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Citations de Tayeb Salih (42)


- Dis-nous, Bint Mahjoub, lequel de tes maris était le plus puissant.
- Wad el-Béchir !
- Wad el-Béchir ? dit Bakri, ce petit fatigué ! Les chèvres lui mangeaient son dîner !
D'un geste théâtral, Bint Mahjoub secoua à terre la cendre de sa cigarette et dit :
- Par le serment de la Répudiation ! Ce qu'il avait était comme un gros pieu. Quand il l'enfonçait dans mes entrailles, la terre n'était plus assez vaste pour me contenir. Il me levait la jambe à la prière du soir et je restais, les cuisses ouvertes, jusqu'à l'appel du muezzin à la prière du matin. Quand ça le prenait, il soufflait comme un bœuf égorgé et, se levant, disait toujours : " Ah ! Dieu ! Dieu ! Ah ! Bint Mahjoub ! "
- Il ne faut pas s'étonner, dit mon grand-père, tu l'as tué en pleine jeunesse.
Mais Bint Mahjoub se mit à rire :
- Son heure était venue. Cette chose-là n'a jamais tué personne.
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Vous avez raison, madame : optimisme et courage. Mais en attendant que les déshérités de la terre rentrent dans leur héritage, que les armées soient démobilisées, que l'agneau paisse en sécurité en compagnie du loup, que l'enfant joue dans le fleuve sans craindre le crocodile, avant cette ère de bonheur et d'amour, je continuerai à m'exprimer d'une manière aussi tordue.
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Je me tenais un matin devant la maison de mon grand-père, près de la massive et vieille porte en bois. Il avait sûrement fallu un acacia entier pour la fabriquer. C'était l'œuvre de Wad el-Basîr, l'architecte-artisan, qui n'avait pas appris son métier en passant par l'école. [...] Cette grande maison, qui n'est ni de pierre ni de brique, est bâtie dans la même terre argileuse que celle des champs de blé dont elle est le prolongement. [...] C'est une maison qui ne fut pas construite en une seule fois, selon un plan préétabli. Elle avait fini par revêtir son aspect actuel après de longues années d'improvisation. [...] Vaste demeure, fraîche en été, chaude en hiver. À la regarder du dehors, froidement, elle semble précaire, mais sa résistance au temps tient du miracle.
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Comment dire à Mahjoub que dans ce décor somptueux, dans un verbeux discours, un ministre déclarait, accueilli par une tempête d'applaudissements : " Il faut empêcher la contradiction entre la connaissance livresque et la réalité populaire de se nouer. Tous les étudiants de nos jours aspirent au confort, veulent climatiser leur bureau et leur villa, circuler dans de vastes voitures américaines. Il faut s'attaquer aux racines du mal faute de quoi il se formera chez nous une classe d'intellectuels bourgeois coupés de la vie réelle. Et pour l'Afrique, c'est là un danger plus grave que le colonialisme même. " Dirais-je à Mahjoub que ce ministre aux déclarations si péremptoires passe les vacances d'été dans sa villa sur les bords du lac de Locarno, que sa femme s'approvisionne à Londres, par avion spécial, que les membres de sa délégation déclarent à qui veut l'entendre que leur ministre est corrompu et vénal, enrichi par le négoce et l'investissement dans l'immobilier, que sa fortune repose sur une exploitation scandaleuse de son peuple ? Ces gens-là ne pensent que ventre et bas-ventre. Il n'y a justice ni équité dans ce monde.
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Nous évoquions parfois notre enfance et il me disait :
- Compare un peu nos deux chemins. Tu es devenu haut fonctionnaire tandis que je suis resté paysan dans un pays perdu.
- Mais c'est toi qui as réussi, parce que tu agis sur la vie réelle du pays. Nous autres, fonctionnaires, ne changeons rien à rien, tandis que les gens comme toi sont les héritiers légitimes du pouvoir.
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Comme il gardait le silence, le regard détourné, je le dévisageai longuement. C'était assurément un bel homme : le front large et avenant, les sourcils bien séparés, croissants surmontant les yeux, une tête couverte de cheveux blancs, abondants, épais, en parfaite harmonie avec son cou puissant et ses épaules déployées, un nez pointu à l'extrémité, aux narines fournies en poils. Quand il releva la tête au cours de la conversation, je notai l'expression tout à la fois de tendresse et de dureté de son visage. Sa bouche était détendue, ses yeux rêveurs. Son visage plus harmonieux que mâle. Mais sa voix était tranchante, claire ; quand il se taisait son visage se durcissait ; quand il riait, la joie rayonnait en lui.
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Il avait déclaré : " Je suis un mensonge. " En étais-je un également ? La réalité n'est-elle pas, pour moi, dans ce village ? J'ai vécu parmi des étrangers, mais superficiellement : sans les aimer ni les haïr. Mes pensées secrètes étaient pour le village qui ne quittait point mon imagination, où que je me tournais. À Londres, en été, après l'orage, je pouvais sentir l'odeur de mon village. [...] Ce n'est ni meilleur ni pire ici que là-bas. Mais je suis, pareil au palmier dans notre cour, originaire de cet endroit. Et le fait que ceux de là-bas soient venus chez nous doit-empoisonner notre présent et notre avenir ? [...] Nous sommes tels que nous sommes, des gens ordinaires. Et s'il devait y avoir mensonge, il serait notre œuvre !
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Un économiste n'est ni un romancier comme Dickens, ni un politicien comme Roosevelt, c'est un instrument travaillant à partir de faits indiscutables, de chiffres et de statistiques. Le maximum d'initiative qu'il puisse prendre est d'établir une relation entre deux données, deux chiffres. Quant à interpréter les chiffres dans un sens ou dans l'autre, cela est du ressort des politiciens. Il y a déjà assez de politiciens de par le monde.
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- Avez-vous provoqué le suicide d'Ann Hammond?
- Je ne sais pas.
- Et Sheila Greenwood?
- Je ne sais pas.
- Et Isabella Seymour?
- Je ne sais pas.
- Avez-vous tué Jean Morris?
- Oui.
- Intentionnellement?
- Oui.
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Non, je n'étais point un caillou lancé dans l'eau, mais une graine jetée dans le sillon.
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Soudain ma terreur s'est dissipée comme se dissipe un nuage. Je me suis dit qu'un démon affamé était chose inconcevable. Ou bien c'était un piètre démon, ou bien il était aussi humain que toi et moi. Je me suis mis à rire et j'ai entendu mon rire voyager jusqu'à l'autre rive et revenir. Je lui ai dit - et à nouveau j'étais Hasab Rasoul Wad Mukhtâr, et l'aube à Wad Hâmid allait se lever:
- Un démon affamé? Dieu te garde, tu n'es qu'un humain comme moi.
Il était sorti de l'eau et je le regardais - là, debout, devant moi, en chair et en os, la peau blanche, grand, avec des yeux verts que je voyais à la lumière de mon feu. C'était un homme comme toi et moi. Il m'a dit:
- Imbécile! Est-ce que les démons ont l'habitude de circuler sur le Nil? Je suis un homme fatigué et qui a faim. Voilà des jours et des nuits que je n'ai goûté ni sommeil ni nourriture.
- Bienvenue, lui ai-je dit. Bienvenue et mille saluts à l'hôte étranger qui nous arrive des contrées de Dieu. Tu es tombé sur quelqu'un qui sait restaurer ses invités, procurer repos aux fatigués.
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Point d'abri face au soleil, s'élevant à pas lents, lançant ses rayons de feu sur terre, comme pour accomplir une ancienne vindicte. Point d'abri sinon la torride cabine, ombre qui ne protège pas. Éreintante route qui montait, descendait: et rien qui séduise l'oeil. Arbustes éparpillés dans le désert, tout épines, sans feuilles, végétation misérable, ni vivante, ni morte. On pouvait rouler pendant des heures sans rencontrer âme qui vive. Puis un troupeau de chameaux maigres, efflanqués, se profilait avant de disparaître. Pas un nuage, promesse d'ombre, dans ce ciel de feu, couvercle de l'enfer. Le jour ne compte pas ici: c'est une torture que subit l'être vivant, dans l'attente de la nuit salvatrice.
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La ville se métamorphose en femme étrange dont les appels mystérieux provoquaient mon désir à mort. Ma chambre à coucher était source de deuil, virus ravageur. Telles femmes en étaient contaminées depuis mille ans. Et j’avais provoqué les insondables profondeurs du mal juqu’a Faire du meurtre une cérémonie.
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Ce n’est ni meilleur ni pire ici que là-bas. Mais je suis pareil au palmier dans notre cour, originaire de cet endroit. Et le fait que ceux de là-bas soient venus chez nous doit-il empoisonner notre présent et notre avenir? Pareils à d’autres envahisseurs à travers l’Histoire, ils devaient, tôt ou tard, s’en aller. ....... Et nous parlons maintenant leur langue sans culpabilité ni reconnaissance. Nous sommes tels que nous sommes des gens ordinaires. Et s’il devait y avoir mensonge, il serait notre œuvre !
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Le soleil, voilà l'ennemi. Il était maintenant au zénith, battant au cœur du ciel, comme disent les Arabes. Un cœur incandescent. Qui semblerait immobile durant des heures jusqu'à entendre les pierres gémir, les arbres pleurer, le fer implorer.
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Abdul Samad répondit: "Son excellence le proviseur a tout à fait raison. C'est en effet une année extraordinaire. Des femmes résignées à ne plus enfanter enfantent. Des vaches et des brebis mettent bas jumeaux et triplés..."
Hajj Abdul Samad continua avec la liste des miracles qui avaient eu lieu pendant l'année: "Les dattes de nos palmiers étaient si abondantes qu'on n'avait plus assez de sacs pour les mettre dedans et les emporter. Et il a neigé. Comment y croire? De la neige tombant du ciel sur un village du désert comme le nôtre!"
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Nous partîmes. Je la sentais, près de moi comme un halo de bronze, vivante et mystérieuse, une ville de volupté et de mystère. Heureux de la voir rire si facilement. On rencontre en Europe fréquemment ce genre de femme intrépide, gaie et curieuse de tout. Et moi, j'étais un désert de soif, plein de désirs fous. Comme nous prenions le thé, elle m'interrogea sur le Soudan. Je lui racontai des histoires invraisemblables de déserts aux sables d'or, de forêts vierges retentissant aux cris d'animaux imaginaires, de capitales fabuleuses dont les rues s'animaient au passage de lions et d'éléphants et où les crocodiles sortaient à l'heure de la sieste. Elle m'écoutait à moitié crédule. Elle riait, fermait les yeux, les pommettes colorées. Par moments elle m'écoutait religieusement, ayant aux yeux une compassion chrétienne. Je devins pour elle une créature primitive et nue de la jungle, armée de flèches et l'arc à la main, guettant lions et éléphants. Parfait: la curiosité changea en connivence, puis en compassion. Et quand j'agiterais la dormante mare des profondeurs, je transmuerais la compassion en désir. J'allais pouvoir jouer d'elle à ma guise, comme d'un instrument de musique accordé à ma façon.
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Nulle offense à ce que, parfois, les mirages nous trompent, nos têtes fébriles sous la tyrannie de la chaleur et de la soif succombant à l'illusion. Les spectres qui habitent la nuit se dissipent à l'aube, et la fièvre du jour tombe à la faveur de la brise nocturne.
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Cet homme d'Afrique est un des nôtres ! Il a pris femme chez nous, il travaille d'égal à égal avec nous : ce genre d'Européens ne sont pas moins coupables, si vous saviez, que les fous qui croient à la supériorité de l'homme blanc en Afrique du Sud ou aux Etats-Unis. Le même extrémisme idéologique est partagé à droite comme à gauche. Si Moustafa Saïd s'était consacré exclusivement à la science, il aurait gagné des amis véritables dans toutes les races, et vous auriez entendu parler de lui. Il aurait pu rendre service à son pays encore dominé par les superstitions. Et voilà que vous faites crédit à d'autres superstitions : l'industrialisation, les nationalisations, l'unité arabe, l'unité africaine. Vous êtes comme des enfants croyant découvrir par miracle un trésor en creusant la terre. Vous pensez ainsi résoudre vos problèmes et instaurer le paradis. Chimères et rêves éveillés !
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Peut-être parce qu'un jour, il l'avait vue sortir de sa maison, vêtue d'une robe blanche, et s'était trouvé face à face avec elle. Sa beauté l'avait surpris.
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