Dans le cadre des Bruits d'Espagne / Banquet de Printemps 2019, consacrés à la Retirada et à l'exil des républicains espagnols, rencontre avec le traducteur et romancier Serge Mestre à propos de son dernier livre, "Regarder", consacré à la photographe Gerda Taro. Entretien Jean-Michel Mariou
Personne n'y croyait du reste, nous avons vite déchanté. C'était sur L'Indépendant que j'ai lu pour la première fois la nouvelle; d'abord le 31 janvier 1939: "Si Dante avait assisté à l'exode des populations espagnoles en France, il aurait eu matière à écrire un nouveau chapitre de son Enfer."
La une du 7 février 1939 ensuite: "Par tous les postes-frontière des Pyrénées -Orientales, une affluence sans précédent de soldats, de réfugiés, est entrée en France..."
Toutes les unes s'étaient emparées de l'évènement: le Travailleur catalan du 21 janvier: "Des canons, des avions pour l'Espagne. Ouvrez la frontière catalane!..."
Le Roussillon (journal royaliste) du 25 février: "La fin des vandales!"
Le Socialiste des Pyrénées -Orientales: "L'Espagne martyre sur le chemin de l'exil."
Somatent (dirigé par le président du P.P.F. Jacques Doriot) du 10 février: "Les marxistes exploitent honteusement ceux qu'ils ont affamés. La pègre de Catalogne déferle sur notre Roussillon."
Encore L'Indépendant du 31 janvier: "Le Perthus reste le passage de prédilection des Espagnols en route vers l'exil agréable qui les attend en France."
Dans un instant, ce sera le tour des bandilleros, l'un après l'autre, rituel parfaitement réglé, manières raffinées, efficaces, pour ce qui est de distiller la souffrance, ordonnées, lentes, meurtrières. Pour cette fois on ne décrit pas le supplice. On est tout simplement en train d'incendier la République. Il n'y a rien à sauver dans l'épaisseur des braises, même pas la couleur, son reflet, le rouge, le noir, palpitant sous la cendre d'une incandescente fin. (P. 254)
Vous êtes incorrigible, sœur Catalina; rangez au moins votre croix, lance la mère supérieure, en retirant la sienne, suspendue à son cou.
Elle défait la ceinture de cuir qui serre sa robe. Elle cache son chapelet dans un tiroir de table à tout faire. Puis, défaisant ses boucles de ses brodequins, se déchausse en massant ses pieds enveloppés dans des mi-bas de laine blanche, couvrant chevilles et mollets. Sa transpiration a laissé des marques noires dans ses chaussures. On peut apercevoir, l'image esquissée des orteils que la sueur a imprimée sur le tissu.
Je n'ai jamais appartenu à ces partis d'hommes. Elle se tait un instant, regarde autour d'elle, puis reprend : Il n'y a pas de place pour les femmes dans ces appareils de mâles, je partage plusieurs de leurs idées politique, d'accord, ais je ne suis pas communiste, pas comme Georg le voudrait, par exemple, pas orthodoxe. Ruth baisse les yeux, l'air gêné, car elle vient d'adhérer elle-même au KPD. Gerta insiste : Tu vois ce que je veux dire, Ruth, je parle du Parti avec un P majuscule, la sacro-sainte ligne, la discipline, la règle, la doctrine, l'idiotisme politique, énumère-t-elle avant de reprendre son souffle. Ruth demeure silencieuse et Gerta poursuit : Sympathisante, pourquoi pas, mais certainement pas inféodée, docile, soumise, maniable, manipulable, j'aime trop l'indépendance. Puis elle conclut en posant la mains sur celle de Ruth, espérant la rallier à elle : Pour les femmes, la lutte est toujours un double engagement.
Hasardeusement terrés, ils évitent les balles. Il est impossible à Robert Capa de voir la légendaire « Mort d'un soldat républicain » frappé en pleine course, ciblé simultanément par l'ennemi qui lui donne la mort et son Leica qui l'immortalise, mimant le mouvement des épis à flanc de colline, semblant tendre son fusil à un camarade derrière lui, qui ne vient pas, s'affaissant bien entendu, mais ne renonçant pas, pour l'éternité. Tout se fige, la photographie cadrant la chute, restituant le mouvement de la fin, puis le reste est silence. A cet instant, Robert Capa ne sait pas qu'il a pris ce qui deviendra la plus célèbre photographie de la guerre d'Espagne. Lorsque les tirs semblent enfin cesser, il serre Gerda dans ses bras. On a failli ne pas s'en sortir, lui dit-elle en riant aux éclats.
Le camp abritait toujours cette guerre du ventre en quoi se transforme toujours la guerre des vaincus .Pour l’instant, il abritait surtout la naissance d’un paysage neuf (…) Voilà comment un territoire devient une toute fraîche conscience. »
« Je suis très amoureuse de toi, Georg, lui avoue-t-elle en venant s’asseoir tout contre lui, mais je regrette, je ne pourrai jamais devenir la femme d’un homme, et encore moins d’un seul. » (p. 192)
L'instruction ouvra la voie du libre arbitre , la route du penser oui, du rétorquer non, de prendre sur soi de feindre quelquefois d’obéir, pour ne pas finir le voyage en martyr, quelle horreur ! [.....] Elle dégage le chemin du penser que tout se bouleverse un jour, se bouleversera. Ce jour là, il convient d'être présent, bien réveillé, parfaitement droit. (P. 48)
Mère Monica se plante devant la prisonnière: maintenant embrasse-moi les pieds, Etrange-fruit; pour faire pénitence lui ordonne-t-elle.
Sœur Catalina projette la jeune fille à genoux devant la supérieure. Soumise, celle-ci s'est résignée à passer sa langue autour des orteils qu'on lui présente.
Je crois qu’être originaire de Grenade(…) me confère une certaine compréhension envers les opprimés, une sympathie légitime envers le Gitan, le Noir, le Juif …le Maure que chacun porte en soi