Citations de Sarah Waters (161)
S'il y a bien une chose dont l'artiste doit se garder scrupuleusement dans son travail, c'est l'hésitation. L'hésitation mène tout droit à la faiblesse, et la faiblesse a fait échouer de plus grands desseins que les nôtres.
La rareté de l'objet dépend du désir qui anime le coeur qui le recherche.
Je ne désirerai jamais un amant plus que je ne désire la liberté.
-Après tout, mon opinion n'a rien de choquant. Cela concerne votre... votre sexe et les arts. À mon avis, Mademoiselle Lilly, il y a quelque chose qui manque à votre sexe.
-Quoi donc, Monsieur Rivers ?
[...]
-La liberté dont dispose le mien.
-Un livre ne dure-t-il pas tout autant ?
-Autant que durent les mots, oui. Mais il y a dans une photographie quelque chose qui dépasse les mots, qui dépasse même les bouches qui les prononcent. Une photographie mettra le feu aux sens d'un Anglais, d'un Français, d'un Hottentot. Elle nous survivra à tous pour allumer le même feu chez nos petits-fils. Elle est un objet transcendant à l'histoire.
-Un objet englué dans l'histoire ! proteste mon oncle. Perverti par l'histoire qui l'offusque comme un écran de fumée ! Cela se voit à la façon dont une mule épouse le pied, à la coupe d'une robe, au style d'une coiffure. Donnez des photographies à votre petit-fils: il y verra une curiosité pittoresque. Votre moustache cirée le fera rire ! Mais les mots, Hawtrey, les mots - hein ? Ils nous séduisent dans le noir, et l'esprit de chacun les revêt de chair et d'habits à sa guise.
En général, le murmure ne sied guère à l'organe masculin - la voix de la plupart des hommes se fausse, détonne, résiste mal à l'envie de sonner plus fort - la sienne cependant sait se mettre une sourdine, jouer des mots couverts, tout en conservant sa limpidité, telle une note de musique.
Les dames avaient sorti leurs diamants. Elles portaient des gants vénitiens, montants et moulants, comme si elles venaient de plonger les bras jusqu'aux aisselles dans une grande jatte de lait.
A ma manière, je suis un gredin, et il n'y a personne que je comprenne aussi bien que mes semblables. Votre oncle en est, et de la pire espèce, car sa gredinerie est confinée au cadre domestique, où elle passe pour un caprice de vieillard. Ne dîtes pas que vous l'aimez, ajoute-t-il rapidement en me voyant prête à parler. Ne vous souciez pas des bienséances. Vous êtes au dessus de tout cela, je le sais. C'est pourquoi je me suis permis de me présenter ainsi chez vous. Vous et moi, nous nous dictons nos propres lois, nous ne respectons celles des autres que dans la mesure où cela nous arrange.
" Quand je la vois, c'est comme... Je ne sais pas comment te le décrire. Comme si j'ouvrais les yeux pour la première fois. Je me sens comblée, comme un verre de vin qui se remplit. Je regarde les autres, avant, mais ce n'est rien, de la poussière. Alors, quand elle fait son entrée... Elle est tellement jolie, et son costume est tellement coquet, et elle a une voix si tendre... Je souris malgré moi, et en même temps j'ai envie de pleurer. Quand je la vois, ça me fait mal, là... "
Je mis la main sur ma poitrine, entre les seins. Ma voix n'était plus qu'un murmure tremblotant qui finit par me manquer tout à fait.
" Je n'ai jamais vu une fille pareille. Je ne savais même pas qu'il y avait des filles comme elle... "
Il y a trop de nouveaux livres qui paraissent et qu'il faut ajouter aux anciens, trop de livres perdus à redécouvrir, trop d'incertitude partout.
Enfin je la vois, une faible lumière dans le brouillard, une simple lueur plutôt, que l'allure du cheval et les arbres qui bordent la route font clignoter comme un signal d'alarme. Je la regarde venir, la main sur mon cœur. La lumière approche - ralentit, perd son halo, s'affaiblit - et je distingue d'abord le cheval, puis la carriole avec William et une silhouette plus vague. Ils contournent la maison. Je me précipite dans la chambre d'Agnès - maintenant elle sera celle du Susan - et me poste à la fenêtre. La voilà, enfin.
La fortune est aveugle et emprunte des chemins étranges. C'est la fortune - n'est-ce pas ? - qui envoya Hélène de Troie chez les Grecs et un prince à la Belle au bois dormant.
Vous parlez en homme. Les vérités des hommes ne sont pas celles des femmes.
Je me voyais, la vieille fille que je suis, pâle et laide, suante et échevelée, perchée en haut d'une échelle traîtresse, appâtée par les tresses blondes d'une jeune beauté...
Le sentiment qui m'étreint est douloureux, brutal, il me prend au dépourvu, il me fait peur. J'ai peur soudain de ce que mon avenir risque de me coûter. Peur de l'avenir lui-même et des passions inconnues, immaîtrisables, que j'y connaîtrai peut-être.
"Qu'est-ce que c'est ? qu'elle demande. - C'est votre bébé, ma jolie, que j'y dis. - Mon bébé ? Et mon bébé est-il garçon ou fille . - C'est une fille", que je réponds. À ce mot-là, elle hurle à pleins poumons: "Alors, Dieu lui soit en aide ! Le monde est cruel pour les filles. Elle aurait mieux fait de mourir, et moi avec !"
C'était là une femme amoureuse ou je ne m'y connaissais pas. Mais si c'était là l'amour, les amoureux étaient donc des oies et des pigeons, et je pouvais être contente de ne pas en être.
Sa voix s'élève encore, plus forte que tout à l'heure.
Pourquoi l'organe de ces messieurs est-il fait pour porter, alors qu'il est si facile d'étouffer une voix de femme ?
Et Selina, où est-elle en cet instant ? Comment repose-t-elle ? Je lance mes pensées à travers la nuit, je tends la main vers le cordon de fluide occulte qui semblait autrefois, tendu, vibrant, l'unir à moi. Mais non, il fait trop noir, mes pensées défaillent, s'égarent, et le cordon...
Il n'y a jamais eu de cordon, jamais d'intervalle où nos esprits se touchaient. Il n'y avait que mon désir - et le sien, qui y ressemblait si fort que les deux paraissaient n'en faire qu'un. Il n'y a plus de désir en moi, maintenant ; plus de vie nouvelle qui palpite - elle a pris tout cela et ne m'a rien laissé.
La lumière réverbérée par le tapis de la table de jeu lui faisait la gorge verte, comme un crapaud.