Transmettre, nous dit le Larousse, c'est "faire parvenir quelque chose à ceux qui viennent ensuite". Un passage de relais en somme, dont il sera question dans ce nouveau rendez-vous des Éclaireurs de Dialogues.
Nous échangerons avec Marie Richeux , productrice sur France Culture et écrivaine. Elle publie ce mois-ci Sages Femmes, chez Sabine Wespieser Éditeur. L'histoire d'une jeune femme qui tente de démêler le fil des générations qui l'ont précédée.
Nous serons ensuite avec Julien, pour la bibliographie des libraires de Dialogues. La transmission est un thème très présent en littérature, Julien a sélectionné quelques-uns de ses titres favoris.
Et à la toute fin de cet épisode, notre invitée brestoise sera Chantal Rio, elle dirige le service des Archives de Brest. Elle nous racontera les trésors qui se cachent derrière les kilomètres de papiers précieusement conservés.
Bibliographie
- Sages Femmes, de Marie Richeux (Éd. Sabine Wespieser)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/18899676-sages-femmes-rom-marie-richeux-sabine-wespieser-editeur
- Les Disparus, de Daniel Mendelsohn (Éd. J'ai Lu)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/950138-les-disparus-daniel-mendelsohn-j-ai-lu
- Les Sirènes du Pacifique, de Cédric Morgan (Éd. Mercure de France)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/16716822-les-sirenes-du-pacifique-roman-cedric-morgan-mercure-de-france
- La Papeterie Tsubaki, de Ito Ogawa (Éd. Philippe Picquier)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/18748759-la-papeterie-tsubaki-ito-ogawa-philippe-picquier
- le Gardien des choses perdues, de Ruth Hogan (Éd. Babel)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/14880664-le-gardien-des-choses-perdues--ruth-hogan-actes-sud
- L'Attente du soir, de Tatiana Arfel (Éd. José Corti)
https://www.librairiedialogues.fr/livre/12952039-l-attente-du-soir-tatiana-arfel-jose-corti
Générique : Sara Petit.
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J'ai compris la détresse des parents quand leur enfant grandit et s'éloigne : cela signe avec certitude votre arrêt de mort. L'enfant qui naît de vous est celui qui vous enterrera. Son entrée au monde vous signifie que votre temps est passé et qu'il faut se préparer à quitter la scène. Vous vous éloignez alors peu à peu du centre et, lorsque ce même enfant atteint l'âge adulte, vous n'êtes plus qu'à un pas du noir des coulisses, où personne ne sera là pour vous accueillir. Qu'elle est courte cette scène, qu'on ne traverse qu'une fois, qu'elle est aveuglante, la lumière qui vous y poursuit, et comme la salle est obscure, à tel point qu'on pense souvent qu'il n'y a personne ! Et n'essayez pas de rester sur scène plus que de raison, car quand vous vous retournerez votre enfant s'y trouvera à votre place, lui aussi aveugle aux coulisses de droite, et oublieux des coulisses de gauche desquelles il est pourtant né.
Je n’arrive pas à comprendre. C’est bien, ça, essayez de comprendre, activation corticale maximale. Comprendre comment on peut aujourd’hui à la fois exalter l’individualisme, isoler chaque travailleur, tout en le rendant paradoxalement chaque jour plus anonyme, plus… Impersonnel… Interchangeable… Une collection de pantins aux têtes vides tournant en rond au pas dans des boîtes invisibles mais étanches, voilà ce qui se profile…
Il a ajouté vous avez remarqué comme on marche plus lentement dans un quartier historique ? C’est qu’on respecte le temps des vieilles pierres, montées une à une, alors que dans un quartier de bureaux béton on accélère instinctivement, cavalant aussi vite que les murs ont été érigés, à la chaîne. On ne flânera jamais, à la Défense ou à Bercy.
Il m’a vu pleurer. Il a pris ma main dans les siennes, sans la griffer. L’enfant m’a consolé de sa souffrance à lui. Depuis la mort de ma mère personne ne m’a consolé de la vie, des douleurs, des écorchures du Sort. Près de quarante ans après elle, il y avait quelqu’un qui prenait ma peine dans ses mains. J’ai eu à nouveau dix ans et un chapiteau de tendresse m’abritait.
Quand il a écarté ses doigts, ma peine a coulé entre eux comme une fine pluie dorée, et elle s’est écrasée au sol en souriant. Sur la terre qui l’a bue, le lendemain, ont fleuri trois coquelicots…

On ne propose pas grand-chose aux gens pour rêver aujourd’hui. Les enfants déjà ils ont l’école et dès qu’ils sont libres on les colle dans dix activités différentes, quand on a de l’argent, et devant la télé, quand on n’en a pas. On ne leur permet jamais de s’ennuyer, d’éprouver leur solitude et de la peupler peu à peu. Et tu vois, disait Stéphane, le conte c’est ça, peupler l’intérieur. D’abord, il y a l’abandon, les gens aiment revenir à quand les parents leur racontaient quelque chose pour les endormir – et plus encore si leurs parents ne l’ont jamais fait, en vrai. Ensuite, il y a le rythme : je raconte lentement, je laisse l’imaginaire faire le relais entre les mots. Je fais des pauses. Comme c’est important, une pause… Un silence en musique… L’espace blanc dans une aquarelle ou tout autour d’une calligraphie… C’est du souffle, tout ça ! Pendant ce temps les gens rêvent et imaginent la suite de l’histoire, qui vaut autant que la suite que je m’apprête, moi à conter.
Car l’important pour moi, pour mes parents, pour nous tous peuples nomades, ce n’est pas l’endroit d’où l’on part, ni celui où l’on arrive, non ce qui compte c’est le trajet, la route, ses tournants, sa poussière qui couvre la peau même sous les vêtements, et surtout le mouvement, le crissement des routes, l’incertitude. Nous vivons en exilés sans point de départ ni d’arrivée, avec pour seul appui cette ligne de diamants tendue au-dessus du vide, la route, que nous parcourons en acrobates.
Ces petits tracas ne cessaient plus, et je connus ce moment où l'on s'aperçoit que la vieillesse est vraiment là, que ce n'est que ça : non pas une douleur fulgurante qui vous affaisserait d'un grand coup, mais une succession de petites douleurs qui font que le corps a, tous les jours, mal quelque part.
Je ne peux pas dire avec des mots ce que ce fut pour moi de perdre ma mère. Ma mère, la douceur parfumée de ses cheveux, ses chansons étranges pour m’endormir. Ses mains toutes petites, couleur pêche blanche, qui me lavaient chaque soir de la fatigue et de l’énervement de la journée. Son silence quand elle ne chantait pas et son sérieux appliqué quand elle m’écoutait….--- toute cette couverture douce autour de moi se retirait d’un coup, laissant derrière elle l’étreinte glacée du monde à affronter encore des années durant. ---- Au lieu de quoi, elle est morte au sol, misérablement, comme un oiseau tiré en plein vol. Elle aurait dû mourir en s’envolant simplement du haut du chapiteau vers les étoiles, et chaque fois que j’aurais regardé le ciel, je l’aurais vue danser entre les constellations
Le môme est mis une fois dehors dans un petit abri où la bête bleu clair rentre aussi. Le môme qui a levé la tête s'aperçoit qu'elle s'est séparée en deux : deux grandes ombres devant lui. L'abri se met à avancer doucement tout seul, le môme ne comprend pas, il voit le dehors bouger : à gauche le mur du terrain vague, à droite les maisons, et puis d'un coup le mur a disparu, l'abri a tourné, c'est un autre endroit, d'autres maisons, des bruits inconnus, des lumières blanches, rouges, vertes. Le môme est si fasciné par les lumières de couleur qu'il lâche son poing qu'il mordait pour se calmer, il regarde. Il a peur encore, mais il avale toutes les images pour quand il pourra rentrer à son abri. Il ne sait pas ce qu'on veut de lui.
« Mes amis, à partir du moment où vous pointez, votre temps ne vous appartient plus. Considérez que ce temps vous le louez contre salaire. C'est bien le cas, n'est-ce pas ? C'est comme une maison : si vous la louez à des gens alors que vous partez en vacances, vous n'allez pas y repasser quand vous voulez, non ? Chez HT, c'est pareil. Ce temps n'est pas votre temps. Lorsque vous travaillez, vous ne pouvez pas en avoir jouissance. Gardez bien cela en tête, nous en reparlerons lors de la réunion de rationalisation des pensées. Une fois arrivés ici, c'est HT qui occupe votre maison, qui vous paye pour cela, ce n'est plus vous. C'est signé dans votre contrat de travail, lu et approuvé par vous-même. Le soir, après avoir pointé en bas, une fois dans la rue, vous pouvez réintégrer votre maison. HT n'est pas esclavagiste. »