Théodore Zeldin :
Histoire des passions françaisesA BATH,
Olivier BARROT présente l'"
Histoire des passions françaises", de
Théodore ZELDIN.Lecture d'un passage par une femme (non identifiée).NB : défauts de son et d'image à partir de 00:10:25
" Pourquoi le coup de foudre serait-il l'effet de la première vision d'un être plutôt que de ses premiers mots ? "
(page 129).
L'art d'établir des liens consiste pour une large part à découvrir ce qu'on peut donner à autrui et à cultiver la sensibilité qui nous permet de recevoir ce que lui-même est susceptible de nous donner.
J'ai pourtant du mal à trouver exaltante l'idée de chercher à étayer et rafistoler des institutions détraquées qui ne cessent de tomber en panne comme une vieille guimbarde, alors qu'il est évident qu'une nouvelle crise les abattra tôt ou tard.
Le "sens de la vie" n'est plus aussi clair qu'il était censé l'être jadis. Jamais encore autan d'êtres humains ne se sont posés autant de questions sur le but de leur existence, au-delà du labeur quotidien et des plaisirs nocturnes. Les vieilles croyances menaces de s'effondrer, réduisant l'individu à la nudité. Cela s'est déjà produit pour un grand nombre qui se retrouvent nus.
Ainsi, plus nous enfermons les enfants dans une culture jeune séparée, plus notre conversation et la leur s'appauvrissent.
Je n'ai pour ma part aucune envie de couvrir ma nudité de vêtements d'emprunt ou usés. N'y a-t-il vraiment pas d'autres solutions que celles d'une "vie alternative" ou d'un destin en "retrait de la société"? Le utopies et les dystopies n'ayant mené à rien, où aller si l'on en croit plus aux promesses d'avenir meilleur et si on est las des prophètes de la sinistrose et du désespoir? Les idéologies qui répandaient jadis l'espoir ont perdu leur éclat. Le progrès a laissé trop de monde au bord du chemin, trop de gens ne savent pas comment y trouver place, ils sont trop nombreux à se demander où il les conduit. De nouvelles lois, de nouvelles structures, de nouvelles théories, de nouvelles thérapies instantanées pour les âmes troublées prolifèrent, et pourtant un nombre incalculable de gens sont toujours insatisfaits.
[…] je vous demande en me lisant, de suspendre vos exigences habituelles envers l'histoire. Les deux fondements de l'histoire sont la causalité et la chronologie. La causalité est le moyen de donner un sens aux événements, mais parler des causes veut dire aussi parler des preuves, et, pour ma part, je suis incapable de rien prouver quand je discute les intentions, les caractères et les interprétations. J'ai essayé de suggérer quelques liens causaux, mais j'ai utilisé aussi la juxtaposition, qui me laisse libre de montrer les confusions auxquelles peut prêter chaque facteur, sans être obligé de supprimer ce qui n'entre pas aisément dans un système bien équilibré.
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Je ne vous offre pas une théorie pour remplacer celle que vous avez déjà, et qui sera bientôt remplacée par une autre. Un historien étudie l'essor et le déclin des théories ; il découvre quels besoins ont présidé à leur élaboration. Je ne prétends pas avoir trouvé une explication globale des comportements humains ; au contraire, je trouve toutes les explications incomplètes, quand elles ne sont pas en même temps fallacieuses. Ce que je vous offre, c'est plutôt une attitude. À mon avis, on voit les choses à travers les idiosyncrasies de sa personnalité. Ce que l'histoire peut vous proposer c'est de vous aider à vous rendre compte de la subjectivité de votre regard, de vos préjugés, de votre besoin d'individualité ou de conformité. Je ne veux pas convaincre les dogmatiques, qui préféreront d'autres approches pour de bonnes raisons qui leur sont propres. Le problème pour chacun est d'épouser l'explication qui convient à son caractère : les difficultés surgissent quand on ne se connaît pas, quand on se prend trop au sérieux, quand on pense connaître la vérité.
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Le problème pour chacun est d'épouser l'explication qui convient à son caractère : les difficultés surgissent quand on ne se connaît pas, quand on se prend trop au sérieux, quand on pense connaître la vérité. Vous me répondrez, qu'on ne peut pas agir sur la base d'une telle attitude, trop voisine du scepticisme. Au contraire, on est plus libre quand la vue n'est pas obscurcie par les chimères dont on a hérité, et quand on distingue plus clairement les choix que le passé nous laisse. J'ai essayé de montrer que beaucoup de querelles qui ont absorbé les Français de cette période (1848 – 1945) on été le résultat d'un manque de clarté, et d'un désir irrépressible de simplifier les problèmes. C'est pour cette raison que mon ouvrage a pris de telles dimensions : j'ai voulu vous placer devant de nombreux miroirs, de plusieurs côtés.
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La systématisation a son utilité, mais on ne doit pas oublier le flou qui caractérise inévitablement tout ce qui est humain. Les divisions qu'on établit habituellement entre les gens – par classe, nationalité ou appartenance politique – m'ont semblé ou trop limitées ou dépassées. Confrontées aux faits historiques, ces catégories se révèlent souvent trompeuses. J'ai proposé d'autres divisions supplémentaires, plutôt affectives ; derrière les choix je montre des permutations presque infinies de motivations. Je me suis permis des lacunes – ce qui semblerait des lacunes aux disciplines établies – parce que j'ai délibérément choisi les rapprochements, quelques fois insolites, qui mettent en évidence le poids des tempéraments ; c'est l'aspect nécessairement négligé par ceux qui n'étudient que le mécanisme des institutions.
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