« La première décharge de douleur était venue dans son dos, courte et tranchante comme le cri d’une corneille. Elle avait haleté. La corneille avait enfoncé son bec dans son intimité et avait donné un coup de tête spasmodique. Elle avait crispé les mâchoires. Le soleil s ‘était éteint. Elle s’était glissé sous le pont, tâtonnant après la douleur. »
Les veines de ma mère sont bleues. Entre son aisselle et son coude, elles changent légèrement, prennent une teinte opaline. Les miennes sont d'un vert mat, comme celle de la Tarentule. Petite fille, j'avais eu une période d'obsession pour cette différence de sang. Je faisais des études comparatives des peaux et des maillages en dessous: mon lourd sang vert marécage, le sang de la Tarentule, et son sang à elle, bleu, léger, opalin. Bleu neige, bleu Atlantique, bleu mère, bleu étranger.
Le drapeau des Îles Féroé ! L'emblème de l'indépendance. Sanglante est la croix, bleue est la mer, blanche est l'écume contre le littoral de chez nous.
Je fis la liste des choses auxquelles je devais dire au revoir :
Les escargots. Les tulipes en rangs disciplinés le long de la pelouse. Les vers de terre bouffis qu'on pouvait mettre sur un hameçon. Les buissons de mûres, les rangées de patates, les groseilles, les fraises. Les fleurs du printemps et celles de la fin de l'été, le tout soigneusement calibré et entretenu.
Chez ma omma : le gaufrier, la turbotière, un résidu cristallisé au fond du réfrigérateur, comme un arc-en-ciel glacé.
Ce week-end-là, je me racontai à moi-même que j'étais née ici, à Vágar, à Gásadalur, un matin, accompagnée par la pluie. J'aurais aimé qu'un bourgeon en moi ait grandi ici, qu'il appartienne à ce lieu, à la pierre, aux effluves verts.