...le drame de Tamura (...) symbolise de manière universelle la tragédie de tous les hommes soldats ou civils, pris dans l'engrenage d'une guerre dont la logique leur échappe, mais qui finit par les dévorer, marquant à vie ceux qui lui survivent. ([Postface] Marai Morioka Todeschini)
Même ici, à la campagne, les nouvelles des journaux qu'on nous distribue matin et soir semblent parler de ce que je désire le moins, c'est-à-dire de la guerre.
Ultime ironie : une fois rapatriée, Tamoura passe pour un "schizophrène", mais l'on peut évidemment se demander qui est vraiment fou, cet homme qui a trop souffert et qui refuse d'être apaisé, ou cette société qui se reconstruit sur l'oubli et qui continue à courir aveuglément vers de nouvelles guerres. Les fous n'expriment-ils pas quelquefois une clairvoyance et une vérité profonde qui font défaut aux hommes dits "rationnels".
p 221 (postface de Maya Morioka Todeschini)
La brume recouvrait la campagne d'un rideau lumineux. Rien ne bougeait. Au loin, sous le ciel durci par le clair de lune, le groupe de collines vers lesquelles il me fallait retourner était tranquille, poudré de blanc comme une femme légèrement fardée.
p 107
Je fis mon possible pour essayer de retrouver des circonstances analogues dans mon passé, mais en vain. Pour une raison étrange, je me retrouvais bloqué à la porte de mon souvenir, sans pouvoir entrer à l'intérieur.
Au lieu de me rappeler la réalité, il me vint à l'esprit qu'il s'agissait d'un phénomène psychologique ordinaire appelé "fausse réminiscence". [...] On a une impression de déjà-vu et si on n"arrive pas à se souvenir, c'est parce qu'en fait cela n'a jamais existé. Selon Bergson, c'est un phénomène qui apparaît à l'instant où la vie, toujours en avance sur le souvenir, arrête inopinément sa progression soit par fatigue soit par malaise et que le souvenir seul dépasse automatiquement la conscience.
p 82
Si à ce moment-là j'avais été un simple touriste, je me serais imaginé à mon retour dans mon propre pays en train de décrire le merveilleux spectacle de l'océan à mes malheureux amis qui n'étaient pas partis. Mon excitation et ma douleur venaient peut-être du fait que le pressentiment de la défaite et de ma propre mort me rendait incapable de transmettre aux autres cette curieuse expérience.
p 19