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Critiques de Samira El Ayachi (104)
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Le ventre des hommes

Rentrée littéraire 2021 #8



Je referme avec émotion cet riche roman qui oscille entre chronique sociale et récit de l'intime avec une ferme assurance. Il s'ouvre en 2016 avec la garde à vue d'Hannah, professeur des écoles, suite à une faute grave dont la teneur ne sera révélée qu'à la toute fin. L'interrogatoire est l'occasion pour elle de remonter le fil de sa vie, comment les choses se sont imbriquées depuis le début des débuts. Et c'est à son enfance qu'elle pense, qui «  comme une claque froide se jette sur (son) visage ».



La première partie est centrée sur le parcours de Hannah depuis son enfance en 1987 à Lens. Hannah est fille d'un mineur marocain. Cinq enfants et les parents dans un minuscule coron sans salle de bain. « On mange la mine, on dort la mine, on sent la mine. » Germinal plane partout, du nom des rues, du collège, aux textes étudiés en classe. Samira El Ayachi manie une plume à la fois vive et tendre, pleine d'humour et de saveur pour raconter le manque d'intimité, la précarité, la chaleur d'une maisonnée bordélique, la solidarité entre voisins, la lecture comme refuge ( «  à chaque fois que je sors d'un livre, je m'allonge, je m'agrandis. Je m'agrandis »). Les phrases sont riches, colorées, incroyablement vivantes. Et elles savent aussi dire la douleur du transfuge de classe lorsque Hannah accède brillamment aux études supérieures mais massacre ses chances de réussite au CAPES de français comme pour ne pas trahir ceux dont elle s'éloigne à mesure qu'elle accède à la culture et au savoir.



Puis dans la deuxième partie, absolument passionnante, le roman prend une autre dimension avec l'histoire du père qu'Hannah découvre sur le tard à travers un carnet écrit en arabe et une copie de l'enregistrement d'une interview. La voix du père, emplie de la poésie des simples et d'un lyrisme droit, se fait entendre et à travers elle, c'est tout un angle mort du récit national qui est exhumé. C'est très clairement le récit du père qui m'a le plus accrochée. Entre les années 1960 et 1980, le sergent-recruteur Félix Mora a écumé le Sud du Maroc, autour du Haut-Atlas pour trouver des mineurs qui manquaient aux houillères du Nord et de Lorraine. C'est lui qui a recruté le père en 1974 comme 100.000 autres Marocains prêts à tout pour fuir les premières conséquences de la sécheresse et rejoindre un pays de Cocagne. C'est bouleversant de voir Hannah découvrir cette histoire cachée du père et ces parcours migratoires douloureux  : le tampon vert apposé à même la poitrine pour valider les candidatures, la traversée terrifiante de la Méditerranée en 5ème classe, les baraquements en bois à l'arrivée, la découverte suffocante de l'abattage du charbon, l'humiliation de se voir refuser le statut de mineur et ses avantages. Et les combats du père comme porte-parole des autres mineurs marocains lors des grèves de 1987 à l'annonce de la fermeture des mines ( cyniquement connues dès les recrutements de Mora, plus faciles de se débarrasser des étrangers que des Français ... ).



Par contre, je n'ai pas compris le choix de Hannah et j'ai presque été déçue de découvrir ce qu'elle avait fait, ce qui l'a conduit en garde-à-vue. le parallèle entre l'ample rébellion du père, pleine de sens, inscrite dans un collectif, me semble tellement supérieure au geste de la fille, que j'ai trouvé « petit » et incohérent … La transgression du père me semble bien plus légitime que celle qu'entreprend Hannah dans sa salle de classe. Même si je ne pars pas du principe qu'il faut à tout crin comprendre un personnage pour apprécier un roman, j'ai été gênée par les atermoiements de Hannah adulte alors que les souvenirs d'elle enfant et ceux du père m'ont tour à tour touché et bouleversé, jusqu'aux derniers mots, superbes.



Malgré cette réserve, je trouve que Samira El Ayachi interroge puissamment sur l'identité, la transmission, sur les héritages invisibles. Elle questionne intelligemment notre rapport aux lois, à l'autorité face aux injustices sociales. Comment se construire et garder sa propre lumière quand tout concourt à l'obscurcir, dans un contexte post-attentat 2015 très anxiogène ? Ou comment la mémoire d'une fille devient le tombeau le plus digne pour son père.



Lu dans le cadre d'une masse critique privilégiée
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Le ventre des hommes

J'avoue rencontrer des difficultés à me lancer dans le commentaire d'un livre qui , je dois le dire , ne m'a pas vraiment convaincu dans la mesure où Hannah en est la narratrice et que Hannah , ma foi , ne représente pas pour moi un " témoin " parfaitement fiable .

Lorsque s'ouvre l'histoire , Hannah est arrêtée, en classe , devant ses élèves. Cet acte d'une violence extrême a de quoi interpeller , ce " geste " n'étant pas trop crédible, la police redoutant plus que tout ,les interventions, très traumatisantes, en milieu scolaire . C'est spectaculaire , certes , mais ....

Ensuite , on revient en arrière pour faire la connaissance de Mohammed , le père marocain d'Hannah , venu travailler dans les mines du Nord au moment où la main d'oeuvre manquait et où, oui , les promesses de l'état français pouvaient laisser croire à l'accès à une vie plus " facile " sur une terre "accueillante " . La réalité, hélas, était tout autre et les " regroupements familiaux " ne garantissaient pas à ces gens de rester dans leur " nouvelle patrie " .Le courage et l'instruction de Mohammed allaient lui permettre de gagner le respect de ses compatriotes et le regard " plein de tendresse " de sa fille , cette fille de l'exil . On peut toutefois deviner la détermination de Mohammed lors de ces réunions secrètes avec ses amis , réunions sur lesquelles un voile pudique.....

Hannah , on le vit avec elle , se nourrit de lectures , de puissantes lectures . Intelligente , courageuse , brillante élève, elle peut passer pour une superbe " intégration réussie " mais la voilà à retrouver les pans de l'histoire de son père et à vouloir , elle aussi , vivre " son exil ".Là , je me désolidarise. J'aimerais savoir en quoi être professeur des écoles est moins " prestigieux " que professeur de lycée ? Apprendre à lire et à écrire à des enfants de CP serait moins important qu'une discussion philosophique menée avec des élèves de terminale ? Pourquoi se " réclamer " du père pour justifier le refus d'être " soi - même ? Il me semble que " tout se mélange " dans la tête d'Hannah au point de lui faire perdre toute raison par rapport à sa mission d'enseignante . Son couple avec Nils......

" L'exil dans l'exil " , mettre ses pas dans ceux de son père, reprendre son combat , appliquer ses propres règles. Je vais lâcher le terme , " se victimiser " . Hannah se victimise .Oui ,la révolte de son père mérite le respect et se justifie .A chacun d'entre nous de compléter la même phrase , mais concernant Hannah , en son âme et conscience .

Ce récit est un récit personnel qui n'engage que celui qui l'a écrit .L'auteure est tout à fait en droit d'écrire ce qu'elle ressent , tout comme le lecteur peut ou non adhérer , se laisser emporter , " vivre " avec les personnages . Personnellement , et je le regrette , je n'ai rien " senti vibrer " en moi .Le style est particulier mais bien adapté aux pensées qui se télescopent dans la tête de la narratrice , les témoignages du père sont émouvants par leurs accents de sincérité....

Élèvé dans une ancienne et bien modeste cité minière fermée en 1964 juste après l'effondrement d'une galerie sur le père d'un de mes copains de classe , devenu prof. de collège , je pensais trouver dans ce livre un " je ne sais quoi " de ma jeunesse mais j'avoue avoir seulement retenu la colère un peu " égoïste "d'Hannah ...à une autre époque...Etait-ce vraiment perpétuer la colère ou assurer un bel avenir à ses enfants le plus grand désir de Mohammed ?

Je tiens vivement à remercier toute l'équipe de Babelio et les Éditions de l'aube qui m'ont permis de lire ce livre " en avant - première ", un grand honneur , une belle confiance.

Ah ! L 'ouverture du livre....Vous saurez tout à la fin....Moi , je me suis dit : " Tout ça pour ça ? "....Mais si j'ai mes raisons de penser ainsi , je ne prétends pas avoir raison ....Rien de mieux que de se faire sa propre opinion .
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Les femmes sont occupées

Depuis que son mari a demandé le divorce et est parti sans plus s'occuper de leur fils en bas âge, la narratrice se retrouve en situation de « famille monoparentale » : entre son travail, l'enfant, l'absence de solution de garde et les tâches domestiques, sa vie explose en un chaos bien vite inextricable, où tout la contraint à faire des choix inacceptables.





Cri de rage et coup de gueule, ce livre est un uppercut plein de colère envoyé à la face du monde, façonné par les hommes et pour les hommes. Définitivement féministe, mais aussi proche de tous les mouvements de contestation récents, l'auteur exprime sa révolte avec virulence, sans mâcher ses mots, plaçant le lecteur dans les chaussures de cette mère-célibataire en galère en rédigeant le récit à la seconde personne du singulier.





Son constat est amer : en matière parentale et familiale, les femmes n'ont dans les faits quasiment que des devoirs et les hommes que des droits. Le partage n'est pas équitable : si certains pères doivent s'enchaîner à des grues pour pouvoir jouer leur rôle, il est facile pour d'autres de s'en tirer avec le minimum de présence requise, voire d'échapper à toute pension alimentaire. A la mère d'assumer ce qu'il est convenu de considérer comme sa fonction naturelle, et tant pis si elle doit en plus subvenir aux besoins du foyer. De toute façon, même en couple, n'a-t-elle pas pris l'habitude de tout assumer de front, offrant à son mari « le pack femme à tout faire + enfants en forfait illimité » ?





Rédigé en une succession de saynètes croquées sur le vif, ce récit militant est écrit avec autant d'humour que de passion, insistant justement sur les combats qu'il reste à mener pour l'émancipation féminine, mais réduisant un peu trop à mon goût le rôle de l'enfant à celui d'un boulet.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Le ventre des hommes

2016, des parents, des enfants, des curieux, dont les yeux se fixent sur Hannah institutrice qui vient d’être arrêtée par la police, dans sa salle de classe. Pendant son audition au commissariat elle se souvient.



Retour en 1987, dans le Pas-de-Calais, Hannah a cinq ou six ans, sa famille habite dans une petite maison des mines. Les bacs en zinc, les toilettes à l’extérieur, le poêle à charbon. Les corons, la solidarité, l’intimité partagée. Madame Vache l’institutrice et la découverte de la langue française. La mine qui tire sa révérence, la dernière remontée des mineurs.



L’attrait de la télévision, le collège et le temps des copines, la surveillance incessante du père. L’Amérique, le lieu du rêve de tous les possibles. L’horreur du monde, la guerre en Irak à la télévision comme un grand jeu vidéo avec ses frappes chirurgicales et ses dommages collatéraux dans la population civile. Elle ne comprend rien aux dingueries du monde adulte.



La terminale et la découverte de la philosophie, une science où l’on aime se poser des questions sans fond. La petite fille qui ne se reconnaît plus dans le corps de la femme qu’elle devient. Les études supérieures, la grande ville, elle découvre que tout le monde n’est pas comme elle, elle a honte de sa provenance, elle a mal à sa famille.



Et puis un jour, elle lit Germinal et quelque chose se passe.



Le père qui a quitté la terre sèche et brûlante de son village, la femme qu’il vient d’épouser, son enfant qui vient de naître, il a tout quitté, pour creuser un trou dans une mine. Les mots du père retranscrits tels quels dans un cahier pour expliquer l’histoire de trois mille Marocains envoyés dans les mines du Nord de la France avec la complicité du roi Hassan II et jetés comme des pommes pourries à la fermeture des puits. Des hommes déracinés, traités comme des bêtes, le corps et le cœur déchirés en deux parties.



Une ode à la diversité de la langue française, aux bibliothèques, à la magie des livres. L’admiration d’une fille pour le combat de son père pour faire reconnaître ses droits par la France. Une réflexion sur la désobéissance, sur le métier d’enseignant, sur la montée de l’islamisme et de l’extrême droite sur fond d’attentats terroristes et de la peur qui s’installe dans le pays. Sur le bonheur de ne rien posséder.



Quelques fac-similés de documents d’époques éclairent le propos, le dernier, de la direction du personnel des houillères, intitulé « conseils à la maîtrise concernant le comportement envers les ouvriers nord-africains » termine ce roman social et engagé, résolument ancré dans notre société, porté par une écriture vivante, militante et émouvante.



Un merci infini aux éditions de L’Aube et à Babelio de m’avoir permis de lire ce grand roman en avant-première.
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Le ventre des hommes

C'est par une irruption d'hommes en bleu dans une salle de classe que débute ce roman, le lundi 14 novembre 2016. Ils viennent embarquer la maîtresse-narratrice pour le commissariat à la recherche de faits semble-t-il, même si les faits elle ne les a pas. Mais c'est surtout le premier mystère d'un roman qui en déploiera aussitôt un autre : celui d'un père vu par les yeux de sa gamine en 1987, un père exilé du Maroc et qui passe un soir à la télé, au JT. Nous remontons le temps et c'est bien le monde d'Hannah que nous découvrons, future maîtresse, petite tout d'abord Rue Georges Bizet, quelque part dans le Pas-de-Calais, quelque part dans les corons : « Dans la maison des mines, on est tellement les uns sur les autres que la maison des mines n'en peut plus. » Son père est mineur, son père est marocain, son père est exilé. Sa famille est déjà grande pour un si petit poste de télé, deux petites, deux moyens et deux grands. Sa maison repoussera tant bien que mal les murs, surtout pour y accueillir d'autres mystères aux yeux d'Hannah, et aussi d'autres mondes : « Du monde dans le petit salon sans bonbons. du monde dans le grand salon, dans le couloir. »

Le roman traite d'un sujet historique bien sûr, et tout autant délaissé, le lecteur aura vite fait de le comprendre. Les mineurs marocains, recrutés quand on avait besoin d'eux dans les années 60, vite oubliés et invités à rentrer chez eux au moment des fermetures minières. Leur vie leur combat, vues depuis l'enfance d'Hannah tout d'abord, puis le reste de sa vie.

Mais c'est aussi à un beau personnage d'Hannah en rébellion auquel on aura droit en filigrane. Campé et vivant au possible, il se développe à petites doses, à se demander s'il est pas là aussi le sujet principal en plus du père marocain et son combat à la mine. Son enfance dans les corons au milieu des terrils, une adolescence qui s'en éloigne, des chapitres aux noms d'adresse comme le parcours d'une fille de l'exil chez qui souffle la liberté, autant de points d'ancrage dans une vie à revisiter plus tard, même si elle s'interdit la nostalgie. Et puis le flux, le reflux des sentiments, un fond de colère, à travers lesquels sa silhouette s'affermit par bribes successives : depuis la petite écolière modèle pour répondre aux injonctions parentales d'exilés, l'adolescence un brin insoumise, beaucoup plus tard la découverte des autres mondes possible et du déterminisme social - merci Bourdieu, l'insertion sociale difficile, et son amour de Nils, sa rébellion d'enseignante, sa passion des livres pour s'agrandir des vies qu'elle n'a pas eues.

Il y est aussi question de langue, omniprésente. La langue de Samira El Ayachi comme vecteur du roman tout d'abord, vive et alerte, libre et évolutive, à coups de phrases le plus souvent courtes et incisives au début pour finir longues et déployées, comme nourries de lyrisme, au bord de la nostalgie même si le plus souvent imagée. Une langue qui emporte tout et secoue le lecteur de bout en bout. Mais elle est aussi sujet du roman, très vite conscientisée par Hannah dans les corons au milieu de polonais, italiens ou maghrébins : «Autour de moi chacun parle et gesticule ses langues. Moi aussi je parle la mienne ». Elle apparaitra aussi dans les expressions de la famille exilée, ou dans un enregistrement sonore du père.

On pourra s'accommoder d'une histoire qui semble hésitante, d'un sujet à l'autre, de l'exploitation des immigrés discriminés dans les mines à l'éducation en passant par les attentats ou les transfuges de classe, même si tout est plus ou moins lié dans le fond, comme s'il y avait eu quelque chose en héritage d'un père à sa fille : « J'en ai pas dormi de la nuit. La nuit me rejetait. Me faisait tourner dans le vide. Est-ce dans ce vide-là que tournait mon père lorsqu'il a pris la parole, il y a ce qui semble une éternité ? Est-ce dans ce vide-là que ce jeune travailleur immigré a dit « Je demande mes droits à la France »... ? »



Merci aux Éditions de l'Aube ainsi qu'à Babélio pour cette belle lecture !
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Le ventre des hommes

Pourquoi lire ce livre ? Parce que le ventre des hommes, c'est la mine dans laquelle ils descendent tous les jours, au risque de leur vie. La référence à Germinal est omniprésente, et ce livre fascine Hannah autant qu'il la repousse. Jusqu'au jour où elle a accès à l'histoire de son père : tous les événements obscurs de son enfance prennent alors soudain sens, depuis les raisons de leur interdiction de retourner au Maroc jusqu'au passage de son père à la télévision un soir de 1987. Ni héros, ni déchu, son père est un homme qui a tour à tour subi et pris en main son destin.⠀



Je n'aurais raté pour rien au monde ce roman au milieu de la rentrée littéraire. Car je connaissais déjà l'autrice, que j'ai découverte avec le très dynamique Les femmes sont occupées, où il était question d'une romancière et autrice pour le spectacle vivant, qui se débattait avec sa vie de mère célibataire (en couple ou pas). Cette fois, elle reste dans l'autofiction, mais sur un sujet à la fois plus intime et plus historique, inspiré de l'histoire de son père, réfugié climatique venu du Maroc et mineur dans les Houillères du Nord de la France dans les années 1970.⠀



Avec ce thème, l'autrice a réussi le tour de force d'imbriquer les circonstances historiques qui nous dépassent, qu'elles appartiennent à l'histoire de nos parents ou à notre propre passé récent (comme les attentats de 2015), et les répercussions du destin des parents sur celui des enfants (Hannah, l'héroïne, est devenue enseignante après un parcours d'excellence scolaire, mais elle ne sait pas ne pas saboter sa carrière). Exactement le genre de livre que j'aime !⠀



Cela vous fait-il penser à d'autres romans, qui mêleraient ainsi petite et grande histoire sur plusieurs générations ?⠀
Lien : https://www.20minutes.fr/art..
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Le ventre des hommes

Hannah fille d'immigrés marocains,grandit dans la précarité mais réussit pourtant à faire des études et à devenir professeur de français. Ce roman aurait pu être un énième récit sur le déracinement et les conflits intergénérationnels entre 1 ère,2 ème ou même 3 ème génération d'immigrés, mais il est bien plus que ça ! Samira El Ayachi nous transmet un épisode peu relaté de " l'amitié franco-marocaine"( entendez accords entre dirigeants pour s'enrichir sur le dos du peuple). En 1963 une convention est signée entre la France et le Maroc afin de recruter massivement de la main d'oeuvre bon marché pour travailler dans les mines du bassin houiller du Nord et Pas de Calais. Il faut des bras et si possible pas de tête. La consigne est claire,si l'on veut faire partie des élus ,ne surtout pas dire qu'on sait lire ! Le père d'Hannah arrive en France dans ce contexte. Le statut de ces immigrés est lamentable. Contrairement aux Italiens, polonais, algériens, ils n'ont pas droit au statut de " mineurs" ce qui impacte leurs droits et surtout,aura une importance capitale dix ans plus tard lorsque les mines fermeront. Dans le mépris et l'hypocrisie l'état français, toujours de mèche avec le roi du Maroc lance sa politique de " retour au pays", c'est " la banalité du mal". Samira El Ayachi raconte cette histoire à travers le récit et le regard de l'enfance puis de l'adulte qu'est devenue Hannah. Par ce biais elle aborde de nombreux sujets transversaux comme la place de la littérature,le lien inconscient avec la langue d'origine,la filiation du sang mais aussi du coeur et son devenir lorsqu'une séparation conjugale sépare l'enfant de son beau parent. Elle questionne également le rôle de l'enseignant et les carcans qui empêchent parfois d'enseigner autre chose que la défiance de l'autre. J'ai été touchée par la finesse avec laquelle elle décrit la violence du regard extérieur sur une famille,une population,ceci en toute bonne conscience. Le vécu de l'enfant est emplit d'imaginaire qui lui permet d'avoir un regard positif sur ce qu'il vit et c'est parfois ce que lui renvoie l'extérieur qui le brise: "il est une douleur plus forte encore que d'être plus pauvre que les autres. C'est d'être vue comme miséreux par ces gens là. Et petit à petit par soi".

Le ventre des hommes transmet l'histoire et redonne dignité à ces hommes en replaçant leur vécu et leur combat dans l'Histoire collective. Elle leur redonne fierté ainsi qu'à leurs descendants. Non, ils ne sont pas " la bête enfant d'analphabétes". Car ce récit est aussi celui de la lutte menée par son père et Hannah ne comprendra que tardivement cet engagement et l'importance de la parole car " si elle n'est pas prise,elle aussi, bouffe le ventre,vient te chercher la nuit, t'empêche de dormir..."

J'ai eu de la chance de découvrir ce roman en avant première grâce à la masse critique privilégiée de Babelio et je l'en remercie vivement ainsi que les éditions de L'Aube . L'écriture de L'auteure est vivante, spontanée tout en étant souvent très poétique. Je ne suis pas enseignante mais je pense que cet ouvrage serait très intéressant à travailler avec les jeunes car il regorge de sujets de société qui ouvre au débat et à la réflexion en plus de faire connaître une page de notre histoire.
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Les femmes sont occupées

Allo Maman solo : la romancière et femme de théâtre Samira El Ayachi choisit en cette rentrée d'aborder le sujet ô combien d’actualité des mères célibataires qui doivent assumer toutes les charges de la parentalité sur elles, sans être bien aidées par la société dans son ensemble qui ne cesse de leur mettre des batons dans les roues.



L'héroïne des "femmes sont occupées "doit ainsi tenter d'éléver son enfant ( dénommé Petite chose) et cela est particulièrement difficile dans un monde forcément dominé par un patriarcat établi et quasiment institutionnalisé .



Dans cette société qui fait bien trop reposer le poids de l’enfant sur la seule mère, ce récit de vie touche et évite la charge d'humour grâce à quelques notes d'humour bien senties.



En plusieurs chapitres courts et bien sentis Samira El Ayachi parvient à raconter la complexité du rôle de la femme d'aujourd'hui, cette femme qui vacille parfois mais ne rompt pas..
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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Les femmes sont occupées

Comme l’avait fait il y a un an Carole Fives dans Tenir jusqu’à l’aube, Samira El Ayachi décide de traiter du sujet des mères célibataires, des mamans solos. Cette histoire raconte le combat qu’elles mènent et traite des conditions des femmes et de leur émancipation. Elles sont de plus en plus nombreuses et souffrent de solitude sociale. Elles n’ont pas le droit de se construite en tant qu’individu. Je crois que beaucoup de mamans solos se reconnaitront dans ce roman. Les choses ont évolué mais on voit bien qu’il y a encore beaucoup à faire. De nombreux exemples cités le démontrent bien. Roman émouvant avec des touches d’humour qui n’enlèvent rien au message que veut délivrer l’auteur, bien au contraire.
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Le ventre des hommes

Au Nord, c'étaient les corons

la terre : c'était le charbon

le ciel : c'était l'horizon

les hommes : les mineurs de fond.



Le ventre des hommes : c'est la terre, celle de Mohamed qui cueillait des dattes sur son lopin au Maroc, mais qui a du partir pour trouver du travail pour élever sa famille !

Mais le ventre des hommes : c'est la terre noire des Houilléres du Nord ou il est allé s'installer !

Hannah Katib, découvre à la T.V son père et son action avec les autres mineurs.

Ce père qui a commencé à vivre son exil en célibataire dans un baraquement de 12 m2 pour 6 personnes en attendant le regroupement familial qui lui a permis de faire venir sa femme . Il ne savait pas un mot de français ( comme elle ), mais il est allé par 70 mètres de profondeur rejoindre les Polonais, les Italiens, les Algériens pour forer avec les marteaux piqueurs, le casque, la lampe à l'abattage avec l'angoisse du grisou !

En 1980 : 3500 mineurs ont fait grève pour que leur statut soit reconnu et, que leurs conditions de travail soient améliorées.

Hannah Katib, sa fille a été élevée dans une maison des corons à Lens avec l'amour de sa nombreuse fratrie et l'optimisme de sa maman qui gérait la maisonnée en disant " ça va aller-ça va aller ", avec la détermination de son père qui partait sur sa mobylette bleue pour leur offrir une vie nouvelle ! La mine a fermé, mais il a appris le français, est devenu une sorte d'écrivain public, a aidé de nouvelles familles de marocains à s'installer. Il voulait que ses enfants fassent des études pour réussir à obtenir un travail moins pénible que le sien, pour s'intégrer dans leur nouveau pays avec le maximum de chances d'y vivre une vie meilleure !

C'est ce qu'a fait Hannah qui est devenue une excellente élève et, qui après ses études à Lille a passé le CAPES de français pour commencer à enseigner !

C'est un hommage à son père : ce héros de l'ombre et du charbon qui a voulu se battre pour que" ses enfants agrandissent le monde".

Hannah a été déçue par l'enseignement secondaire et s'est reconvertie, en préparant, réussissant son concours d'instit en CE 2 pour être plus proche de sa vocation d'aide et de partage, mais, suite à des incidents relatifs à des exercices sécuritaires qu'elle n'a pas réalisé dans de bonnes conditions : elle s'est retrouvée en garde à vue !

Le roman se termine par un spleen sur l'exil, sur la nostalgie de son enfance dans les corons et sur la solidarité humaine ainsi que sur le pouvoir de transgression communiqué par son père !

Un roman autobiographique en prose, mais avec des passages envers libres très attachants, et qui rend un vibrant hommage à ces hommes qui ont participé dans l'ombre aux efforts nationaux pour aider à redresser une nation qui n'était pas la leur !

Merci à la Masse Critique Privilégiée de babelio et, aux éditions de l'Aube.
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Le ventre des hommes

La 4ème de couv m’avait alléchée. Pourquoi ? Parce que Zola fait partie de mon ADN de lectrice. Parce que le roman social contemporain me plait aussi avec par exemple l’excellent Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu, D’acier de Silvia Avallone. Parce que le Nord, j’y ai un peu trainé mes ballerines, en fredonnant les Corons, un morceau de tarte au sucre en main.

Alors je me suis plongée dans ce roman, comme on s’affale dans un canapé qui a l’air confortable. Hélas, tout cela a un peu manqué de moelleux ; les ressorts me sont rentrés dans les fesses.

Certes l’histoire est alléchante. Le mythe de la caverne appliqué à une enfant d’un couple d’immigrés. Sa découverte du monde au fur et à mesure qu’elle aperçoit ce qui se cache derrière au-delà de sa famille. Au-delà de sa mère, femme au foyer, ancrée dans ses traditions. Au-delà du père que l’on est allé chercher dans son pays pour travailler à la mine mais à un moment on aimerait bien qu’il y retourne. Dans son pays.

La difficulté de construire son identité, entre ce que l’on garde au plus profond de soi et ce que l’on essaie de devenir sans se trahir, pour s’intégrer dans un pays qui franchement ne veut pas tant que ça de vous.

Et puis il y a la littérature, l’instruction qui sauve. Il y a la solidarité des petites gens face aux difficultés, aux injustices. Il y a aussi ce traumatisme des attentats dont le bruit affreux résonne dans nos âmes, comme un écho menaçant, une sourdine grinçante.

Vous allez me dire : « alors finalement il doit être bien avec tout ça dedans ce roman ? ». Et je vous répondrais que finalement non, parce qu’il y a tout ça dedans. Trop de tout. L’auteure a voulu couvrir tellement de thèmes qui lui sont chers, que cela en devient un peu écœurant. Comme un petit gâteau qui avait l’air si bon en vitrine, mais qui est trop sucré, trop lourd, trop…trop.

Je suis déçue de cette lecture et déçue pour l’auteure de ne pas avoir un avis plus positif. Mais on en a lu et vu d’autres qui ont trop dosé dans certains romans, les premiers ou ceux qui tiennent le plus à cœur, mais qui ensuite ont appris à mieux gérer les ingrédients. Alors je lirai un autre roman de Samira El Ayachi. Promis.

Alors faut-il le lire ? Je vous recommanderais plutôt de vous diriger vers les deux romans cités plus haut.

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Le ventre des hommes

L'auteure n'est pas novice en écriture, ni en rap ni en spectacle vivant.

C'est une femme "engagée " qui livre un texte social qui n'a de roman que le nom.

Le père d'Hannah, la narratrice , cultivateur berbère arrive en France, destination les mines de charbon du Pas de Calais, à la suite d'un accord France-Maroc. Dans les statuts le retour au pays est prévu.

L'intégration multi-culturelle se fait tant bien que mal entre les italiens, les polonais , les arabes(ainsi les nomment-on).

Puis vient le regroupement familial, Hannah est heureuse à l'école, ses meilleurs amis sont les livres, elle raconte les corons, ses études à Lille, elle devient professeur,le tout émaillé d'expressions cht'i qui m'ont fait sourire; je l'ai précédée dans cette région et j'ai connu les corons à leur apogée.

Ce texte est plein de colère retenue, il y a 60 ans les mineurs étaient des forçats, les employeurs des tyrans, c'est vrai, les nord- africains en première ligne dit-elle. J'ai beaucoup apprécié le court texte en police d'écriture différente, celui écrit par le père en arabe et traduit à sa fille, il y raconte calmement sa vie , exhorte ses enfants à vivre libres.

Devenue professeur d'abord puis institutrice, Hannah a affaire à la police pour rebellion; elle n'a pas admis l'idée de faire supporter en classe à des petits une simulation d'attentat .

Si ce texte était écrit à la plume, on l'entendrait grincer .Hormis pour la génération qui l'a précédée, je n'ai pas été touchée par Hannah et sa colère.

Merci aux Edts de l'Aube et à Babelio pour cette lecture.
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Le ventre des hommes

Je suis très heureuse d'avoir lu ce récit gagné grâce à une Masse Critique Babelio, j'avais vu de bons avis et j'ai voulu me faire ma propre opinion sur cette lecture.



J'ai aimé la plume de l'auteur et ce qu'elle nous fait découvrir à travers ses yeux de son enfance à l'âge adulte, j'ai découvert grâce à celle-ci les conditions de vie des personnes travaillant à la mine dans les corons, j'avoue ne pas avoir beaucoup entendu parler de cela ou avoir lu des articles ou autre sur cette situation.



L'auteur nous raconte l'histoire de ses parents et plus particulièrement celle de son père venu du Maroc pour travailler à la mine, on le suit de la "grande époque" à la mine afin de produire de l'énergie jusqu'à ce que celle-ci ferme et que tous les employés soient renvoyés.



Il y a même dans ce récit quelques documents qui donnent encore plus de profondeur au récit. Ce récit m'a touché et avec peu de pages, l'auteur parvient à nous transmettre son vécu familial.



J'ai aimé aussi le fait que le récit s'entrecroise avec une audition policière, on se demande également donc comment cette partie va se raccorder avec l'histoire de famille.



Une très jolie découverte.
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Le ventre des hommes

Une histoire de l'immigration marocaine; le statut précaire, la sélection pour venir en France, le regroupement familial puis l'incitation au retour au pays; grève et solidarité; traditions, intégration; le berbère s'efface sous le français.

J'ai découvert le sort des marocains dans les mines du Pas de Calais: contrat précaire, pas de statut contrairement aux autres mineurs algériens, polonais, espagnols, italiens etc.

A la mine, les activités sont plus connues: creuser dans l'insécurité, éventuel coup de grisou (le dernier en décembre 74) bas salaires.. silicose, logement dans les corons ou les cités Camus: les HLM apparaissent comme un miracle.mais surtout on sait que les mines vont fermer.

C'est aussi l'histoire d'amour d'une fille pour son père qu'elle admire même si elle ne le comprend pas toujours.

Il va apprendre le français, à lire et écrire; ce qui lui permet de se rebeller.

Une découverte et une grande émotion. L'autrice retrouve son enfance: elle est née en France, dans les mines près de Lens . Entre le début du livre où elle est emmenée au commissariat et la fin où on découvre son délit, toute une vie se déroule avec des tiraillements entre deux langues et des cultures différentes.

Hannah, héroïne et narratrice, est devenue enseignante et découvre peu à peu l'histoire de son père.

Ce livre s'associe dans ma tête avec celui d'une ex-lilloise: Carole Fives qui dans C'est Dimanche et je n'y suis pour rien, parle des immigrés portugais.
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Le ventre des hommes

Hannah, fille d'un mineur marocain évoque son enfance à Méricourt, de la Mine aux corons, de la découverte de tous les possibles de l'école jusqu'aux grandes études. C'est une belle chronique d'une enfance passée dans le bassin minier. Les premières parties de ce livre sont pour moi les meilleures et cette volonté de parler de ce milieu, de ses difficultés et de ses bonheurs se suffit à elle-même. Peut-être est-ce dû simplement au milieu évoqué, si familier pour moi mais j'estime que ces passages sont les plus"vrais", les plus fluides aussi. Les passages concernant le père et la mère sont les plus forts émotionnellement, stylistiquement parlant : ils prennent de l'épaisseur à chaque page. Les derniers chapitres sont malheureusement venus déséquilibrer cette impression : la trame policière est sans doute de trop. Je le conseille vivement à qui veut connaître ou reconnaître cette vie si particulière, si pleine, du bassin minier.
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Le ventre des hommes

Pourquoi Hannah , professeure des écoles est-elle en garde à vue en 2016 ? Fille d'un mineur marocain, issue d'une famille nombreuse dont la mère ne maîtrise pas la langue française, la jeune femme est ce qu’on appelle maintenant une transfuge de classe , à l'instar d'Annie Ernaux , Édouard Louis ou Didier Eribon, d'ailleurs évoqué dans le roman.

Mais Le ventre des hommes, qui opère des allers-retours entre passé et présent ,est bien plus que le récit d'une émancipation sociale, c'est aussi un magnifique chant d'amour aux langues, à la lecture, à la solidarité et à la famille.

Le père, "sélectionné" pour aller travailler en France dans des conditions extrêmement pénibles et dangereuses , doit dissimuler le fait qu'il sait lire et écrire pour pouvoir être embauché. Sa fille découvrira bien plus tard qu'il a lutté pour que les mineurs marocains bénéficient des mêmes droits que tous les autres travailleurs de la mine.

Pas de misérabilisme, mais une formidable force de vie qui irrigue tout le roman et si la syntaxe est parfois malmenée ,c'est pour mieux rendre compte de la brutalité d'un monde qui ne tourne plus rond et contre lequel il faut savoir s'insurger. Un roman puissant qui bat en brèche bien des clichés. Un grand coup de  cœur pour un texte dense mais jamais pesant.













































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Le ventre des hommes

Lundi 14 Novembre 2016, école primaire Martha-Desmuraux : Hannah, maîtresse en CE2, est emmenée, menottes au poignet et encadrée par six hommes en bleu. C’est ainsi que s’ouvre le nouveau livre de Samira El Ayachi. Pour savoir quel crime a commis cette institutrice, il faudra attendre les derniers chapitres du livre parce que pour l’instant, Hannah a d’autres préoccupations :



« C’est à mon père que je pense tandis que toute la honte du monde soudain m’attrape par derrière, s’accroche à mon dos, s’enroule doucement autour de mes épaules[…] L’enfance, toute mon enfance comme une claque froide se jette sur mon visage. »

Une enfance et une adolescence de fille d’immigré marocain, venu du sud du Maroc pour travailler dans les mines de charbon du Nord de la France, «  gratter les fesses de la terre » comme il dit ! Son univers : les corons, petites maisons toutes en briques qui illustrent la couverture du livre, les terrils, Émile Zola et Germinal matin, midi et soir. Mais la jeune Hannah a aussi un paradis secret : la bibliothèque municipale et tous ces livres dans lesquels elle puise ses rêves d’émancipation. Et le rêve se réalise : études supérieures, et , CAPES en poche, Hannah devient enseignante.



Si Hannah pense à son enfance et à son père c’est qu’il a connu, lui aussi, le commissariat pour avoir voulu défendre ses droits et ceux des 3000 mineurs marocains lors des grèves de 1987. Cette histoire, elle ne l’a apprise qu’une fois adulte et elle découvre, et nous avec elle, cette main d’œuvre « docile et flexible », avec des contrats temporaires, « des bras qu’on peut vite renvoyer » quand les mines fermeront .

C’est à travers les pages du journal tenu par le père d’Hannah que nous en apprenons plus sur la situation de ces hommes qui ont dû lutter pour obtenir le même statut que les autres mineurs et ne pas être contraints au retour. Samira El Ayachi a fouillé dans les archives et présente aussi en annexe des documents édifiants. Une découverte pour moi et une transmission émouvante d’un père à sa fille.



Autre point fort du livre : les interrogations d’Hannah sur sa position d’adulte et d’enseignante dans la France post-attentats de 2015 (« les peurs des uns, les ressentiments des autres ») et la mise en place dans les établissements scolaires des exercices « attentat/intrusion ».



« Comment se construire dans un pays qui a peur, qui a peur de lui-même, de ses enfants ? »

« Je reçois une liste de consignes, de circulaires. Désormais, il faut repérer, signaler, des enfants qui auraient un comportement inapproprié. Me cacher sous la table. Me laisser devenir un dommage collatéral d’une histoire qui a commencé.... Quand est ce que tout cela a bien pu commencer ? »

«  Le cerveau de l’homme est sculpté par son environnement . Dans quel type d’environnement voulons-nous sculpter les cerveaux de nos enfants ? »



Ce sont des questions essentielles qu’on peut tous se poser, que tout parent se pose, que tout enseignant se pose. Hannah a trouvé sa propre réponse : « A la fiction de la peur et du terrorisme, je voudrais une révolution : une révolution par la douceur et par l’empathie. A plusieurs comme ça, on peut se réparer. »



On peut être dérouté par l’écriture du roman, les changements de style, de la prose classique à des passages en vers libres, mais il faut se laisser porter par le récit et les souvenirs d’Hannah....



 Un livre qui évoque aussi la difficulté de se construire entre deux cultures, s’émanciper de son histoire familiale sans la rejeter (« Comment se remettre doucement du mépris qu’on a eu pour une partie de soi »).

Un livre enfin plein de tendresse entre un père et sa fille et qu’on a envie de refermer sur les mots apaisants d’une mère : « ça va aller, ça va aller »....



Un grand merci aux éditions de l’aube et à Babelio.
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Le ventre des hommes

Le poids de l'histoire ne s'allège pas au fil du temps. Après les pères, les enfants continuent à en porter le fardeau. le récit de Samira El Ayachi passe le témoin de Mohamed à Hannah, de la fosse 4/5 sud à Lens en 1980, sur fond de grève, à 2016 en France sur fond de terrorisme.

La blessure est toujours là chez la romancière, laquelle commence son roman au présent de la vie d'Hannah, pour remonter ensuite dans une évocation heurtée, hachée, qui ne dit jamais directement les faits mais les laisse apparaître, progressivement, comme une lumière qui pointe doucement, au gré de ce que la mémoire révèle au fil du temps Les évènements relatés par Samira El Ayachi dans ce présent de 2016, tiennent à la fiction du roman. Ils évoquent néanmoins une France dans laquelle les droits de la personne ne vont pas de soi, une société fracturée, fragile dans ses trajectoires précaires. Beaucoup reste encore à faire pour consolider une démocratie où chacun n'a toujours pas sa place. Il y a comme un « sur-place » de l'histoire et Samira El Ayachi réussit à mettre ce constat en relief. Elle dédie ce roman à son père, dont personne ne connaît le nom. Mohamed El Ayachi est l'un des 3500 mineurs marocains qui se sont mis en grève le 28 octobre 1980 pour en finir avec l'apartheid qui les touche depuis leur embauche au sein des houillères du Nord Pas de Calais et de Lorraine. Dans les années 70, la mort du charbon est programmée, si la production continue elle doit se faire au moindre coût. L'odyssée de ces travailleurs, du Maroc à la fosse, et les conditions de travail qui leur sont faites, répondent à ce critère. Les contrats temporaires, l'arbitraire pouvant y mettre fin, les difficultés du regroupement familial, le travail épuisant, les conditions de vie difficiles. Samira El Ayachi raconte tout cela et réussit à traduire la manière dont son regard d'enfant a pu percevoir, les drames dans lesquels elle a grandi. Enfant de la deuxième génération, l'auteur fait émerger dans son récit, la naissance d'une appartenance et d'une culture nouvelle, complexe, riche, faite d'héritages mêlés mais puissamment conditionnée par la société qui les fait grandir, les pages qu'elle écrit sur le pouvoir de la télévision sont pleines d'humour et d'une justesse de sociologue, le poids de l'école dans cet itinéraire est également bien montré. Un livre qui rend hommage à toutes les résistances humaines au nom de la dignité, une voix de femme, un travail d'écrivain, qui redit la force d'un pays construit dans la diversité et le partage.

Je remercie Babelio et les Editions de l'aube de m'avoir permis cette découverte."

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Le ventre des hommes

Qu’est-ce qu’être français né de parents musulmans en France avant et après les attentats terroristes islamiques ?

Je referme ce livre poétique, maniant parfaitement la langue française, intelligemment écrit, sourcé historiquement.

Ce livre raconte l’histoire de ceux qu’on est venus chercher pour servir les intérêts de la France tout en les rejetant, ainsi que la réalité des transclasses et leurs difficultés.

Ce livre m’a pris aux tripes, peut-être parce qu’il traduit notre malaise dans une société qui ne nous accepte pas tel.le que l’on est. Ce livre aborde ainsi tout l’attachement que les fils et filles d’immigrés avons pour notre héritage, l’histoire de nos parents, mais aussi l’amour pour notre histoire française,

qu’on nous laisse si difficilement devenir notre. Merci @samira_elayachi pour ce cri, cet espoir pour une France unie !
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Le ventre des hommes

Elle en dit des choses Samira El Ayachi dans "Le ventre des hommes".

C'est son troisième roman et je le trouve réussit car elle fait parler de façon intelligente ses deux personnages principaux : Hannah la narratrice et son père à qui elle laisse la parole. On comprend assez vite que son histoire particulière est liée à celle qui lui précède.

Hannah est institutrice et la police vient la chercher dans sa classe. Elle a fait un acte répréhensible que l'on ne connaîtra qu'à la fin. Cela permet à l'autrice d'avoir un fil conducteur et peut-être d'expliquer sa part de révolte ou son rêve perdu d'être ensemble.

Durant sa garde à vue, Hannah va se remémorer son enfance dans les corons à Lens. Son père est venu de son Maroc natal travailler dans les mines de charbon du Nord de la France au début des années 70. On apprend que les marocains n'avaient pas le droit au statut de mineur contrairement aux français et aux autres étrangers, ils étaient travailleurs temporaires.

Le père d'Hannah va être porte-parole des mineurs en grève et construire son destin en prenant la parole en public, devant les caméras, pour dénoncer cette zone de non droit, ce qui est très courageux.

C'est donc un roman qui parle d'injustices, de combats, de solidarités, de dignité mais aussi de l'enfance et de la famille, de son enracinement et de culture.

Samira El Ayachi montre une certaine nostalgie des luttes collectives mais aussi la force créatrice incroyable de ces personnages malgré la pauvreté. Et puis, elle n'oublie pas complètement la mère qui réconforte, dans ce roman oedipien.





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