Citations de Santiago H. Amigorena (374)
On est jaloux parce que lorsqu’on aime et qu’on est aimé en retour jamais on ne possède totalement l’objet de notre amour.
On a souvent l’impression, lorsqu’on souffre, d’être seul.
On ne devrait jamais essayer d’écrire son premier amour : même après l’écriture, il reste invivable.
La vérité à laquelle j’aspire en écrivant ne peut être qu’épiphane : elle ne peut avoir que cette forme absolue de vie, proche de l’asphyxie, qu’on devine dans l’œil du merlan posé sur le bitume du quai. Oui, la seule vérité que je pourrais trouver en écrivant, sera semblable à la vie extrême que la carpe hors de l’eau exprime avant d’expirer.
Je désirais l’aimer, – mais j’ignorais encore que de même que le désir de ne plus aimer ne cesse jamais d’être encore de l’amour, le désir d’aimer ne peut jamais le devenir.
Je n’existe pas. Si j’existais, je ne pourrais pas me connaître. Si je me connaissais, je ne pourrais pas dire qui je suis. Si je le disais, personne ne pourrait le comprendre.
Écrire une vie entière en très peu de temps. Écrire, en quelques semaines, en quelques mois, une vie écrite par un homme pendant toute sa vie.
Je souffrais une douleur ténébreuse, plus sombre que le mariage pour la femme, plus obscure que l’esclavage pour l’homme, plus opaque que la nuit pour l’enfant. Je souffrais d’une douleur plus foncée que l’encre, une douleur plus noire que le noir.
Avancer ne signifie pas forcément progresser : où règne le vide, où se tient l’absence, toute distance est infinie. Comme si souvent dans l’extrême malheur – ou l’extrême bonheur – les jours étaient des semaines, les semaines des heures ; minutes, mois et siècles se confondaient dans ce temps sans temps que nous connaissons tous et dont nous pouvons pourtant à peine parler.
J’ai aimé son regard de havane comme cet aveugle qui cherche à être roi chez les borgnes. J’ai aimé sa beauté à m’en rendre laid. J’ai aimé sa différence jusqu’à ne plus savoir qui j’étais. Ne voulant plus me souvenir, je l’ai aimée absolument, obsédé par le moindre souvenir d’elle.
Je ne veux pas que mes mots, désormais, soient les esclaves de ton absence. Je ne veux pas que le silence, de nouveau, me contraigne à n’écrire que dans le deuil impossible d’une mort qui ne cesse jamais d’avoir lieu, d’une mort qui ne cesse jamais de mourir – et de ne pas mourir.
tintements sifflements froissements frôlements claquements clappements crissements chuintements crépitements bourdonnements gémissements gargouillements gazouillements vagissements et vaginssements et râlements roulements grésillements et grincements et grognements et grondements
ET HURLEMENTS
Et tant d'autres ments que nos corps symphoniques ont été interdits par les voisins après deux heures du matin.
J'étais bouché, j'avais un rhinocéros au plafond, une mouche dans la boîte aux lettres, je marchais à côté de mon vélo, j'avais des petites chaussures dans la tête. Bref, je yoyotais sérieusement de la touffe. Mais qu'eussé-je pu faire d'autre ? Ses yeux d'acajou me rendaient fou, ses cheveux de soie me rendaient la foi, j'étais obnubilé par ses lèvres de sève, par son sourire de raton laveur, par son dos insoupçonnable, par ses fesses d'Ephèse, par ses seins de saint, par son corps de... par son corps de... par son corps de corps, son corps de corps lourd comme un dessin de Goltzius.
Tournés entièrement vers nous-mêmes, ne sentant que nos propres corps, nous étions comme deux pieuvres aveugles aux tentacules inextricablement entremêlés. Et puis, alors que sous ta jupe mon onzième tentacule se frayait picaresque son chemin entre mille obstacles textiles, la voix tonitruante d'un gros Vénitien nous fit ouvrir les yeux.