Citations de Serge Doubrovsky (64)
... la syntaxe, il faut que je la casse./... / Peut-être influence dans le langage des associations d'idées en psychanalyse, laisser les vocables s'attirer les uns les autres, par ressemblance ou contraste. La langue française est ma vraie, ma seule patrie. P,. 340
Je n'écris pas pour moi, mais pour un éventuel et nécessaire lecteur. /.../Tout seul, j'inexiste. J'ai besoin des autres pour exister. P338
Ma vie me pèse déjà si lourdement, s'évanouit aussi de minute en minute si totalement. Il faut que je la rattrape, que je la reprenne en main, que je la domine, que je la façonne, que je sois son Jugement Dernier. Que je devienne mon Créateur. Pas d'autre Dieu ici que moi-même. P337
Des êtres fictifs entrecroisant les fils de destins préfabriqués, c'est pour moi sans attrait. Un roman, oui, mais un roman vrai, où ma personne est mon personnage. Un self-roman. Pourquoi pas une autobiographie. Non, c'est un genre réservé aux gens célèbres /.../ p336
Écrire QUOI. MOI. La machine à M'ECRIRE. Pourquoi. Parce que j'en ai le besoin pressant, l'envie irrésistible. Je veux transformer mon existence exsangue, mon corps avachi en corps d'imprimerie. En écriture vivante, vibrante. P. 335
Je suis devenu en écrivant une fiction de moi-même. C'est cette fiction qui intéresse. Moi, je me retrouve seul, clés en main, devant ma porte. P. 323
Ça, le passé justement, des fragments d'un soi disparu qui se raniment, se rallument par éclairs instantanés. Sans suite, sans ordre/... /Impossible de se ressaisir à travers ces bribes, parfois fulgurantes, de mémoire. Cher, très cher Proust, je ne me retrouve pas, je me réinvente. Au fil de ces souvenirs qui éclatent, explosent en instantanés furtifs, je brode. Ma vie pour moi est ma fiction, mon autofiction.
Au terme de ma carrière, au soir de ma vie, je cherche par instants à coïncider avec moi-même, à revivre par éclairs, pour éclairer le lien fragile entre mes existences. P. 251
On n'est jamais si bien asservi que par soi-même.
L'autobiographie est la plus efficace et la plus commode des préparations à la mort.
Absolutisme de l'écrivain : dès qu'il a la plume en main, il est tenté d'être méchant.
Si l'écriture est manière d'être, elle renvoie à son tour à la présence, en elle et par elle, de l'écrivain. Le style de l'œuvre indique donc le choix d'être d'un auteur : il dit la façon dont une existence humaine a intégré et exprimé la totalité de ses rapports concrets avec le monde.
Définir ce projet ou cet élan [de la littérature], c'est très exactement, pour les critiques, retrouver, chez l'écrivain, le Cogito préréflexif, que nous avait découvert le philosophe, c'est-à-dire cette saisie première du monde et d'autrui par la conscience, et les rapports affectifs qu'elle noue avec eux.
Dans le domaine historique, qui nous occupe, une grande œuvre est celle qui, par la texture de son langage, l'agencement de ses thèmes, le déploiement de ses images, le jeu subtil des énoncés et des sous-entendus, bref, par l'appareil d'une rhétorique complexe, évoque, pour nous et par nous, le sens global que peut prendre, à tout moment de l'histoire, le système absolu que reste, pour l'homme, sa propre existence.
... le seul critère authentique, parce que le seul inchangeable, de la valeur littéraire, est "l'unité de la profondeur de la vision du monde qu'une œuvre ou un ensemble d'œuvres nous propose".
Le travail spécifique et irremplaçable de la critique littéraire consiste donc à donner le maximum de conscience à un moment donné de l'histoire, aux vérités authentiques et transhistoriques de la littérature.
[La philosophie contemporaine] s'efforce en effet d'élucider, sur le plan théorique, ces relations premières de l'homme au réel, le sens total d'une condition humaine, que la littérature projette intégralement, donc ambigument, sur le plan de l'imaginaire. Dans le champ de leur exploration commune, la philosophie entretient avec la littérature des rapports de plus grande conscience, ais la littérature de plus grande fidélité à l'existence.
Pour nous, l'analyse critique se présente exactement comme une psychanalyse existentielle, selon l'expression inventée par Sartre. Psychanalyse : la connaissance, chez autrui, de ce qui est caché à autrui ou de ce qu'autrui se cache, mouvement de critique dans la même position, en face de son texte, que le psychanalyste, en face de son patient. Dans les deux cas, il s'agit de rendre la totalité d'un comportement humain intelligible, en faisant apparaître le lien entre les significations obvies et les significations latentes en replaçant l'organisation globale de conditions réelles ou imaginaires, imparfaitement cohérentes où manifestement contradictoires, dans le contexte du projet fondamental qui les sous-tend et les soutient.
La totalité du sens est toujours, et par principe, en suspens, de par la nature du langage [...]
Le Cogito ne fait donc pas paraître une pensée désincarnée, mais une intention pratique, en situation dans l'être et l'historique.