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Citations de Tayeb Salih (42)


Tayeb Salih
La raison de l'homme ne peut être conservée dans un réfrigérateur.

SAISON DE LA MIGRATION VERS LE NORD.
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Wad Rayyes se mit en devoir de repointer ses moustaches vers le haut pendant qu'il caressait, d'une tempe à l'autre, sa belle barbe blanche qui contrastait si fortement avec sa peau tannée d'un brun foncé. Telle barbe semblait presque postiche. Mais elle s'accordait parfaitement avec son turban blanc. Et elle encadrait si fortement le visage qu'elle mettait en valeur ses traits. Il avait de beaux yeux malicieux, un nez fin et se maquillait de khôl sous prétexte d'obéir à la coutume. Dans l'ensemble, il avait un beau visage, surtout comparé au visage plus commun de [...] Bakri, pareil à un melon ridé.
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- Dis-nous, Bint Mahjoub, lequel de tes maris était le plus puissant.
- Wad el-Béchir !
- Wad el-Béchir ? dit Bakri, ce petit fatigué ! Les chèvres lui mangeaient son dîner !
D'un geste théâtral, Bint Mahjoub secoua à terre la cendre de sa cigarette et dit :
- Par le serment de la Répudiation ! Ce qu'il avait était comme un gros pieu. Quand il l'enfonçait dans mes entrailles, la terre n'était plus assez vaste pour me contenir. Il me levait la jambe à la prière du soir et je restais, les cuisses ouvertes, jusqu'à l'appel du muezzin à la prière du matin. Quand ça le prenait, il soufflait comme un bœuf égorgé et, se levant, disait toujours : " Ah ! Dieu ! Dieu ! Ah ! Bint Mahjoub ! "
- Il ne faut pas s'étonner, dit mon grand-père, tu l'as tué en pleine jeunesse.
Mais Bint Mahjoub se mit à rire :
- Son heure était venue. Cette chose-là n'a jamais tué personne.
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Soudain, le soleil couchant perdit son sang en ouest, on aurait dit le flot de victimes innombrables dans une guerre sans merci entre le ciel et la terre. Puis, ce fut le spectacle de la défaite : les ténèbres au complet occupèrent le monde en ses quatre points cardinaux.
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- Alors Hadj Ahmed, je pris la fille sur l'âne, en train de frétiller et de se débattre, et en route la forçai à se déshabiller de sorte que bientôt elle fut complètement nue. C'était une jeune esclave originaire de l'aval du fleuve, déjà nubile. Des seins, Hadj Ahmed, comme des pistolets et des hanches larges à ne pouvoir les entourer des deux bras. Elle était pommadée et sa peau frottée d'onguents luisait sous la lune. Son parfum t'aurait fait perdre la tête. [...]
- Et depuis tu n'as pas cessé de baiser comme un âne infatigable !
Wad Rayyes répliqua :
- Qui mieux que toi connaît l'agrément de la chose, Bint Mhjoub ? Tu as enterré huit maris et même maintenant, vieille comme un genou, tu ne refuserais pas un neuvième s'il s'en présentait.
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Je me tenais un matin devant la maison de mon grand-père, près de la massive et vieille porte en bois. Il avait sûrement fallu un acacia entier pour la fabriquer. C'était l'œuvre de Wad el-Basîr, l'architecte-artisan, qui n'avait pas appris son métier en passant par l'école. [...] Cette grande maison, qui n'est ni de pierre ni de brique, est bâtie dans la même terre argileuse que celle des champs de blé dont elle est le prolongement. [...] C'est une maison qui ne fut pas construite en une seule fois, selon un plan préétabli. Elle avait fini par revêtir son aspect actuel après de longues années d'improvisation. [...] Vaste demeure, fraîche en été, chaude en hiver. À la regarder du dehors, froidement, elle semble précaire, mais sa résistance au temps tient du miracle.
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Tayeb Salih
" Il n'y a dans ce monde ni justice ni droiture. Quant à moi, je suis dans l'amertume et la haine. "

SAISON DE LA MIGRATION VERS LE NORD.
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Au petit matin, ma voiture longea pendant deux heures le Nil, en Est, puis, bifurquant à angle droit, se dirigea vers le Sud en plein désert. Point d'abri face au soleil, s'élevant à pas lents, lançant ses rayons de feu sur terre, comme pour accomplir une ancienne vindicte. Point d'abri sinon la torride cabine, ombre qui ne protège pas. Éreintante route qui montait, descendait : et rien qui séduise l'œil. Arbustes éparpillés dans le désert, tout épines, sans feuilles, végétation misérable, ni vivante, ni morte. On pouvait rouler durant des heures sans rencontrer âme qui vive. Puis un troupeau de chameaux maigres, efflanqués, se profilait avant de disparaître. Pas un nuage, promesse d'ombre, dans ce ciel de feu, couvercle de l'enfer. Le jour ne compte pas ici : c'est une torture que subit l'être vivant, dans l'attente de la nuit salvatrice. [...]
Rien. Le soleil. Le désert. Les arbustes desséchés. Les bêtes faméliques. La voiture vibra dans une descente. Nous dépassâmes les ossements d'un chameau ayant subi le salaire de la soif dans cette terre désolée. [...] La route n'en finissait pas. Le soleil ne désarmait point. [...]
Un bédouin apparut derrière la colline, courut vers nous et se mit en travers de la route. Nous stoppâmes. Son corps et ses vêtements étaient couleur de terre. Le chauffeur lui demanda ce qu'il voulait. " Donnez-moi du tabac ou une cigarette pour l'amour du ciel ; voilà deux jours que je n'ai pas fumé. " N'ayant pas de tabac, je lui donnai une cigarette. [...] Assis sur ses talons, le Bédouin fumait avec une avidité et une concentration indescriptibles. [...] Il fit un sort à une seconde cigarette puis gesticula et roula comme un épileptique, ensuite il s'étendit de tout son long, face contre terre, la tête dans les mains, et fit le mort. Il resta ainsi le temps de la halte, une vingtaine de minutes. Quand le moteur de la voiture se remit en marche, il se redressa brusquement, comme ressuscité, et se mit à crier ma louange et à me souhaiter longue vie. Je lui lançai mon paquet de cigarettes. Nous le quittâmes, soulevant un nuage de poussière et je le vis courir vers de misérables tentes près de maigres buissons, en direction du sud. Quelques brebis chétives paissaient auprès d'enfants nus. Où donc était l'ombre, ô mon Dieu ! Une pareille terre ne produit que des prophètes ! À telle sécheresse, à telle disette, point de remède sinon révélé par le ciel. Et cette route interminable, et ce soleil impitoyable...
La voiture gémissait sur ses essieux, la route était un tapis de cailloux. [...] Le soleil, voilà l'ennemi. Il était maintenant au zénith, battant au cœur du ciel, comme disent les Arabes. Un cœur incandescent. Qui semblerait immobile durant des heures jusqu'à entendre les pierres gémir, les arbres pleurer, le fer implorer. [...]
La victoire fut enfin l'issue soudaine de la bataille. Le crépuscule vint non pas sang répandu mais couleur de henné aux pieds d'une femme. La brise nilotique se leva, d'un parfum qui restera inaltérable dans ma mémoire. Comme la caravane qui dépose ses charges, nous nous arrêtâmes. [...] La voiture eut sa part d'huile, d'essence et d'eau, contente comme une pouliche à son heure d'exubérance.
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Le séjour des Anglais ici ne fut pas une tragédie, comme nous le pensons, il ne fut pas non plus un bienfait, comme ils l'affirment. C'était un grand drame qui deviendra, avec le temps, légende. Puis, j'entendis Mansour dire à Richard : " Vous nous avez inoculé la maladie de votre économie capitaliste ; elle a sucé notre sang, créé des sociétés d'exploiteurs et poursuit son œuvre. " Et Richard qui répliquait : " Cela prouve que vous ne pouvez vous passer de notre présence. Jadis, vous mettiez en doute les bienfaits du colonialisme. Et quand nous sommes partis, vous avez inventé la légende d'un pernicieux néocolonialisme. Il semble que notre présence, manifeste ou cachée, est aussi nécessaire à votre vie que l'air et l'eau. " Et ni l'un ni l'autre n'étaient fâchés : ils échangeaient de tels propos et riaient, à un jet de pierre de l'équateur mais séparés par un infranchissable abysse historique.
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Le même extrémisme idéologique est partagé à droite comme à gauche. Si Moustafa Saïd s'était consacré exclusivement à la science, il aurait gagné des amis véritables dans toutes les races, et vous auriez entendu parler de lui. Il aurait pu rendre service à son pays encore dominé par les superstitions. Et voilà que vous faites crédit à d'autres superstitions : l'industrialisation, les nationalisations, l'unité arabe, l'unité africaine. Vous êtes comme des enfants croyant découvrir par miracle un trésor en creusant la terre. Vous pensez ainsi résoudre vos problèmes et instaurer le paradis. Chimères et rêves éveillés !
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Il avait déclaré : " Je suis un mensonge. " En étais-je un également ? La réalité n'est-elle pas, pour moi, dans ce village ? J'ai vécu parmi des étrangers, mais superficiellement : sans les aimer ni les haïr. Mes pensées secrètes étaient pour le village qui ne quittait point mon imagination, où que je me tournais. À Londres, en été, après l'orage, je pouvais sentir l'odeur de mon village. [...] Ce n'est ni meilleur ni pire ici que là-bas. Mais je suis, pareil au palmier dans notre cour, originaire de cet endroit. Et le fait que ceux de là-bas soient venus chez nous doit-empoisonner notre présent et notre avenir ? [...] Nous sommes tels que nous sommes, des gens ordinaires. Et s'il devait y avoir mensonge, il serait notre œuvre !
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Un économiste n'est ni un romancier comme Dickens, ni un politicien comme Roosevelt, c'est un instrument travaillant à partir de faits indiscutables, de chiffres et de statistiques. Le maximum d'initiative qu'il puisse prendre est d'établir une relation entre deux données, deux chiffres. Quant à interpréter les chiffres dans un sens ou dans l'autre, cela est du ressort des politiciens. Il y a déjà assez de politiciens de par le monde.
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- Wad Rayyes aime les femmes non excisées, dit mon grand-père.
- Je le jure Hadj Ahmed ! Tu jetterais ton chapelet de suite et négligerais la prière si tu connaissais les femmes d'Abyssinie et du Nigeria. Il y a entre leurs cuisses comme un disque intact, bellement ouvragé, se suffisant à lui-même, avec ses qualités et ses défauts. Mais, chez nous, on le mutile et on le délaisse comme une terre dévastée.
- L'excision, dit Bakri, est une loi de l'Islam.
- De quel Islam s'agit-il ! Ton Islam et celui de Hadj Ahmed, qui ne savez distinguer entre ce qui vous fait tort et ce qui vous couvre de bienfaits. Les Nigérians, les Égyptiens, les Syriens ne sont-ils pas musulmans ! Mais voilà gens qui savent les fondements de la Loi, laissant leurs femmes telles que Dieu les a créées. Tandis que nous les châtrons comme des bêtes.
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Comme il gardait le silence, le regard détourné, je le dévisageai longuement. C'était assurément un bel homme : le front large et avenant, les sourcils bien séparés, croissants surmontant les yeux, une tête couverte de cheveux blancs, abondants, épais, en parfaite harmonie avec son cou puissant et ses épaules déployées, un nez pointu à l'extrémité, aux narines fournies en poils. Quand il releva la tête au cours de la conversation, je notai l'expression tout à la fois de tendresse et de dureté de son visage. Sa bouche était détendue, ses yeux rêveurs. Son visage plus harmonieux que mâle. Mais sa voix était tranchante, claire ; quand il se taisait son visage se durcissait ; quand il riait, la joie rayonnait en lui.
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Je la pris comme elle criait faiblement : " Non, non... " Madame, cela ne vous servira à rien, c'est au premier pas qu'il fallait dire non, il n'y a plus rien à faire maintenant sinon suivre le cours des événements. Vous n'y pouvez rien. Bien des choses auraient changé si les hommes savaient dire non dès le premier pas.
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Je pensai à part moi : " À quoi bon discuter ? Cet Anglais, Richard, est aussi fanatique et sectaire. Chacun l'est à sa façon. Et si nous, nous croyons aux mythes qu'il vient de citer, il a foi, lui, dans une légende neuve, moderne, celle qui porte un culte aux chiffres. Croyance pour croyance, autant croire en un Dieu omnipotent, omniscient. "
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Je m'assis dans le compartiment, en face d'un homme vêtu d'habits ecclésiastiques, portant une grande croix dorée sur la poitrine. Il me sourit et m'adressa la parole en anglais. Je répondis. Il écarquilla les yeux et, me dévisageant attentivement, me demanda :
- Quel âge as-tu ?
Je répondis : " Quinze ans ", mais en réalité je n'en avais que douze. J'avais craint que, le sachant, il ne fasse peu de cas de moi. Il demanda encore : " Où vas-tu ? ", je répondis : " Dans une école secondaire au Caire. " " Seul ? ", " Oui. "
- J'aime voyager seul. [...]
Sur le chemin du retour, des années plus tard, je me souvins des paroles proférées par le prêtre, dans le train Khartoum-Le Caire : " Mon enfant, en fin de compte, nous voyageons tous seuls. "
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Je fus fasciné par les poils de son bras droit, près du poignet, plus épais que d'ordinaire chez les femmes, et, de là, me portais en esprit vers d'autres poils, plus secrets, doux et touffus comme la flore des ruisseaux.
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Vous avez raison, madame : optimisme et courage. Mais en attendant que les déshérités de la terre rentrent dans leur héritage, que les armées soient démobilisées, que l'agneau paisse en sécurité en compagnie du loup, que l'enfant joue dans le fleuve sans craindre le crocodile, avant cette ère de bonheur et d'amour, je continuerai à m'exprimer d'une manière aussi tordue.
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Au cours des années, la rive effritée par le courant avait, grâce aux alluvions, redessiné son cours. Ces gains et pertes de terrain se compensaient et, me dis-je, sont un miroir à la vie volant d'une main ce qu'elle octroie de l'autre. mais je n'ai dû comprendre cette vérité que plus tard.
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