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Critiques de Steve Tesich (325)
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Karoo

Ce livre est plus qu’un roman, c’est aussi une leçon de vie. Au départ, une longue présentation un peu humoristique du personnage principal. On trouve Karoo menteur, cynique, égocentrique, lâche , faible, sans moralité, hypochondriaque, qui n’a pas fini de grandir. La suite nous le rendra plus sympathique, son fond est bon mais la finition tellement brute qu’il peut être insupportable. Impossible pour lui de s’investir émotionnellement dans une relation amoureuse ou même avec son fils. Au fil du livre, une rencontre le fera bien évoluer vers des sentiments profonds, des valeurs humaines et il voudra faire plaisir par amour. Il devient sensible, attentif, se rapproche de son fils. Il vivra une désillusion mais aussi un événement qui changera le cours de toute l’histoire. L’auteur nous fait passer par de grandes émotions, amène aussi des moments de tensions. Les personnages sont bien campés, le récit est dense, triste et parfois drôle, c’est bien écrit.. L’histoire est originale. Il est très difficile de laisser le livre de côté. J’ai beaucoup aimé, c’est le genre de livre qui nous reste en mémoire. Un très très bon roman.
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Price (ou) Rencontre d'été

Rachel, Rachel, Rachel. Daniel, 18 ans, ne cesse de clamer le prénom de celle dont il est éperdument amoureux. Comment gérer le quotidien de la découverte de l'amour et la maladie du père à cet âge-là ? Mais avant, il déambulait dans la banlieue de Chicago avec deux meilleurs amis qui, comme lui, viennent de finir leurs études. le parallèle de sa vie amoureuse avec celle de ses parents est très présent. Les sentiments, doutes y sont décrits d'une manière de génie. L'auteur a mis une dizaine d'années à écrire ce roman. Ces 536 pages pourraient être résumées en quelques pages. Mais, c'est là, où l'auteur de Karoo est fort. L'écriture et les dialogues sont de haute qualité et en fait une histoire qui emporte le lecteur. J'ai également apprécié la qualité de l'objet livre fait par les éditions Monsieur Toussaint Louverture : le grammage du papier et surtout la couverture.

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Karoo

Avec sa belle couverture dorée et son titre aux sonorités étranges, on peut dire que Karoo m’a d’emblée attirée comme un énorme œuf de Pâques Kinder après trois semaines de diète. Ce roman posthume (l’auteur est mort avant d’avoir apprécié le succès de son livre), avait tout pour me séduire : les élucubrations tragico-comiques d’un vieux looser aux prises avec la diabolique et sans pitié industrie du cinéma hollywoodien. Saul Karoo est un ghost writer, un homme de l’ombre dont le métier consiste à réécrire des scénarios pour les rendre bankable, en épurant au maximum l’intrigue, parsemant le texte des grosses ficelles qui assureront le succès immédiat du film, quitte à corrompre et dénaturer le propos de départ. Quinquagénaire ventripotent, alcoolique - son drame est de ne plus jamais être ivre -, fumeur impénitent, ours mal léché à la libido débridée, incapable d’affection pour son fils adopté, entretenant une relation plus qu’ambiguë avec son ex-femme (entre haine et mépris mais pourtant incapable de prononcer leur divorce), c’est l’incarnation du looser pathétique, conscient de la vacuité de sa vie, de son milieu social qu’il dénigre et de son absence de talent, sa cachant derrière celui des autres. En constante représentation, c’est aussi un homme touchant bien qu’antipathique, un harpagon attachant. Sorte de compagnons de route, nous suivons la repentance de notre antihéros qui tombe amoureux d’une jeune actrice sans talent, accessoirement la mère biologique de son fils adoptif. Comme illuminé par l’idée de se repentir et de "renaître", Saul Karoo va tenter de rattraper des années de mauvaise conduite avec son fils en ressoudant leur lien tout en réunissant le fils et la mère séparés à la naissance.

Drôle, sarcastique, satirique, décortiquant avec dérision la société américaine, le milieu requin du cinéma, vilipendant sans vergogne les pseudos intellectuels new yorkais, Steve Tesich - lui-même scénariste pour Hollywood - nous livre un roman acerbe, qui après avoir démarré sur les chapeaux de roue, continue son rythme de croisière, n’épargnant personne sans jamais tomber dans le règlement de compte de mauvais goût. Son écriture est sèche, sans équivoque, elle épingle là où il faut avec humour et finesse, ce qui m’a fait passer un agréable moment de lecture sans langue de bois.

Petit bémol cependant pour le dernier tiers du roman qui selon moi s’essouffle un peu, le personnage de Saul Karoo devenant un brin bavard ce qui m’a légèrement lassée et perdue quant au propos du livre et de sa conclusion. Mais rassurez-vous, cela n’enlève rien au talent de Steve Tesich et mon impression générale reste bien plus que positive, le premier tiers du livre valant à lui seul le détour.
Lien : http://livreetcompagnie.over..
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Karoo

Ce roman est aussi majestueux que son personnage principal est peu recommandable. C'est toute la beauté de l'exercice. Et l'exercice est brillamment réussi. Les pages foisonnent d'irrévérence, de comportements délirants, de dollars balancés comme on jetterait des cacahouètes à des singes, de chevelures choucroutées, d’ivresse surjouée, de gueule de bois réelle, d’amour et de solitude infinis. Karoo a appris le mensonge aux arracheurs de dents. Il écrit pour ceux qui jouent des rôles. Il joue son rôle aussi. Il souffre de milles maux, de milles mots. Il est détestable, un poil misanthrope. Il souffre d’une incapacité totale à s’enivrer, quelle que soit la quantité gargantuesque d’alcool qu’il ingurgite. Il est incapable d’intimité, jusqu’à la rencontre qui va changer sa vie…mais je ne dévoile rien.

Le début au Dakota Building, m’a rappelé certains moments de Vercoquin et le Plancton de Boris Vian. C’est rarissime de trouver un ton aussi cocasse et fin.

C’est également un roman très Newyorkais ; je craignais que ce soit un travers, mais cela s’est transformé en qualité au fil des pages. Le monde hollywoodien en prend aussi pour son grade.

Ce roman, qui plus est dans la belle édition de Monsieur Toussaint Louverture, est un moment de lecture lumineux, malin, intelligent, drôle, profond et léger. Un feu d’artifice. Un image simple que l’on regarderait à travers un kaléidoscope.



Alors, faut-il le lire ? Oui. Et Vercoquin et le Plancton aussi…

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Karoo

Ce roman est l'irrémédiable, l'irréductible et l'irréversible dérive d'un "écrivaillon" (C'est ainsi que se présente Saul Karoo, l'anti-héros du livre).

Que d'ire ! De cette colère envers soi, qui meuble son quotidien, naît un délire perpétuel semblant l'entraîner dans une inexorable montée vers un suicide à petit feu. Je me détruis, donc je suis, telle est la marque de fabrique de ce Saul Karoo, "retoucheur", pour un producteur d'Hollywood, de scénarios ratés, de films mal montés, d'histoires déglinguées. Jusqu'au jour où son commanditaire veut lui faire tripatouiller l'oeuvre ultime et magnifique d'un des derniers grands réalisateurs du cinéma américain...

Que dire de plus de ce roman prodigieux ? Sinon que Karoo, l'artiste en raccommodage de fictions, se découvre soudainement une vocation pour réécrire le réel, pour réorienter ainsi l'existence d'un fils trop longtemps ignoré, pour relancer la carrière balbutiante d'une actrice trop souvent coupée au montage, pour s'inventer un destin tout neuf après quelques décennies de naufrage.

On ne révélera pas ici pourquoi son fils lui semble soudain digne d'intérêt, ni pourquoi il veut jouer un rôle de Pygmalion envers l'actrice...

Que dire de mieux que : lisez sans plus attendre le roman de Steve Tesich. Vous serez surpris, bouleversé, amusé, ému, par cette anti-épopée qui dit beaucoup sur la difficulté de conduire sa vie à sa guise.
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Karoo

Critique de Bernard Quiriny pour le Magazine Littéraire



OEuvre posthume du scénariste américain, Karoo offre un pathétique condensé de la société américaine. Steve Tesich ? Ce nom parlera aux amateurs de cinéma, car on lui doit l’adaptation du Monde selon Garp par George Roy Hill et les scénarios de Georgia d’Arthur Penn et de La Bande des quatre de Peter Yates, film qui lui vaut un oscar en 1979. Mais Tesich fut aussi une vedette à Broadway, avec une douzaine de pièces dont The Speed of Darkness (où s’illustra un jeune inconnu nommé Matt Damon), ainsi qu’un écrivain discret, auteur de deux romans : Rencontre d’été (1982) et Karoo, son chef-d’oeuvre, paru deux ans après sa mort, en 1996, à 54 ans. Entre-temps, Tesich était passé du rêve américain à la grande désillusion. D’origine serbe (son vrai nom était Stojan Tesic), il était arrivé à Chicago à l’adolescence, sans savoir un mot d’anglais. Cela ne l’empêche pas de se lancer dans un doctorat, de devenir champion de cyclisme amateur puis dramaturge à succès au début des années 1970. Une trajectoire de héros de roman, qui tendrait à prouver que l’Amérique donne sa chance à tout le monde. Mais Tesich déchante, et consomme son divorce avec les États-Unis lors du conflit en Yougoslavie, écoeuré par l’attitude de Washington. Cette désillusion, étendue à la culture américaine, se reflète dans Karoo, inspiré de son expérience de scénariste.

Le héros, Saul Karoo, est l’incarnation de la déchéance nationale : un cinquantenaire bedonnant, riche, cynique, matérialiste («Aller au pressing le samedi était ce que j’avais de plus proche de la religion»), fumeur, tellement alcoolisé que l’alcool ne lui fait plus rien, père divorcé d’un adolescent nommé Billy dont il ne s’occupe pas. Son métier, script doctor, consiste à réécrire des scénarios pour les aligner sur les canons hollywoodiens. En d’autres termes, il aseptise et mutile les oeuvres d’autrui pour les faire rentrer dans le moule, en détruisant tout leur charme. Sa vision purement technicienne de l’écriture et de la narration le dispense d’écrire ses propres romans, bien qu’il rumine en secret une variation futuriste sur le mythe d’Ulysse. Cette fois-ci, on le charge de reprendre le nouveau film du vieil Arthur Houseman, monument du cinéma américain. Problème : il apparaît dès le premier visionnage que c’est un pur chef-d’oeuvre, auquel il serait criminel de toucher. Mais surtout, en regardant les rushs, Saul tombe sur une jeune actrice en qui il reconnaît Leila, la mère biologique de Billy, qui l’a fait adopter par Saul et sa femme quand elle était adolescente. Elle vit aujourd’hui à Venice, à l’autre bout du continent. Ébranlé, Steve décide d’aller la voir et, croyant bien faire (pour la première fois depuis des lustres, il s’intéresse à quelqu’un), il ne se rend pas compte qu’il déclenche une mécanique oedipienne infernale : il tombe amoureux de Leila, il lui présente Billy sans lui dire la vérité, et Billy couche avec sa mère... L’hubris en marche ?

Karoo frappe d’abord par son humour sarcastique, d’autant qu’il est essentiellement écrit à la première personne. Les deux cents premières pages, récit de la vie citadine et débauchée de Karoo à New York, sont un monument d’humour noir et de comédie sinistre. Mais, derrière le portrait touchant et ridicule de ce quinquagénaire attachant se profilent d’autres aspects. Une critique de l’industrie du spectacle, bien sûr, avec ses magnats, ses moeurs, son absence de scrupules (bénéfices d’abord) ; mais aussi, plus largement, une critique de la société américaine, dont le gros Karoo offre un pathétique condensé : obèse, consumériste, égoïste et, au fond, complètement malade. La scène de la visite médicale, en plus d’être comique, est ainsi douloureusement symbolique : Karoo, en quête d’une nouvelle assurance-maladie, se plie à un check-up de santé, mais tout sera faux dans son examen. Le toubib, véreux, signe des certificats de complaisance ; Karoo, menteur, répond à côté à toutes les questions qu’on lui pose ; même, il finit par s’enfuir du cabinet, en présentant sa lâcheté comme un acte de liberté. Forcément, tout finira par lui retomber dessus, et la note sera salée. Karoo se présente en définitive comme une tragédie moderne et parodique, avec les péripéties, l’anagnorèse, la vengeance pour les fautes passées et la catharsis finale, dans un long chapitre halluciné où Karoo se projette en pensée son Odyssée revisitée. «Et il continue de voguer...» Parfois comparé à Herzog (Saul Bellow) et à La Conjuration des imbéciles (J. K. Toole), Karoo est à l’évidence un grand roman américain, virtuose et saisissant, qui n’a pas eu le succès qu’il méritait de l’autre côté de l’Atlantique. Cette superbe traduction permettra de le lui rendre de ce côté-ci.
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Karoo

KAROO de STEVE TESICH , écrivain serbe naturalisé américain, une très belle surprise parmi mes dernières lectures! KAROO, c’est le narrateur, égoïste, menteur, veule, il a toutes ces qualités qu’il entretient dans l’alcool. Ce qui fait son « charme », c’est son absolue lucidité, il n’a aucune illusion sur sa personne sauf qu’il croit à la rédemption!! Jusqu’à ce qu’il rencontre Leila, et là c’est une autre histoire qui commence, Je n’en dirai pas plus. C’est un fabuleux roman, vous ne verrez plus la création artistique avec les mêmes yeux, dommage que son auteur soit mort si jeune dans la cinquantaine.
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Price (ou) Rencontre d'été

Pour Daniel Price, ce soir de fin d'année scolaire aurait pu être simplement synonyme de déception suite à sa défaite à la finale du championnat de lutte de l'Indiana. Mais c'est suite à cette défaite qu'il s'arrêtera, ce soir-là, devant une maison ayant un jardin synonyme de réminiscence d'un autre souvenir d'adolescent, maison qu'il pense déserte, mais devant laquelle il verra l'ombre d'une certaine Rachel, nom plein de promesses et de mystères pour le jeune homme qui s'apprête à recevoir son diplôme de fin d'année et à se lancer avec hésitation dans une nouvelle étape de son existence... Cette rencontre à l'aveugle d'un soir d'été, qui n'aurait pu, elle aussi, n'être qu'un fugace instant, sera finalement déterminante pour tout l'été de Price, pendant que ses amis d'enfance et de lycée, Freud et Missiora vont, de leur côté, eux aussi, être à la croisée des chemins de leurs propres nouvelles étapes existentielles.



Roman de la fin de l'adolescence, sous forme de roman d'apprentissage amoureux, mais pas que, tout autant que roman social qui raconte en filigrane la vie dans l'Indiana profond des années 1960, Price est une bonne surprise en ce qu'il déjoue de nombreux poncifs de manière bienvenue, sans pour autant tomber dans le dénigrement complet de ce dont il s'inspire. Car en effet, notre protagoniste, s'il va rencontrer l'amour l'été de ses dix-sept ans, alors qu'il vient de finir le lycée, ne va pas le rencontrer tout rose, en même temps que le reste de son existence va prendre un autre tournant bien sombre. C'est finalement, pour le jeune homme, l'été des tournants, des décisions à prendre, des paradoxes émotionnels que nous retranscrit avec réussite Steve Tesich.



C'est, de fait, un roman d'apprentissage que nous lisons, certes, mais c'est un roman d'apprentissage de la douleur pour un adolescent bientôt adulte aux airs d'anti-héros, maladroit, inconstant, parfois égoïste, qui n'en est pas moins touchant, de même que le sont les autres personnages qui l'entourent, chacun à leur façon. Et derrière l'adolescent et son entourage, c'est une vision assez amère qui nous est donnée de son univers, avec cette ville de l'Indiana dans laquelle si l'on ne part pas, l'on n'a qu'un avenir tout tracé, bien peu romanesque, au contraire, justement, de la rencontre de cette fameuse soirée qui ouvre le roman.



Un roman que j'ai trouvé paradoxalement touchant alors qu'il est assez rude en termes de scènes ou d'atmosphère, pas forcément de style cependant.
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Karoo

Un « écrivain » spécialisé dans la reprise de scénarios et d’adaptations pour le cinéma, père adoptif séparé de son épouse, gras et sévèrement névrosé, spectateur de sa vie, coincé dans une sorte de mise en abyme de lui-même, voguant dans une stase vaseuse…



L’histoire d’un menteur procrastinateur autocentré



Un livre brillant, une oeuvre autour d’un anti-héros coincé dans sa propre histoire comme une limace dans un verre de bière
Lien : https://www.noid.ch/karoo/
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Karoo

Quel est l’intérêt de ce roman ? Je me le demande encore. Pourtant le postulat de départ était intéressant et ça m'a vraiment intéressé pendant les cent-cinquante premières pages. Et puis, ça m'a complètement lassé. Mais vraiment ! Moi qui attendais un personnage principal hors du commun, je me retrouve avec une caricature d’américain qui a réussit. De plus, le secret qui le lie à Leila n'a rien d'un secret puisqu'il nous est révélé dès le début. Autant dire qu’il n’y a aucun suspens. Vraiment aucun. Tout ce qui arrive se devine aisément. J’ai presque du mal à comprendre l’engouement qu’il y a eu sur ce roman. Presque, parce que la vente n’est qu’une question de communication … Grâce à ça, de petits bijoux continuent à être inconnus dans le monde littéraire, alors que certains navets se vendent à plusieurs millions d’exemplaires car les auteurs ont, d’ors et déjà, un nom. Je ne pense vraiment pas me lancer dans la lecture de Price, le second roman de cet auteur. Trop peur d’être déçue … Trop peur de perdre mon temps … Trop peur de devoir, à nouveau, lire en diagonale tant je m’ennuierais. Bref, ce n’est, à mes yeux, pas une réussite et ça m'énerve grandement de perdre du temps sur ce genre de roman sans but.
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Karoo

Vous savez quand votre esprit est bercé par les vapeurs d'alcool, juste suffisamment pour vous sentir spectateur de ce que vous vivez, de ce qui se vit autour de vous et que vous avez le sentiment qu'à tout moment vous pouvez arrêter, changer le cours des choses ou vous collez à la réalité avec autant d'aisance que si c'était vous qui décidiez du scénario, des évènements présents ? Et que dans le même temps, vous pensez atteindre une lucidité, une vérité sur les choses sans pareille mesure ?

Et bien Karoo en est là ! Il assiste aux évènements de sa vie et décide de laisser venir, de voir où peuvent aller les choses, jusqu'où ? Karoo, aquaboniste new-yorkais ou je m'enfoutiste, qui prend une décision qui pour lui va révolutionner sa vie au point de racheter toutes ses erreurs et passivités passées.

On aimerait le secouer un peu, lui dire : « Saul, Ô Saul ! Tu te démènes entre ton fils, ton éternelle future ex-femme, tes maîtresses d'un soir, Leila... comme un éléphant dans un magasin de porcelaines. Tu saccages. Tu saccages. Encore et encore. Avec méthode et application sans rien voir venir ! Et pourtant ! Tu ne fais que changer le cours d'une histoire préétablie, revoir le scénario d'un navet pour en faire un chef d’œuvre, car c'est là la seule chose que tu sais transformer en or, c'est là ton seul génie.

Jusqu'au jour où arrive Le Film que tu n'aurais jamais dû voir... »



J'ai appréhendé « Karoo » au départ comme « habituellement » un roman, et j'ai eu un mal de chien à me faire à « cette histoire » : Je me suis demandée ce qui pouvait bien fasciner autant les autres lecteurs dans cet anti-héros, cynique, à la passivité proche du masochisme tellement il semble se complaire dans des situations où il ne lui faudrait, au bout du compte, que peu d'énergie pour s'en extirper, la tête haute et la conscience en paix. Peut-être le problème est-il là ? Le manque de volonté et de conscience. Ce n'est d'ailleurs pas que les personnages détestables me rebutent, loin de là. Mais justement, Saul Karoo n'est en rien détestable, ni pitoyable d'ailleurs. A part un profond ennui et une envie de lui botter les fesses... Pauvre petit homme riche, lassé des plaisirs de la vie, qui n'a plus goût à rien, ni à l'alcool, ni au sexe, ni à la gloire. A rien ! On l'accompagne et l'entoure d'un regard bienveillant les premières pages et très vite on comprend qu'il en sera toujours ainsi. Et là, on entrevoit ce qui fait le succès de Tesich, on est emporté par son écriture : on n'est plus dans l'intrigue, le dénouement, ou si peu... On est dans les faux semblants, dans la peur de vivre quelque chose de vrai, de sincère qui viendrait casser cet équilibre acquis, cette monotonie de nos existences, sécurisante. On se délecte de petites phrases sublimes, d'aphorismes et de « constats-vérités » sur nos vies et notre monde actuels (celui du cinéma en prend pour son grade !). On est au cœur du récit, de sa vacuité et on assiste au désastre !

J'ai souvent eu cette impression de me retrouver au théâtre.

Ce sentiment de lâcher totalement l'histoire pour me laisser porter par les mots, le rythme des phrases est-il dû au fait d'avoir découvert ce livre en audiobook ? D'avoir été bercée par la voix puissante de Thibault de Montalembert ? J'ai entendu les silences, j'ai senti la résonance et la résistance des mots.

Et ce fut sans appel.

Découvrir « Karoo » de Tesich aura vraiment été pour moi la lecture la plus singulière et ambivalente de cette année : Entre agacement et admiration, ennui et intérêt, ridicule (j'ai ri, mais pas toujours à bon escient) et respect (un sacré auteur tout de même !).

Je l'ai lâché tellement de fois en cours de route que je ne m'explique encore pas comment ce livre a pu avoir une telle impression sur moi...
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Karoo

Après la lecture flamboyante de Price il y a quelques années, je me suis plongée avec bonheur dans le second roman de Steve Tesich, Karoo. Roman d'effondrement, portrait d'un homme en chute libre, celui de Saul Karoo, docteur du cinéma, sauveteur de scénario et de films mal montés, alcoolique notoire et baratineur sans fin. Saul ment comme il respire. À lui, son ex femme, son fils adoptif, ses associés, il ment et croit à l'histoire qu'il nous narre... Il a besoin de spectateur pour vivre et créer l'animation et le lent déroulé et celui de la vie des autres.

Dans les États Unis de la fin des années 80, en pleine toute puissance politique et économique, l'auteur réalise le portrait grinçant et touchant d'une société en pleine désillusion.
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Price (ou) Rencontre d'été

Price est de loin le plus beau livre que j'ai lu sur l'adolescence. Avec en toile de fond la relation d'un ado de 17 ans avec son père malade, Tesich parle avec justesse et mélancolie de cette periode de notre vie où le présent est parfois un enfer et l'avenir toujours un mystère. Et de ces sentiments qui nous ont dévastés et brûlent parfois encore aujourd'hui d'un inoubliable feu. Master piece !
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Karoo

Quelques mots sur l'auteur. Steve Tesich était un scénariste américain, Karoo a été publié à titre posthume. Pour ceux à qui ce nom ne dit rien, il a notamment travaillé sur l'adaptation de Monde selon Garp de George Roy Hill.



C'est avec cet aveuglement sans pareille que j'ai continué ma lecture, un peu au hasard, tout en suivant Saul, tenaillé par ses propres démons. J'ai pris du plaisir à lire son histoire, - qui soi-dit en passant est écrite à la troisième personne.

Saul Karoo est américain, il vit à New York et travaille en tant que script director pour Hollywood, en d'autres mots, il réécrit des scénarios pour le cinéma.

Faisant moi-même des études de cinéma, j'ai trouvé cette approche très intéressante, il y a un fort questionnement sur le statut d'oeuvre d'art, de chef-d'oeuvre, aspect que j'ai trouvé vraiment utile pour comprendre la complexité de notre personnage. Surtout que cette description apparaît comme plausible étant donné la profession de l'auteur. Saul est un homme qui ne semble bon qu'à ça, réécrire les scénarios des autres, du moins, c'est ce qu'il pense. En dehors de son métier, c'est un homme qui n'existe pas, il est séparé mais toujours marié de Dianah avec qui il a adopté un enfant, Billy, qui est désormais en deuxième année d'études à Harvard. Après ce rapide tableau, on pourrait penser que tout ne peut qu'aller dans la vie de Saul, seulement, c'est tout le contraire ! En effet, il pense être atteint de problèmes, de "maladies" comme il aime les nommer. Il ne peut plus être en état d'ébriété par exemple, eh oui, les gueules de bois sont à présent terminés ! Malgré tout cela, personne ne semble croire que Saul peut avoir de vrais problèmes, et surtout pas Dianah qui ne perd jamais une occasion pour lui faire toujours la même ribambelle de reproches.



Les choses deviennent réellement intéressantes dès l'apparition de Leila Millar, une actrice sans talent que Saul a aperçu dans un film qu'il doit modifier. Va alors se développer un lien particulier entre eux, mais également avec Billy qui va passer de plus en plus de temps avec son père et sa nouvelle compagne.

Si l'histoire vous dit, n'hésitez pas à aller jeter un coup d'oeil, car, ce que je dis là ne représente que les prémices d'une oeuvre éloquente et surtout riche en sentiments.

J'ai été totalement subjuguée par la tournure des évènements, l'auteur fait diversion par le biais de la relation entre Billy et Leila, cette diversion, je ne l'ai pas vu venir et encore moins la suite. Je ne comprenais pas encore vraiment l'enjeu, où l'auteur voulait aller, mais c'est une véritable tragédie qui se déroule sous nos yeux, une tragédie grecque, mythique. Je me suis retrouvée pantoise, toute seule devant mon bouquin à me demander si c'était une blague, si Steve Tesich n'était pas en train de se payer ma tête.

Eh bien, non, il ne se moquait pas. Même encore maintenant je ne saurais dire si son cliffhanger aux trois quarts du roman était une bonne idée, cependant, en le commençant, je m'attendais à tout sauf à ça. Je suis très rarement surprise que ce soit dans la littérature ou encore dans le cinéma, pourtant, là, je suis restée stupéfaite, ébahie.

J'ai également beaucoup apprécié l'aspect psychologique très présente dans le roman, Saul étant décrit comme un personnage intelligent qui n'a pas son pareil pour cerner ses rencontres.

Comme beaucoup de longs romans, l'installation prend du temps, Karoo ne déroge pas à la règle, cependant, une fois passée les cent premières pages, on ne peut qu'admirer ce récit à la première personne, cet humour cynique, sarcastique auquel on se percute, à l'image de Saul, Leila et Billy, et leur accident de voiture.



Plus qu'un roman sur la vie d'un homme, il s'agit aussi d'une critique, critique dénonciatrice de la société américaine qu'il dépeint comme égoïste et surtout fou. C'est une adaptation mythique moderne, qui se peint dans un fou, désillusionnée, monde où n'est que factice souvent représenté avec le personnage de Jay Cromwell.



Ce roman fait partie de ceux qui nous font ressentir une pointe au coeur quand on arrive à la dernière page, le dernier paragraphe, la dernière phrase et enfin le dernier mot. Je ne voulais pas le finir, égoïstement je voulais le garder pour moi, toujours, mais il m'est impossible de ne pas terminer une oeuvre, je l'ai donc lu, dévorée avidement comme Saul boit ses gins-tonics.



N'hésitez pas à aller voir mon avis en intégralité sur le blog
Lien : http://allaroundthecorner.bl..
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Karoo

Lire le quotidien de Saul Karoo, écrivain totalement auto centré, souffrant à mon avis d'un manque TOTAL d'intelligence émotionnelle, incapable d'éprouver la moindre émotion, s'acheminant grâce à l'alcool et à la cigarette vers une mort inéluctable, s'avère assez fastidieux au bout de de 200 pages. J'ai apprécié l'humour sarcastique de Steve Stesich et son style alerte mais so what ! ...les états d'âme de Karoo ne m'ont pas suffisamment intéressée pour avaler les 600 pages de ce pavé, du reste très joli !
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Karoo

J'ai encore une fois suivi mon instinct en achetant ce livre dont la couverture m'a attirée, c'est comme les paillettes incrustées dans Karoo, c'est vraiment très brillant et magnifique.



L'histoire de Saul Karoo est très dramatique mais au début c'est assez amusant de faire connaissance avec cet homme très atypique, alcoolique et menteur.



Karoo est séparé de sa femme Dianah, il a un gros souci de communication avec son fils Billy, il vit dans sa bulle remplie de fumée, d'alcool et de mensonges.



Autant l'alcool ne fait plus effet sur son métabolisme, il a du mal à ressentir des sentiments et se sent vide jusqu'à ce qu'il rencontre Leila qui va changer le cours de sa vie à tout jamais. Les moments de bonheur qu'ils vont partager tous les trois Karoo, Leila et Billy seront éphémères et aussi les portes qui fermeront toutes ses illusions.



Cet homme qui est surement vide d'émotions et de sentiments va m'emporter dans son histoire qui m'a terriblement secouée. Jusqu'où le néant peut-il emporter Saul Karoo dans le désespoir de son existence irréelle et tellement triste.



Cette œuvre achevée quelques jours avant la disparition de l'auteur plein de talent me laisse sans voix. C'est dramatique, sensationnel et contrairement au personnage c'est une grosse boule d'émotions que je me suis prise en pleine tête.



Je vous conseille vivement de découvrir cet ouvrage unique et magnifiquement bien écrit. La plume acerbe de l'auteur m'a fait vivre des moments intenses et descendre dans les profondeurs d'une âme meurtrie qui tombe dans les profondeurs du néant.
Lien : https://sabineremy.blogspot...
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Price (ou) Rencontre d'été

Je suis restée assez perplexe pendant toute la première grande partie du roman car l'histoire de Daniel Price est très ordinaire : un jeune garçon dans une petite ville américaine industrielle sans grand charme attend son diplôme clôturant la fin de sa scolarité , en compagnie de ses deux inséparables amis, Larry et Billy, il est affublé d'un père aigri et méchant et d'une mère qui a baissé les bras depuis longtemps .



Combats perdus de lutte , filles qu'on regarde passer en rêvant, petits boulots en se demandant ce que va réserver l'avenir ; des activités banales et des idées plutôt générales , on se demande où l'auteur veut en venir ...



La rencontre de Daniel avec Rachel dont il tombe éperdument amoureux et la nouvelle de la maladie de son père changent la donne ; on assiste alors à la transformation insidieuse et tourmentée du comportement de l'adolescent, véritable passage vers la vie adulte ;



Pour Daniel cela ne se fait pas sans mal, il est maladroit dans ses relations, hésitant, impulsif et souvent il m'a franchement agacé mais on passe dans le roman à quelque chose de beaucoup plus profond et subtil: la découverte de sentiments puissants, de la compassion, la fin de l'innocence et le plongeon dans l'ambiguité des relations amoureuses et amicales et des rapports familiaux.



N'ayant pas lu Karoo, je découvre cet écrivain dont Price est le premier roman publié en 1982, pour une fois je vais faire mes lectures dans un ordre chronologique ...
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Price (ou) Rencontre d'été

Poursuivant sa démarche de mise en avant d'auteurs américains méconnus , l'éditeur propose ici le premier romande l'auteur du brillant Karoo .

Et il à bien eu raison .

A ce texte il ne faut rien rajouter , tout est parfaitement mis en place et le lecteur embarque pour un grand voyage dans la littérature US.

Alors oui , tout n'est pas rose ici , mais dans le même temps on ne lis pas ce genre de livre pour y trouver de l'eau de rose .

Tesich s'attaque ici à un sujet largement traité par ailleurs , mais toujours aussi mystérieux : l'adolescence , et l'arrivée à l'âge adulte .

On est très loin des clichés du type TF1 sur la question , ici c'est le coeur qui s'exprime avec intelligence , force de caractère , etc.

Cette histoire on ne la quitte pas une fois entamée , il y a une force d'attraction qui nous maintient en éveil , avec le désir de parvenir à la fin de ce superbe roman , ou les personnages sont à fleur de peau , remarquablement croqués ...

Il y a nombre de livres sur ce sujet là , mais cet opus se classe tout en haut grace à la maestria qui le caractérise .

Chef d'œuvre .
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Karoo

Ce pavé de six cents pages dont la couverture ressemble à du carton d’emballage, avec cet homme sans tête qui se bat contre son double, dessin maladroit et rigide n’attire vraiment pas l’oeil. Mais le livre qu’il contient, je ne suis pas prête de l’oublier.



Saul Karoo, le héros ou plutôt l’antihéros du livre, réécrit des scénarios, transforme les œuvres des autres, les digère et les restitue sous forme de futurs succès pour l’industrie cinématographique hollywoodienne.



L’auteur, Steve Tesich, s’est nettement inspiré de sa propre expérience de scénariste car il a adapté le Monde selon Garp et écrit les scénarios de Georgia d’Arthur Penn et de La Bande des quatre de Peter Yates. Autant dire qu’il connaît la musique, mais l’air qu’il nous joue dans ce roman est particulièrement grinçant : cynisme, manipulation, mensonge, humour noir et surtout vide intégral.



Karoo, la cinquantaine bedonnante, se trouve affligé d’une étrange maladie : il n’arrive plus à s’enivrer, ce qui gêne considérablement sa réputation d’alcoolique invétéré et le conduit à simuler l’ivresse qu’il n’arrive plus à ressentir. Il n’est pas inutile de rappeler que le Karoo est une sorte de désert d’Afrique du Sud et que c’est un mot qui veut dire… le pays de la soif!



Simuler, mentir, c’est ce que ce riche script doctor sait le mieux faire. Toujours en représentation, il se montre incapable d’éprouver des sentiments s’il n’a pas un public. Son fils adoptif Billy et sa femme Dianah dont il n’arrive pas à divorcer n’échappent pas à la règle. Karoo ne supporte pas l’intimité.



La première partie du roman est un véritable chef d’oeuvre de déréliction et d’humour : lors d’une soirée new-yorkaise branchée Karoo essaie d’échapper par tous les moyens à son fils qui aimerait dormir chez lui.



J’avais mes propres habitudes, et l’une d’elles consistait à me montrer excessivement sentimental avec Billy juste avant de lui faire du mal. La fête touchait à sa fin ; je devais le laisser tomber, m’en débarrasser d’une manière ou d’une autre. La question n’était pas si j’allais le faire, mais comment.



Karoo est une crapule menteuse, cynique mais terriblement sympathique, et sa façon d’être fait penser à cet autre grand roman américain, La conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole. Même vacuité, même innocence sans aucun frémissement de conscience devant les vilenies.



On rit. C’est peu flatteur mais on est piégé par les dialogues nerveux, éblouissants, les mouvements rapides qui ne nous font jamais oublier que nous nous trouvons dans le monde du cinéma car on voit les scènes se dérouler comme si nous nous trouvions dans une salle obscure, on déguste les rencontres entre les personnages toujours en représentation.



Les « dîners de divorce » entre Karoo et sa femme sont à cet égard des petits bijoux :



Dianah finit par arriver. (…) Au dos de sa robe bleue, il y a aussi des petits pachydermes condamnés. Sa chevelure blond platine étincelante brille au-dessus d’eux comme le soleil impitoyable sur les plaines dénudées et frappées par la sécheresse du Serengeti. (…) Tous les deux, nous sommes de bons soldats, des professionnels de la scène. Jouer devant un maigre public ne va pas nous décourager. Au contraire, c’est presque un défi à relever. La prestation vocale de Dianah s’améliore. Se fait plus nette. Son choix de postures gagne en précision. La brillance de sa chevelure platine augmente en watts. Ce n’est plus le Buisson ardent. C’est un feu de forêt. Elle est une diva. Une diva dans une robe fatale. Je m’efforce de tenir ma part de ce mariage que nous jouons tous les deux. (…)



Le mauvais génie de Karoo s’appelle Cromwell, un des plus puissants producteurs de Hollywood. Il lui a déjà donné des scénarios à réécrire, dont celui d’un jeune homme qui s’est suicidé après avoir vu ce que l’on avait fait de son œuvre. Cromwell apporte cette fois la dernière œuvre du Vieil Homme, le grand Arthur Houseman, un des cinéastes les plus respectés de la profession. En visionnant le film Karoo se rend compte que celui-ci est un pur chef-d’œuvre. Il découvre aussi, dans un petit rôle, la mère biologique de son fils Billy. Le destin se met en marche. A force de réécrire les histoires des autres Karoo se prend pour Dieu : il veut réécrire l’histoire de Leila, jeune femme fragile, pathétique, à qui on a tout pris depuis qu’elle a quatorze ans. Le roman bascule à ce moment-là. Karoo s’arrange pour faire connaissance de la jeune femme, tombe amoureux d’elle, rêve de reconstituer une famille idéale avec son fils Billy.



Il commet le sacrilège : il mutile le film du vieil homme pour rétablir toutes les scènes avec Leila qui avaient été coupées.



Ce n’était pas seulement que j’avais pris un chef-d’oeuvre et que, pour des motifs personnels, j’en avais fait une banalité. J’avais pris quelque chose et je l’avais transformé en néant. La seule description juste de ce que j’avais fait était que j’avais créé du néant, mais un néant au pouvoir de séduction si puissant et si large qu’il pouvait passer pour n’importe quoi.



La suite du roman devient aussi inéluctable qu’une tragédie antique. Nous nous trouvons désormais à la fois dans l’univers du cinéma et dans celui de la mythologie grecque. L’auteur parle à plusieurs reprises d’hubris, cette faute absolue dans la Grèce antique : l’homme qui commet l’hubris est coupable de vouloir forcer le destin et sa punition sera terrible. Il finira dépossédé de tout ce qui était important pour lui. Karoo, dépassé par sa profession mortifère, a pêché par orgueil. Il a voulu rendre à Leila une part de sa vie mais Hollywood prendra à la jeune femme jusqu’à sa mort.



Dans la dernière partie c’en est fini du « je » obsédant, on s’éloigne de Karoo, on le regarde de haut, l’auteur passe du « je » au « il » dans un éloignement de perspective mais le spectacle est toujours présent, même dans les moments où Karoo gagne en épaisseur. Par exemple lors de ce moment bouleversant où il rend visite à sa mère :



Lorsqu’il voit sa mère revenir vers lui, de loin, avec la lumière du jour venant de la fenêtre de sa chambre qui l’éclaire de dos, elle paraît ne plus avoir une seule ride. Elle paraît être une adolescente anorexique à la coiffure étrange. Puis, comme elle avance vers lui, le temps, jouant en accéléré, la transforme en vieille pomme ridée. Tiens, en voilà une histoire, se dit Saul en détournant le regard.



La fin du livre prend à la gorge par la puissance de sa poésie : Karoo reprend son scénario personnel toujours différé, avec un Ulysse vieillissant qui essaie d’annuler dans l’esprit de Pénélope et de Télémaque la grande absence qu’est l’Odyssée, comme si la famille n’avait jamais été séparée ; mais l’oubli souhaité se transforme en mort des êtres aimés et il ne reste que le néant.



On finit secoué par ce très grand livre sur l’industrie du spectacle et les faux-semblants qui finissent par avoir raison de toute authenticité, sur cette société dont nous sommes tous acteurs à travers les médias sociaux, sur ce vide qui absorbe nos vie.



Un mot sur l’auteur, Steve Tesich, immigré de Yougoslavie, cas d’école de réussite du rêve américain : université Columbia, cascade de récompenses pour son travail de scénariste, écriture de pièces de théâtre. Mais aussi Steve Tesich homme déçu par cette même Amérique comme si le mirage atteint il n’avait étreint que le vide. Il a publié un roman, Price, puis écrit Karoo. Steve Tesich est mort en 1996 d’une crise cardiaque à peine son livre terminé. Karoo a été publié deux ans plus tard. Merci à cette maison d’édition au nom mystérieux, Monsieur Toussaint Louverture, de nous offrir la superbe traduction de ce chef-d’œuvre.
Lien : http://nicole-giroud.fr
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Karoo

Décidément, cette édition me fait de l'oeil, et tout ce qu'elle édite semble me correspondre et surtout, me plaire. C'est un libraire qui l'a conseillé, et puis il y'avait le mot scénariste, alors pour ma cinéphilie, c'était une aubaine. Karoo, c'est ce livre enivrant, ce tourbillon incessant, ce long chemin vers la fin, vers la mort. Parce que Karoo, le personnage donc, cet homme aigris, imbu de lui-même, peut-être parfois irritant, est entrainé dans ce flux incessant, ce temps qu'il ne maîtrise pas, ces évènements donc il n'est pas le maître. Karoo, c'est ce personnage qui aurait été parfait dans une pièce de Shakespeare tellement il semble impuissant face au monde, et en même temps, ce cynisme, cette conscience du monde absurde le rapproche davantage d'un Meursault.

Ce livre, c'est un petit bonheur, il se déguste, il est long, on ne le finit pas en 2h, mais quand on le referme, on continue d'y penser. D'autant que le dernier chapitre est un régal... Alors, allez jusqu'au bout, laissez-vous entraîner, soumettez-vous au rythme du roman, laissez votre doigt tourner inlassablement les pages de Karoo, vous ne le regretterez pas !
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