Nouvelle parution pour la collection Une Heure-Lumière et nouvel événement.
Après Ken Liu, Lucius Shepard ou Laurent Kloetzer, les éditions du Bélial’ prennent le risque de traduire un auteur encore strictement inconnu en France, le britannique Tade Thompson.
Psychiatre de formation, l’auteur est surtout connu outre-Manche pour sa série Rosewater (également traduite en ce début d’année chez les éditions J’ai Lu) ainsi que ses nombreuses nouvelles. C’est pourtant dans le format bien particulier de la novella qu’on le retrouve ici avec Les Meurtres de Molly Southborne, un texte horrifique et science-fictif étrange jusqu’au bout des ongles.
Ne saigne pas, Molly !
Molly Southbourne n’est pas une fille ordinaire. Pas du tout même.
Naît dans une petite ferme à l’écart du monde, Molly possède un « don » étrange et terrible : lorsqu’elle saigne, elle engendre un double d’elle-même appelé molly. En quelques heures, la molly ainsi créée va grandir et rapidement devenir agressive au point de vouloir tuer la véritable Molly.
Dès lors, celle-ci se voit contrainte et forcée de tuer les doubles nés de son propre sang si elle veut pouvoir survivre. Pour se défendre, Molly peut compter sur ses parents qui vont lui apprendre les bases nécessaires pour se prémunir efficacement contre ce fléau qui l’habite. Seulement voilà, un jour, Molly va devoir découvrir le monde réel, un monde qui la fera saigner comme jamais…
De cette idée extrêmement étrange et incongrue, Tade Thompson en tire un récit horrifique cadré par un monde science-fictif light dans lequel la fertilité a dramatiquement baissée (avec un arrière-goût de Fils de L’homme en prime).
Si l’entreprise semble aussi folle que risquée, Les Meurtres de Molly Southbourne va pourtant réussir l’impensable : exploser les limites de son postulat absurde pour tisser une histoire passionnante et d’une intelligence remarquable.
La femme et ses doubles
Constamment pourchassée par ses doppelgängers, Molly va devoir grandir et s’affirmer.
Mais comment peut-on grandir en étant sans cesse obligée de se protéger de soi-même et…contrainte de se tuer encore et encore et encore ?
Tade Thompson transforme le sang en ennemi intime, vecteur d’une maladie bien plus tangible que toutes les autres et qui incarne la malédiction ultime coulant dans les veines de tout un chacun.
Mais surtout, le britannique donne une dimension métaphorique puissante en offrant à Molly la possibilité de se tuer à différentes étapes de sa vie et dans différents états d’esprit. La pulsion de mort n’a jamais été aussi bien nommée.
L’évolution psychologique de l’héroïne, son effritement émotionnel et son combat acharné incarne une féminité dangereuse, dans le sens le plus primordial du terme, où votre propre corps se retourne contre vous. Le rôle des règles devient dès lors forcément crucial, un moment où la honte le dispute à la mort imminente.
Ne saigne pas, répète Molly. Ne saigne pas.
Comme un mantra la protégeant à la fois de sa condition de femme dans notre société moderne mais, aussi et surtout, de sa condition humaine et fragile qui vole en éclat à la moindre égratignure. Ce sac de peau contenant notre bourbier intérieur comme dirait Louis-Ferdinand Céline.
L’existence même des mollys permet à Tade Thompson d’explorer l’éventail des fantasmes morbides qui nous habitent, du meurtre des parents à l’auto-sexualité en passant par la détestation de soi, ici dans le sens le plus littéral du terme.
Ce véritable tour de force ne serait rien (ou peu de choses) sans une narration passionnante et un récit capable d’aller piocher dans la science-fiction sans jamais trop en dévoiler, en flirtant à la lisière du réel et en évitant le sur-explicatif devenu malheureusement si courant à l’heure actuelle.
Exploration psychologique acérée mâtiné de science-fiction et d’horreur brutale, Les Meurtres de Molly Southbourne ne laisse rien au hasard. Tade Thompson plonge dans les tréfonds de nos pulsions les plus refoulées pour façonner de passionnantes variations du personnage de Frankenstein où le Créateur n’a plus aucun contrôle sur sa Créature et où l’on finit par ne plus savoir qui est véritablement le Monstre ou la victime. Brillant, fascinant, sanglant.
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