Citations de Thomas Martinetti (29)
Le vol de mon identité n’a pas seulement détruit mon couple. Avec lui, c’est comme si mon dernier lien avec mon entourage d’avant avait été rompu. Pour mes amis et ma famille restés à Nice, la situation est encore abstraite. Ils se font une idée personnelle de l’usurpation d’identité et de ses conséquences.
Devant la grande glace embuée, en révisant à voix haute mes six identités, je repense à Jason Bourne. Qui est-il vraiment ? Qui voit-il lorsqu’il se regarde dans un miroir ? J’ai saturé Basile avec ce personnage. Coffret DVD. Coffret Blu-Ray. Et projection de la trilogie au Grand Rex. Les films suivants sont sans intérêt, mais ont servi de prétexte à revoir les trois premiers. Et si Jason Bourne avait été une femme ? Pourquoi pas ?
Je ne pourrai pas rentrer en France avant d’avoir arrêté celle qui lui a vendu mon identité. Et les onze autres inconnues qui la lui ont achetée.
Quant à moi c'est Margo. Pas de diminutif, ni de pseudo. Je m'appelle Margo. C'est ce que j'ai répété au village et dans la vallée lorsque je m'y suis installée. C'était si simple. Quelles preuves avaient-ils ? Aucune. Après tout, si je dis m'appeler Margo, c'est sûrement vrai. Petit à petit, ils m'ont reconnue dans les rues. Et ils m'ont accordé leur confiance.
Gagner la confiance d'une adolescente de bientôt 14 ans, c'est une autre paire de manches. Ada s'ouvre un petit peu plus chaque jour. […]
Je ne l'ai jamais vue comme ça. Elle a refait quelques pas vers le bord du promontoire en béton. Pour la première fois, j'ai peur qu'elle saute. Alors j'hésite. Elle a raison. Je dois être honnête avec elle. […]
- Margo n'est pas mon vrai nom.
C'est la première fois que je m'entends le dire à voix haute.
Je réalise soudain à quel point ma situation est précaire. Je suis une usurpatrice d’identité à la poursuite d’une autre impostrice
Pendant des décennies, le grand banditisme, toujours à l’affût de nouveaux marchés, s’est donné beaucoup de mal à fabriquer de faux papiers. Dans le même temps, les gouvernements se sont efforcés de rendre les documents officiels quasiment infalsifiables. Dès lors, il est devenu plus facile de voler une identité, que d’en créer une. Nouveau marché, nouveaux trafics.
Pourtant, si la démocratie a gagné les rives de la Baltique après la fin de la guerre froide, la Norvège partage toujours une frontière avec la Russie. Les incidents maritimes et les violations d’espace aérien sont monnaie courante dans le Grand Nord.
L’intégration sociale et économique de la Scandinavie est une réalité quotidienne. Suède et Norvège partagent avec le Danemark des langues très proches, facilitant les échanges culturels et politiques. C’est une Europe dans l’Europe, à la manière du Benelux. Un véritable havre de paix et de prospérité.
Terje est très attaché à la démocratie. Élevé par une mère impliquée dans la politique régionale et un père diplômé d’une grande université américaine, il a été sensibilisé très jeune aux dérives totalitaires. Au cours de l’histoire, la Norvège a été occupée de nombreuses fois. Son indépendance est précieuse.
L’espionnage étatique de l’ère soviétique a depuis longtemps déjà été remplacé par toutes sortes de piratages informatiques et autres intrusions illégales au plus profond de l’économie occidentale.
Ces dernières années, l’usurpation d’identité est devenue un marché ultra-lucratif, au même titre que celui de la drogue ou des armes.
Pendant des décennies, le grand banditisme, toujours à l’affût de nouveaux marchés, s’est donné beaucoup de mal à fabriquer de faux papiers.
Agnès a été condamnée à quinze ans de camp à régime sévère en Sibérie
Je suis devenue incollable. Mes formations Europ Assistance sur les vols de documents et les arnaques à l’étranger ne m’avaient pas préparée à cet enfer insoluble. Même lorsque l’administratif est résolu, le doute ronge les familles, les couples, les collègues. Parfois, il ne partira plus.
Où sont les douze autres Émeline ? En Norvège ? En France ? Aux quatre coins du monde ? Depuis combien de temps vivent-elles sous mon nom ?
Une trentaine de maison tout au plus, coincées dans l’embouchure d’une vallée étroite et verdoyante. Les deux massifs montagneux qui se font face ruissellent de cours d’eau alimentés par les neiges tardives. Ils fusionnent en un torrent scintillant et bruyant, pour se fondre dans le fjord. Notre bateau ralentit et manœuvre aux abords d’un ponton, évoquant presque un immense plongeoir gris, baigné dans les eaux paisibles virant ici du bleu profond au vert émeraude.
La cave. Mon dernier sanctuaire. Pas celle où dorment les bouteilles destinées aux clients. La cave de mon père, qu’il tenait lui-même de son grand-père.
Un mélange d’odeurs et de terre humide, de vieilles pierres, et de moût de raisin séché. La terre battue étouffe le son de mes pas. Comme s’il ne fallait pas déranger les précieux flacons, endormis parfois depuis plusieurs décennies.
N’avoir ni frère ni sœur est même devenu douloureux le jour où mon père est mort. Je regarde mes filles se disputer et je souris. Quoi qu’il arrive à leur père ou à moi, elles ne seront jamais seules.
Il va se passer quoi maintenant ? Je vais devenir celle qui entend des voix depuis la mort de sa fille ? D’un geste absurde, je m’enfonce sous les draps. Les bruits finiront bien par cesser.
Par la fenêtre, je guette la maison des voisins. Les volets sont fermés et les lumières éteintes. Séverine dort déjà. Il faut que je dorme, moi aussi. Calme-toi, Aude. Martial n’est jamais venu te surveiller. La cave est déserte.
Alors, pourquoi les bruits reprennent-ils ?
Je monte quelques marches, quand une nouvelle série de bruits sourds me pétrifie. Ce ne sont pas les sons en eux-mêmes qui me donnent des frissons, mais leur provenance. Cette fois, je n'ai aucun doute : les battements étouffés remontent de la cave.