Poètes en partance de
Sophie Nauleau
J’étais autrefois bien nerveux. Me voici sur une nouvelle voie :
Je mets une pomme sur ma table. Puis je me mets dans cette pomme. Quelle tranquillité !
Ca a l’air simple. Pourtant, il y a vingt ans que j’essayais ; et je n’eusse pas réussi, voulant commencer par là. Pourquoi pas ? Je me serais cru humilié peut-être, vu sa petite taille et sa vie opaque et lente. C’est possible. Les pensées de la couche du dessous sont rarement belles.
Je commençai donc autrement et m’unis à l’Escaut.
L’Escaut à Anvers, où je le trouvai, est large et important et il pousse un grand flot. Les navires de haut bord, qui se présentent, il les prend. C’est un fleuve, un vrai.
Je résolus de faire un avec lui. Je me tenais sur le quai à toute heure du jour. Mais je m’éparpillai en de nombreuses et inutiles vues.
Et puis, magré moi, je regardais les femmes de temps à autres, et ça, un fleuve ne le permet pas, ni une pomme ne le permet, ni rien dans la nature.
Donc l’Escaut et mille sensations. Que faire ? Subitement, ayant renoncé à tout, je me trouvai…, je ne dirai pas à sa place, car, pour dire vrai, ce ne fut jamais tout à fait cela. Il coule incessamment (voilà une grande difficulté) et se glisse vers la Hollande où il trouvera la mer et l’altitude zéro.
J’en viens à la pomme. Là encore, il y eut des tâtonnements, des expériences ; c’est toute une histoire. Partir est peu commode et de même l’expliquer.
Mais en un mot, je puis vous le dire. Souffrir est le mot.
Quand j’arrivai dans la pomme, j’étais glacé.
(Henri Michaux, extrait de Magie, Lointain intérieur)
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