de deux pieds, notre temps linéaire sonne comme une aberration. Il n'y a bien qu'un pauvre esprit limité de Terrien pour avoir recours à des notions aussi farfelues que le passé, le présent et le futur…
Après cette révélation, on comprend aussi pourquoi Pèlerin survole plus son existence qu'il ne la vit. En effet, son abduction lui a donné la capacité de « décoller du temps », qui le rend comme étranger aux événements, un peu comme si son super pouvoir lui permettait d'évacuer les atrocités de la guerre en passant sans cesse d'une période à l'autre de sa vie. On pourra y voir une espèce de métaphore de ce qu'on appelle aujourd'hui la « résilience ». Ici, il s'agit de s'extraire de la réalité pour échapper à l'horreur.
Mon avis :
La mort fait partie de la vie, à plus forte raison quand la guerre s'en mêle. Pour le dire trivialement, ce roman a donc été construit autour de cet enfonçage de porte ouverte et, je le répète, dans un style pareil à aucun autre.
Notons aussi que, peu après la fin de la guerre, Pèlerin entre en clinique psychiatrique où un certain Eliot Juderose lui fait découvrir les romans de Kilgore Trout, un auteur de science-fiction qu'on peut qualifier d'obscur vu le portrait peu reluisant qui en est fait. Dans une réplique irrésistible Juderose dira même : « Je suis le seul à avoir entendu parler de lui. Il n'a pas publié deux livres chez le même éditeur et chaque fois que je lui écris aux bons soins d'une maison d'édition, elle a fait faillite et la lettre m'est retournée. » Humour d'écrivain… qui a d'ailleurs un sens aigu de l'autodérision. Autre aparté qui en dit long : « Si seulement Kilgore Trout écrivait bien, gémit Juderose. Il y avait du vrai là-dedans : Kilgore Trout méritait son peu de succès. Il écrivait comme un cochon. Tout ce qu'il avait c'était de bonnes idées. » Comme si cette considération renvoyait au parti pris narratif de ce roman – inclassable donc – qui déroule des fragments de vie décousus mais qui, en définitive, forme un tout cohérent si on s'en tient à la logique tralfamadorienne. J'ai pour ma ma part trouvé les idées de ce roman assez bonnes en effet, et pas si mal écrit que ça.
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