Sophie Tal Men

La préservation de la peau est primordiale pour la cicatrisation du conduit auditif.

Cet après-midi, j’ai rendez-vous dans un amphithéâtre de garnison à Lognes en Seine-et-Marne pour décider de mon avenir. J’en ai des frissons rien que d’y penser.
Le mot « garnison » ne me dit rien qui vaille. Contre qui, contre quoi dois-je me battre ?
Sans doute contre l’irrésistible envie de choisir la facilité et de rester près de chez moi.
J’aurais pu être convoquée aux Arènes de Nîmes ou bien au théâtre d’Orange, ça aurait été plus exotique. Non, ce sera Lognes…
Ma soeur Mathilde a bien voulu m’accompagner en voiture. Mon père nous a prêté un de ses taxis tout confort : celui avec les sièges chauffants et le tableau de bord en ronce de noyer.
Ah… Si j'avais mieux réussi mon concours de l'internat !
Mon classement me permet quand même d’avoir un poste d’interne en médecine quelque part en France, mais c’est bien la première fois que je ne termine pas dans les premières à un examen.
Moi, la première de la classe depuis le CP ! Qu’est-ce qui m’arrive ?
Il faut dire que je ne m’étais jamais confrontée à un concours à l’échelle nationale…
Je l’avais trouvé, moi, l’hématome extradural. J’étais contente d’ailleurs qu’il y ait un cas de neurologie, j’allais pouvoir faire la différence. Hum…
Il y a eu ce cas d'orthopédie en trop. Ce n’était pas ma spécialité de prédilection ! Pourtant on m’avait bien dit de m’attarder surtout dans les domaines où je n’étais pas à l’aise. Et dire que je me suis trompée sur une banale fracture du poignet…
J'ai répondu fracture « Pouteau Colles » au lieu de « Goyrand Smith ». Pff !
Effectivement, cela n’est pas cassé dans le même sens. Qu’est-ce que ça change ? Je n’ai jamais été bricoleuse de toute façon… Ça m'a coûté 500 places. On m’a d’ailleurs tout de suite fait comprendre mon erreur en sortant.
Et puis, il y a eu cette question de pédiatrie. Je n'ai pas vu la cassure sur la courbe du poids du bébé. Comment ai-je pu passer à côté ?
« Cela crevait les yeux », ai-je entendu autour de moi ! Et hop, encore 500 places...
Résultat des courses, je suis classée mille-neuf-cent-quatre-vingt-dix-huitième. « Ah ! Comme la victoire à la coupe du monde de football », m’a sorti mon père.
Il a vraiment le don de se réjouir de tout ! Se rend-t-il vraiment compte qu’il y en a mille-neuf-centquatre-vingt-dix-sept qui choisissent avant moi ? Pas sûre…
Je pourrais sans doute rester à Grenoble en choisissant une spécialité moins demandée comme la médecine légale ou la médecine du travail… Il y aurait sans doute de la place pour moi.
Dois-je vraiment renoncer à mon rêve par peur du déménagement ? Ai-je fait six ans d’études de médecine pour baisser les bras maintenant ?

- On naviguera aussi demain?
- Tout dépend du vent, de toi... Bref, de la distance qu'on parcourra cette nuit. En fait, tu es un nouveau paramètre que je ne maîtrise pas.
- Je suis un paramètre? Tu veux dire que je te complique la tâche?
- Un peu oui mais je trouve ça plutôt marrant.

Pour moi, l’homme idéal existe. Et il est breton. Taiseux, grognon et solitaire, il ne se rase pas, ne se peigne pas les cheveux. Ses smileys à lui n’affichent jamais des dents blanches impeccables. Il baisse la tête plutôt que de bomber le torse, et traîne ses tongs d’un pas nonchalant au lieu de danser la salsa.

Marie, c’est le genre de femme positive qui s’évertue à résoudre chaque problème et qui vous donne confiance à l’instant où vous la voyez. Une fille aux multiples labels : bio,écolo, équitable… De celles qui ont des convictions et qui s’y tiennent.

Je voudrais calmer ses ardeurs de Latin en rut, mais me voilà réduit à devoir calmer les miennes ! C’est un comble.
Courir. Pour ne pas exploser. Oublier le regard d’Eduardo, avide et affamé. Son faux sourire affable de neurochirurgien. Retenir mon portable pour qu’il ne termine pas au fond de la rivière. Ne pouvait-il pas rester en Argentine, celui-là ? Si seulement je pouvais lui rappeler les bonnes manières. Qu’en France, on ne saute pas sur une fille pour la saluer. Même si on ne l’a pas vue depuis six mois. Non. On lui claque la bise dans le vide – deux fois en commençant par la joue droite – voire on lui serre la main. Oui, on lui serre la main !

Rien de tel qu’une bonne gamelle remplie de croquettes pour faire diversion.

J'enrage et je ne sais pas ce qui me retient de le secouer pour lui faire cracher le morceau. Quel lâche ! C’est facile de n’avoir rien à offrir. Facile de se sentir impuissant sans s’être donné les moyens du contraire. Facile de vivre à côté de ses responsabilités ! Cet homme est cassé de l’intérieur pour des raisons obscures qu’il n’assume pas et n’a plus rien à voir avec mon père.

Aïe ! J'ai encore cogné la tête ! Une nuée de petites lucioles traversent mon champ de vision, suivies de près par des limaces qui ondulent de gauche à droite. Une voix m’arrive de loin comme un écho.
- Marie-Lou ?... Marie-Lou ?

Ce n’est peut-être pas le bout du monde, mais c’est le bout du mien ! Prenez la diagonale la plus grande de chez moi et vous y êtes. Mon petit nid douillet va bientôt tomber de l’arbre et s’écraser sur le sol.

Il entre dans l'eau comme dans une piscine en plongeant, la tête la première. Ça n'a pas l'air de le gêner apparemment.
Il nage le crawl jusqu'à une bouée jaune postée à une centaine de mètres du bord. Un goéland argenté tient en équilibre dessus et le regarde avec curiosité. "Il est fou, celui-là".