Après son départ,je reste près de l'étang à le contempler.J'entends de nouveau en moi-même la voix d'Aritomo: Faites tout comme il convient, et le jardin s'en souviendra pour vous.》
Au fil des ans ,je me suis parfois demandé pourquoi il refusait qu'on couche sur le papier ses instructions,pourquoi il craignait tant que ses idées soient volées et copiées.Apres avoir vécu si longtemps loin de Yugiri,je commence à comprendre enfin réellement ce qu'il voulait dire.Les leçons sont inscrites en chaque arbre,chaque buisson,chaque vue que je regarde.Il avait raison: j'ai appris par coeur tout ce qu'il m'a enseigné.Mais le réservoir de mes souvenirs commence à se lézarder.Si je ne mets pas par écrit, qui comprendra ses instructions,quand je ne serai plus capable de les faire comprendre à autrui,quand moi-même je ne comprendrai plus mes propres paroles. ( Page 278/ 279).
D’innombrables chauves-souris sortent des centaines de grottes criblant ces versants. Je les regarde plonger dans les brumes sans aucune hésitation, en se fiant aux échos et aux silences au milieu desquels elles volent.
Je me demande si nous sommes tous pareils, si nous gouvernons notre vie en interprétant les silences entre les paroles, en analysant les échos en retour de notre mémoire afin de reconnaître le terrain et de comprendre le monde qui nous entoure ?
Je reconnu le visage rouge de Kwan Kun, le dieu de la Guerre
[…]
Il est aussi le dieu du Commerce, dis-je à Aritomo. Le commerce est une forme de guerre, à ce qu’on m’a dit.
Et la guerre est un commerce, répliqua-t-il.
Tout en m’activant, je récitais leurs noms comme un rosaire : Kazezuchi. Nata. Kibasami. Shachi. Tebasami. Maillet. Hachette. Cisailles pour élaguer. Kazezuchi. Nata. Kibasami. Shachi. Tebasami. Le rosaire s’enrichissait chaque jour de perles nouvelles.
Peut-être parce que Aritomo le faisait si bien que les gens n’en avait pas conscience. Quand arrive-t-il que nous remarquions les nuages au-dessus de nos têtes, les montagnes dominant la clôture ?
- Vous semblez plein d'enthousiasme, répliquai-je. Il se pourrait pourtant que l'indépendance vous mette au chômage.
- Vous autres Chinois êtes encore plus terrifiés par le Merkeda que nous, les Blancs." observa-t-il avec un sourire oblique.
C'était vrai, surtout pour les Chinois du Détroit élevés à l'anglaise - les Chinois du Roi, comme nous nous appelions nous-mêmes. Nous avions vu les mouvements pour l'indépendance sombrer dans la violence en Inde, en Birmanie et dans les Indes orientales hollandaises, et nous redoutions que des conflits communautaires du même genre ne déchirent également la Malaisie. Ne sachant quel serait notre sort sous la férule des Malais, nous préférions que les Anglais gouvernent le pays en attendant qu'il soit prêt à l'indépendance. Mais quand serait-il prêt ? Personne n'était disposé à le dire.
Les employés de Frédéric ont pris soin du jardin en suivant mes instructions, mais on sent qu'il a été entretenu par des profanes.
L’encre la plus pâle durera plus que les souvenirs des hommes
Au bord du toit, un drapeau à prières décoloré et déchiré claquait au vent. Il me lança : “Dites-moi jeune homme, est-ce le vent qui bouge ou seulement le drapeau ?“
- Qu’avez-vous répondu ? demandai-je.
- J’ai dit : “Ils bougent tous les deux, vénérables.“ Le moine secoua la tête, manifestement déçu de mon ignorance. “Un jour, déclara-t-il, vous vous rendrez compte qu’il n’y a pas de vent et que le drapeau ne bouge pas. Seul le cœur et l’esprit de l’homme s’agitent.“ » (page 403)
Votre esprit ressemble à une feuille de papier tue-mouches pendant au plafond, se lamentait Aritomo. La moindre pesée y reste collée, si fugace et insignifiante soit-elle.
De la vapeur s’élevait en volutes du sol, comme si quelqu’un avait allumé des bâtons d’encens et les avait plantés dans la terre humide.