Franck Maubert, Claude Challe et Thierry Ardisson interviewent Tatiana Tolstoï pour son livre "De l'élégance masculine" sur la mode masculine et les conventions de l'élégance ainsi qu'Alain Soral pour son ouvrage traitant également de la mode "La création de mode".
INA Arditube
Telle a été, pour l’essentiel, la vie de deux êtres aussi rapprochés par un mutuel amour que séparés par la divergence de leurs aspirations. Infiniment près l’un de l’autre, mais aussi infiniment distants l’un de l’autre. Cas particulier d’une lutte éternelle : la lutte de la puissance de l’esprit et de la grandeur de chair.
Et qui prendrait sur lui de désigner le coupable? L’esprit peut-il renoncer à défendre sa liberté ?
Mais reprenons son journal de 1908. Nous y lisons ceci :
“État pénible, douloureux, Ces derniers jours, fièvre sans interruption, je supporte cela mal et avec peine. Sans doute, je vais mourir. Certes, il a été dur de vivre dans les conditions stupides de luxe où j’ai été amené à passer ma vie et il est encore plus dur de s’y voir mourir...”
“... Toujours la même torture. La vie à Iasnaïa Poliana est totalement empoisonnée . Où que j’aille [je trouve] honte et souffrance...”
“Une chose me devient une torture de plus en plus grande le mensonge d’un luxe insensé à côté de l’état immérité de misère et de dénouement qui m’entoure. Tout va de mal en pis, tout devient de plus en plus pénible. Je ne puis m’empêcher d’y penser, je ne puis point ne pas voir...”
Mon père s’inscrivît comme recenseur volontaire (recensement de Moscou en 1882) …
Pour le première fois de sa vie il vit la vraie misère et put constater la chute morale de ceux qui ont roulé jusqu’en bas. Il fut atterré et, à son ordinaire, soumit ses impressions à la plus implacable analyse. Cette misère profonde - quelle en est la cause ? Et ces vices - pourquoi ? La réponse ne se fit pas attendre.
S’il y a des gens dans la misère, c’est que d’autres ont le superflu.
S’il y a des gens dans l’ignorance, c’est parce que les autres ont trop de connaissances inutiles.
S’il en est qui plient sous le joug d’un travail accablant c’est parce que d’autres vivent dans l’oisiveté.
Et quand il se posa encore une question : qui sont les autres ? La réponse s’imposa : moi, moi et ma famille. (Page 45)
- Quel homme heureux vous êtes ! lui dit Sologoub. Vous avez tout ce que vous aimez …
- Non, repondit mon père. Ce n’est pas que j’aie tout ce que j’aime, mais j’aime tout ce que j’ai. (page 228)
La discorde, qui à un degré presque imperceptible s'établit dès les premiers jours du mariage de mes parents, resta, grâce au grand amour qui les unissait, à l'état latent pendant une vingtaine d'années, jusqu'au moment de ce qu'on appelle la conversion ou la crise religieuse de Tolstoï et ce qu'il appelait lui-même sa seconde naissance. Les vingt premières années de leur ménage furent heureuses.
Ma mère a donc dix-huit ans quand elle épouse mon père. Elle est belle, fine, brune et ardente. Elle n'a jamais vécu à la campagne. Et voilà que cette citadine, cette enfant, doit renoncer aux joies d'une nombreuse famille, à la vie des grandes villes et à ses amusements.
Le poulet
D'habitude, au début d'automne ma,mère partait pour Moscou avec ceux de ses enfants qui allaient encore à l'école. Mon père, ma soeur et moi restions à Iasnaia Poliana encore quelques mois. Nous menions alors, à l'exemple de notre père, une vie de Robinson, faisions notre ménage nous-mêmes, sans l'aide de domestiques et préparions nos repas, comme de juste strictement végétariens.
Or, voici qu'un jour on nous annonce l'arrivée d'une de nos tantes, une grande amie de nous tous, et que nous aimions beaucoup. Sachant que notre tante appréciait la bonne chère et particulièrement la viande, nous nous demandions que faire. Préparer du « cadavre » - nous appelions ainsi la viande- nous faisait horreur. Alors que nous en discutions ma soeur et moi, mon père entra. Mis au courant de notre embarras, il nous rassura, en nous promettant de s'occuper du menu de la tante.
- Quant à vous, dit-il, préparez le dîner comme à l'ordinaire.
Notre tante, belle, gaie, pleine de vie colle toujours arriva dans la journée. Quand vint l'heure du dîner, nous nous rendîmes à la salle à manger, mais qu'y trouvâmes-nous ? À côté du couvert de notre tante était posé un énorme couteau de cuisine et au pied de sa chaise était attaché par un bout de ficelles un poulet vivant.
- Comme nous savons, dit mon père, Que tu aimes manger des êtres vivants, lis t'avons préparé ce poulet. Mais comme aucun d'entre nous ne veut commettre un assassinat, nous avons aussi mis à ta disposition ce couteau meurtrier pour que tu fasses la chose toi-même.
- Voilà encore une de tes farce ! s'écria tante Tatiana en éclatant de rire. (Page 197)