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Citations de Tatiana Arfel (73)


Ma mère me laissait faire ; avec ses envols d'oiseau, ses gestes déliés, elle devait comprendre où je voulais en venir : faire sentir le filet d'âme enfermé dans mon corps maladroit, autant qu'elle le faisait sentir dans son corps élancé, émerveiller parfois par les mots rares et la légèreté des gestes, faire sourire, jouer en retenue, en suspension sur mon fil imaginaire où je cabriolerais avec délicatesse.
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Quand un évier est bouché, on dévisse la bonde et puis on essaie de sortir ce qui fait obstacle ; d’abord on tire quelques cheveux, des poils de caniche ou un bijou, et puis l’ensemble vient, une grosse liane de détritus noirâtres, interminable, ensuite l’eau coule à nouveau, claire et chantante. Eh bien, le neuvième jour, des mots se sont affolés dans ma bouche et en sont sortis en liane comme si je vomissais.
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Le môme s'est réveillé trop impatient avant l'aube et attend. Il regarde la lumière naître peu à peu sur le deuxième tapis. C'est encore une autre couleur. C'est la couleur que prend la grande lumière ronde du ciel le soir. C'est une couleur qui fait aboyer de contentement quand on la regarde, comme le vert, mais pas pareil. Cette couleur-ci n'étanche pas la soif. On dirait qu'elle tire à elle le jour qu'elle brille plus que les autres. Elle est enveloppante et fait chaud à la peau, mais pas autant que le rouge. Le môme a du mal à s'en tirer sans comparer aux couleurs connues. Il essaie de se concentrer. Cette couleur fait quelque chose à son cœur, mais pas mal. Elle le gonfle, presque trop pour sa poitrine maigre, elle le fait respirer fort et plus loin que le terrain vague gris marron. Cette couleur donne autre chose que ce qui existe. Le môme découvre en même temps le jaune et l'espoir. L'espoir, c'est un mot piège et il ne l'aurait jamais employé. Moi qui survis au môme, moi qui l'abrite dans mon corps d'homme, je peux expliquer l'espoir. On peut manger des herbes et sucer des cailloux, on peut faire les poubelles et dormir sur la terre sale. On tient le coup, le corps tient le coup pour nous. Mais quand on fait tout ça, le cœur devient aussi gris marron que le carré de boue sur lequel on s'allonge. Quand le jaune est là, il dit qu'autre chose est possible.
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Nous avons joué comme on se bat, coup pour coup : un mort, un numéro. Un incendie, deux poèmes. Un raid, trois éclats de rire d'enfants. Nous n'avons pas tendu l'autre joue, mais des mains pleines de sueur, mais une bouche pleine de chansons, mais nos corps tout entiers pour faire barrage au pire.
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Car l’important pour moi, pour mes parents, pour nous tous peuples nomades, ce n’est pas l’endroit d’où l’on part, ni celui où l’on arrive, non ce qui compte c’est le trajet, la route, ses tournants, sa poussière qui couvre la peau même sous les vêtements, et surtout le mouvement, le crissement des routes, l’incertitude. Nous vivons en exilés sans point de départ ni d’arrivée, avec pour seul appui cette ligne de diamants tendue au-dessus du vide, la route, que nous parcourons en acrobates.
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Après c'est le cercle vicieux, moins on a une vie à côté, plus on s'accroche à ce qui se passe au bureau, plus on en attend, plus on est déçu, plus on s'enfonce. Et j'en reviens au même : alors il faut se sauver soi-même. Il faut partir.
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Même le secteur public commence à ressembler à l'entreprise. Je ne sais pas ce qu'il se passe, avec cette ivresse de la vitesse d'aujourd'hui, à quoi ça sert, aller plus vite, aller où ? J'aime le proverbe "Ne crains pas d'être lent. Crains seulement d'être à l'arrêt". Bien sûr qu'il faut être en mouvement, la vie est impertinence, mais pourquoi à ce rythme ? Quand Rodolphe a fini de remplir les chariots au rythme prescrit, et qu'il n'a plus rien à faire, comme ce n'est pas admissible, comme il ne pourrait pas, je ne sais pas, prendre une pause, s'appuyer un instant sur un plan de travail, on lui refait laver des appareils lavés juste avant, histoire qu'il ne s'arrête pas, toujours le hamster dans sa roue.... Il doit y avoir un motif simple, un employé qui s'arrête est un employé qui réfléchit, et ce n'est pas acceptable.
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Même si, sur le fond, je continue à me poser la question : on critique le travail tel qu'il est devenu, sans remettre en cause la notion même de travail. Etre salarié, payé pour louer son temps à d'autres. Devoir suivre des horaires qui viennent du dehors. Se forcer pour un but qui n'est pas le nôtre. Avoir des "supérieurs". est-ce que c'est ça vivre ?
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Tu te rappelles Anaïs Nin : "Je ne veux pas être adaptée au monde, je veux seulement être adaptée à moi."
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J'ai l'impression d'être comme ces gens qui travaillent dans les péages d'autoroute. Quand je faisais du stop pour aller travailler dans le sud, à la saison, je sentais l'air dans mes cheveux, la force de la voiture, la liberté d'aller où on veut, et je riais. Mais quand on passait à un péage, tout s'éteignait. Je regardais ces gens en placard, à qui personne ne parle, ou si peu, ou comme à une machine, ces gens qui voyaient passer toute la journée, toute la nuit, des VRP, des vacanciers, des fuyards, des amants, des familles, des qui sentent encore le sel ou l'herbe, des bronzés, des pressés, des qui chantent, des qui grignotent... Enfin qui voyaient passer tant de monde qui allait quelque part, alors qu'eux restaient cloués là, au milieu de rien. Je trouvais que c'était cruel. Je trouvais que c'était un supplice, une punition, mais pour quoi ?
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J'avais entendu parler de ces machines qui vieillissent les photos des enfants disparus afin d'en donner une image informatique dix ou vingt ans plus tard. Ces ordinateurs m'effrayaient. Je me demandais si je pouvais moi aussi leur confier ma propre photographie pour comprendre ce que j'allais devenir. Quel coup prenait-on lorsqu'on découvrait sur l'écran le travail des années prévu d'avance par un ensemble de circuits électriques ? L'ordinateur dessinait-il une tombe lorsqu'on était destiné à mourir rapidement ? Un hôpital psychiatrique lorsqu'on allait devenir fou ? Et s'il sortait exactement le même visage, cela voulait-il dire qu'on était déjà mort ? Je n'avais pas peur de voir les dégâts esthétiques que causerait le temps en mordant ma figure, mon apparence ne m'a jamais vraiment beaucoup touchée, non, ce que je redoutais le plus, c'était cette façon qu'avait la machine de s'approprier vos traits et de vous montrer que, dans dix, vingt, trente ans, rien n'aurait changé.
P. 282
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J'étais vieux quand ma voix se fatigue à dresser un nouveau caniche trop fanfaron. J'étais vieux le soir, dès les lumières éteintes. J'étais vieux en rejoignant ma couche étroite, les os tiraillés en tous sens, le coeur compressé, la gorge sèche. Mais je n'étais pas vieux sur scène, devant des centaines d'enfants, je n'étais pas vieux lorsque j'imaginais des symphonies de parfums pleines de ritournelles et de joie, je n'étais pas vieux aux fêtes autour du feu de camp le soir, je n'étais pas vieux lorsque je regardais Ismaëla s'élancer vers les étoiles artificielles : j'avais vingt ans, tout m'était encore possible, mon corps restait paisiblement muet, et devant moi, que la route était grande ! Ces moments où je n'étais pas vieux, ils étaient bien courts, bien illusoires par rapport au reste crûment temporel de mes journées.
P. 153
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Maxime rendit en échange de grands services au campement. En tant que gadjo, il pouvait flâner dans les boutiques sans en alerter les vendeurs, et son art lui permettait de voler tout ce qui était nécessaire aux repas, car les Tziganes ont pour code moral de ne voler que les produits de première nécessité, jamais le luxe ou le superflu. Ce n'est alors pas considéré par leurs lois comme un vol, mais comme le rétablissement d'une justice immanente dans un monde qui en fit des parias.
P. 123
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« On y est !». Alors, tout doucement, depuis chaque roulotte, un même chant monta. C'était un chant tzigane: je n'ai jamais appris la langue et pourtant elle m'a toujours parler au coeur. Il s'enfla, s'étendit au-dessus du convoi comme une nuée rouge et jaune, et nous escorta jusqu'au premier village de zone libre, où nous passâmes bagages. Je ne vis rien là de plus libre que la veille. C'était un village très ressemblant à celui que nous avions quitté à l'aube, mais Jules trouva à manger. Je conclus que la zone libre était celle où l'on pouvait manger librement, et cela me paraissait un peu insuffisant comme justification.
P. 52
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Il a ajouté vous avez remarqué comme on marche plus lentement dans un quartier historique ? C’est qu’on respecte le temps des vieilles pierres, montées une à une, alors que dans un quartier de bureaux béton on accélère instinctivement, cavalant aussi vite que les murs ont été érigés, à la chaîne. On ne flânera jamais, à la Défense ou à Bercy.
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On ne propose pas grand-chose aux gens pour rêver aujourd’hui. Les enfants déjà ils ont l’école et dès qu’ils sont libres on les colle dans dix activités différentes, quand on a de l’argent, et devant la télé, quand on n’en a pas. On ne leur permet jamais de s’ennuyer, d’éprouver leur solitude et de la peupler peu à peu. Et tu vois, disait Stéphane, le conte c’est ça, peupler l’intérieur. D’abord, il y a l’abandon, les gens aiment revenir à quand les parents leur racontaient quelque chose pour les endormir – et plus encore si leurs parents ne l’ont jamais fait, en vrai. Ensuite, il y a le rythme : je raconte lentement, je laisse l’imaginaire faire le relais entre les mots. Je fais des pauses. Comme c’est important, une pause… Un silence en musique… L’espace blanc dans une aquarelle ou tout autour d’une calligraphie… C’est du souffle, tout ça ! Pendant ce temps les gens rêvent et imaginent la suite de l’histoire, qui vaut autant que la suite que je m’apprête, moi à conter.
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Je n’arrive pas à comprendre. C’est bien, ça, essayez de comprendre, activation corticale maximale. Comprendre comment on peut aujourd’hui à la fois exalter l’individualisme, isoler chaque travailleur, tout en le rendant paradoxalement chaque jour plus anonyme, plus… Impersonnel… Interchangeable… Une collection de pantins aux têtes vides tournant en rond au pas dans des boîtes invisibles mais étanches, voilà ce qui se profile…
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Le môme dormait n’importe quand et pas beaucoup, par petits morceaux d’épuisement, peut-être une heure ou deux. (p. 320.)
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Giacomo était fraternel, frère de désastres et de douleurs, mais frère de poésie et de résistance. Il avait résisté là où j’avais cédé de bout en bout. (p. 252.)
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Dans ma tête, naturellement, cette question : qu’avait trouvé la femme crayeuse dans cette toile pour la disjoindre ainsi du monde ? (p. 235.)
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