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Citations de Silvia Baron Supervielle (101)


UN AUTRE LOIN


V
Extrait 1

Je réapparais dans une ville
aux ponts recommencés
mes pas s’accrochent aux trottoirs
suivent les silhouettes lentes
qui arpentent les quais

je ne peux pas quitter
les miroitements du fleuve
au fond duquel j’embarque
vers une autre ville

il me semble que la pluie
provisoire rapproche les apparitions
des histoires captives


p.20
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UN AUTRE LOIN


IV
Extrait 3


une rame surgit et replonge
en poussant les joncs qui gémissent

se détourner de la mémoire
émancipée qui propose des symboles

se livrer aux pèlerinages des livres
ouverts ou fermés quelque part
avec lenteur

l’abandon déferle sur la table
je cherche la sortie de la mer

à l’intérieur d’une vague
qui emporte mes jours pleins
sans passé sans visages
et sans noms

p.18-19
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UN AUTRE LOIN


IV
Extrait 2

...
rien n’est sûr à travers les vitres
rien n’est vrai dehors ni dedans
ni dans les papiers perdus
qui virevoltent sans réponses
ni cris rien n’est rêve

j’observe la consigne d’attendre
à proximité d’une palpitation

à qui faut-il pardonner


p.18
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UN AUTRE LOIN


IV
Extrait 1

Je reprends la marche et le jour
recommence ses heures sa nuit rien ne fait halte
est-ce un trajet ce ciel

autour des volets d’autrui je me redresse
et me retourne sans bouger

d’ici la distance est trop grande
le gouffre est lent les arbres introuvables

le galop rebondit dans un couloir noir
que je ne peux pas atteindre

l’encre se verse sur des mondes ignorés
et me dépose près d’un visage
le vent de la mer emporte la clarté
au même point du parcours

p.17
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UN AUTRE LOIN


III
Extrait 3

comment faut-il se tenir
pour que je sois de retour
dégageant l’une après l’autre les vitres
de la fenêtre impassible

pour que j’entende la voix
des heures seules

je repasse de l’encre sur des lettres en suspens
complices d’une langue inconnue

il faudrait que le silence
retienne ce qui reste dans le pas
qui se hisse retombe s’arrête
pour signaler une échappée
qui se garde et revient
à la source quiète

p.16
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UN AUTRE LOIN


III
Extrait 2

je sauvegarde l’ailleurs avec la clarté
des sabots qui s’élancent

nul repère dans le galop
énigmatique qui sonne le départ
nul écho dans l’étendue
ne mène au rivage ne ramène
à la poussière de la distance
qui s’attarde et retombe
s’envole plus loin

tandis que dans les nuages
s’attarde l’hiver austral
et dans la solitude affaiblie
s’infiltre la nuit

combien de temps faut-il
pour s’habituer à la nuit

et dehors il fait jour
au long des détours d’une saison
qui me sépare des arbres

je perds la vue à l’intérieur des yeux

p.15
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UN AUTRE LOIN


III
Extrait 1

Où aller sans commencement
et peut-être sans fin

j’entrevois des verrières
dont les éclairs bleus s’échappent
en quête de liberté

j’essaie de retrouver les étoiles
qui scintillent par milliers sur la plaine
de rattraper les répits de l’oubli
et les pauses de l’aube

attendre se propage après l’attente

parfois quelqu’un comme un cheval
hagard heurte la table
parfois c’est moi qui brise les verrières
et tombe sur l’air blessé

p.14
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UN AUTRE LOIN


II
Extrait 3

c’est une route qui s’abandonne au pas
comme la marée montante
à son espoir de la plage

je suis au fond de la mer
les vagues suscitent des flammes
des ombres éclatent sur mon visage
produisant une symphonie
que renouvellent mes lèvres closes
et l’oscillation de mon torse
qui suit le va-et-vient

où irais-je comme ça

l’obscurité jaillit de ce qui dure et n’est pas

je vogue à la dérive par tremblement d’absence
par signes et habitudes et par mémoire
de naufrages

comment rejoindre le centre
j’essaie d’approcher un rivage familier
qui s’étend dans la brume

p.13
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UN AUTRE LOIN


II
Extrait 2

on arrêtera les mains qui tâtent les murs froids

on arrêtera le désir continuel de l’âme
et son corps dans le mien

nul rêve ne m’appartient
des sons circulent dans ma tête
j’entends la cime des arbres m’appeler
des images vraies m’enlèvent
séparées des saisons

nulle âme ne m’aperçoit
je sens la disparition à mes côtés
rien ne presse son passage inachevé
rien ne décide son destin

où s’en va ce qui manque

il me semble entrevoir un pays
derrière une parole évanouie
qui émerge des joncs de la lagune
au bord d’un souvenir changé
d’une terre et d’un nom dévastés
par l’éloignement

p.12
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UN AUTRE LOIN


II
Extrait 1

La distance s’immobilise entre les branches

il n’y a pas d’histoire à raconter
les rêves se taisent sans me toucher
les vagues n’ont pas de prise
je nage dans le lac d’une fenêtre étrangère
des reflets s’accrochent au fleuve
une rumeur émane de l’eau sombre
et me ramène au courant sans
fond de l’obscurité

je m’éloigne comme je peux
par lettres par encre par entractes
de sommeil et de réveil

une pluie de lumières fulgure à l’horizon
loin au-delà on s’arrêtera un jour
quand on saura l’atteindre

p.11
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UN AUTRE LOIN


I

comme un réflexe de l’âme abandonnée
le souvenir d’attendre

la pièce s’ouvre à l’espace
la fenêtre me retient dans une allée étroite

je ne peux pas m’écarter
tout glisse à l’intérieur de l’ombre
qui effleure à peine les vitres
et me laisse ensemble sans moi
près de la vie et de la mort
pendant que le soleil s’éloigne
alors qu’il manque toujours
le paysage du matin

l’été plane sur les arbres
une route avance par saccades
entre les toits et les poteaux
rattrape la montée dévale la descente
entre les pas qui retombent
et se redressent à moitié

je marche contre l’été
contre la mer qui n’arrête pas de venir
de tirer vers le large mes yeux
usés de ne pas voir

p.10
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UN AUTRE LOIN


I

J’essaie de trouver la terre
d’écarter la ligne de l’espace qui poursuit
sa trace pure

j’essaie de voir les arbres
pour qu’un éclair s’inscrive dans la pierre
enfonce mon pas dans une racine
fixe ma vue comme une amarre

mais je vais suspendue
au loin un autre loin m’attend debout sur mon passage

je reprends les rues les marches et le jour
recommence ses heures sa nuit rien ne fait halte
est-ce un trajet ce ciel

quelquefois le soir se rapproche
et m’entraîne vers la fenêtre par le couloir du corps

p.9
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Lettre 16 (...)

Tu es partie [lettre à l'adresse de la mère de l'auteure] avec ma langue, notre langue. Je cherche à la transcrire en me servant du français. La langue de l'Uruguay est l'espagnol, bien qu'elle ne soit pas pareille à l'espagnol de l'Argentine et encore moins à celui de l'Espagne: elle chante avec une grande douceur. Ta voix devait en être le reflet, je tente de la restituer dans la limpidité de son éclipse. Et j'écris, je t'écris afin de l'apprendre, de t'apprendre. (p. 25)
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La photographie insuffle au portrait une magie inégalable. Elle saisit au vol le regard, le geste inconscient, l'impulsion réprimée, le sentiment inconnu; elle attrape l'inconscient du modèle. Que l'image soit ou non ressemblante à lui n'importe pas. Ce qui importe: la vie que le hasard lui insuffle. (p; 19)
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La contemplatrice est la seule qui, lors des partances successives, a conservé le centre. Singulièrement, lorsque les bateaux mirent le cap sur le large, il lui sembla qu’ils abordaient, que le sourire commençait, que le soleil naissait sur la mer, et tandis que les enfants s’éloignaient du rivage, elle recevait sur elle leur joie. Puis, lorsque, agitant le bras, ils se fondirent dans les brumes de la distance, s’y figeant progressivement, elle se retourna, s’écarta des autres afin de dissimuler l’expression de son visage et de donner libre cours à cette joie : une flamme était née en elle, et s’évadait, transparente, de l’eau de ses yeux.
Ces jours-là, elle s’en souvient, au moment de l’appareillage, elle fut prise d’un grand désir de s’envoler avec les oiseaux sur le sillage des poupes. Après cela, elle ressentit la plénitude d’un accomplissement. Une à une les rides s’enlevaient de son visage, comme si la brise les eût emportées. Encore qu’elle se défendît de ce bonheur jamais expérimenté, et qu’elle le préservât comme elle le pouvait, serré à elle.
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On distingue toujours le bateau. On ausculte le timbre de l'eau claire qui bat contre ses flancs.
Il ne suffisait pas de partir, ni de passer l'océan, ni de débarquer sous une autre latitude, ni de naître dans un autre sang, une autre peau, ni d'altérer le rythme du pas, les formes et les couleurs des vêtements, pour être capable d'oublier ; il ne suffisait pas de recouvrir l'oubli, de condamner les portes de la mémoire, d'inventer une mémoire nouvelle, un parler dépourvu de mémoire, de ne plus prier, de se tenir coi dans le silence double, de transmuer sa carnation et le poids de son cœur ; il ne suffisait donc pas de modifier les réflexes de la voix qui voulait sourdre : il fallait bien constater qu'aucune de ces mutations n'était valable. Une mort était sans doute nécessaire, et par-dessus la mort, l'annihilation de la bouche scellée, et par-dessus le scellement le poids de la terre, et par-dessus le poids le fardeau du temps, et par-dessus le fardeau la légèreté pérenne du vide afin que le claquement de ces mots ne fît plus irruption entre les dents.
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Du haut du mât il ne lèverait son bras que pour désigner la ligne circulaire ; et il serait à la fois celui qui va et celui qui vient, celui qui oublie et celui qui se remémore, celui qui se promène et celui qui reste droit enveloppé dans ses songes.
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La voyageuse referme ses paupières.
Les eût-elle maintenues ouvertes, elle n'aurait pas suivi avec une aussi grande vigilance le parcours qui se trace à partir de la table. Le train a l'air de ralentir son allure, ce qui ne l'induit qu'à s'introduire davantage dans ses visions, où elle a le sentiment que le voyage véritable se déroule.
N'a-t elle pas constaté que ce qui se présente ordinairement à ses yeux, lorsqu'elle les ouvre, se retire aussitôt dans une région indiscernable, et cela non seulement derrière la glace du compartiment, mais aussi derrière cette vitre intangible qui s'intercale en tout lieu ? Dès l'instant qu'elle les aperçoit, les choses se volatilisent, et fréquemment avant même de se faire jour.
En conséquence, quoique le paysage à sa fenêtre la conduise à la destination concertée, celle qui voyage n'aspire pas moins à rejoindre l'expédition que la femme de son rêve aligne d'une aiguillée interrompue à peine par les blancs et infléchie par les ramifications de ses images. De même qu'il est clair qu'elle a déjà pris ce train en sens inverse. La voyageuse sait que la mer est encore loin. La mer, songe-t-elle, ne peut être traversée qu'une seule fois ; elle s'insurge contre les retours, rejette au rivage ceux qui, selon leurs convenances, et plus d'une fois à la dernière minute, entreprennent de faire marche arrière.
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J’ignore pour quelle raison, vivant en France et écrivant en français, j’ai le sentiment d’être un écrivain du Río de la Plata. J’essaie d’en parler avec moi-même. Je suis née à Buenos Aires, mais les premiers membres de ma famille arrivés au XIXe siècle sur ces côtes lointaines furent d’une part un garçon de seize ans, originaire du Béarn, Bernard Supervielle, et, de l’autre, un jeune ressortissant de Navarre, Pelayo Arocena. Les deux débarquèrent dans le port de Montevideo.
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J'écris, pour que cela arrive.
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