Tom Sharpe

Dans sa cellule Wilt contemplaient rêveusement le plafond. Il n'en revenait pas : c'était si simple ! Tu racontais aux gens ce qu'ils avaient envie d'entendre ils te croyaient aussi sec. Dur comme fer. Pauvre Flint ! Après trois jours et trois nuits sans sommeil il était prêt à avaler n'importe quoi. (p.232 233)

Marchant sous les arbres qui bordaient Willington Road, il fut accueilli par l'odeur de ragoût en provenance de la cuisine. Wilt se sentait, en définitive relativement heureux.

Wilt démarra et s'engagea dans la rue principale. Il était plein de haine pour Presse 3, le Tech, la vie en général et lui-même en particulier et en arrivait à comprendre que des terroristes puissent se sacrifier au service d'une cause quelconque. Qu'on lui donne seulement une bombe et une cause et il expédierait joyeusement au septième ciel quelques passants innocents rien que pour prouver au monde entier, pendant un bref moment de gloire, qu'il fallait compter avec lui. Mais il n'avait ni bombe ni cause. Au lieu de cela, il rentra tranquillement chez lui et gara la voiture devant le 34, Parkview Avenue. Puis il ouvrit la porte et pénétra chez lui.

- Wilt aussi, semble-t-il, reprit Runk, à en croire ce qu'elle raconte, qu'il se trimballe dans toute la maison avec le dard dans un seau à glace. C'est pas possible qu'il n'y ait eu que de la crème de beauté ou du sucre glace dans cette seringue.
- Merde, fit Hodge. Tu ne suggères tout de même pas qu'il se shoote avec une seringue à gâteau ? [...] Ce qu'on a entendu sur cette bande magnétique est trop bizarre pour être croyable. D'accord ? D'accord. Tu es comme moi, tu n'as jamais entendu parler d'un camé qui se drogue par la queue. Or, apparemment, c'est ce que fait Wilt.

Wilt était debout au milieu de la cuisine, tenant d'une main la seringue qu'elle utilisait pour glacer les gâteaux et de l'autre son pénis. En fait, les deux semblaient se rejoindre.
Eva en eut le souffle coupé. Quand elle put retrouver l'usage de la parole, elle lui demanda :
- Puis-je savoir ce que tu fabriques ?
Wilt tourna vers elle un visage cramoisi.
- Ce que je fabrique ? répéta-t-il, conscient que la situation était de celles qui pouvaient s'interpréter de diverses façons, pires les unes que les autres.
- C'est bien ce que j'ai dit, confirma Eva.
Wilt plongea le regard vers la seringue.
- En fait... commença-t-il.
Mais Eva l'avait précédé.
- C'est ma seringue à glacer ? dit-elle.
- Je sais, répondit-il. Et ça, c'est mon Jean-debout.
Eva jeta les yeux sur les deux objets avec un même regard de dégoût. Elle savait qu'elle ne pourrait plus jamais glacer au sucre un gâteau avec cette seringue ; de plus, qu'elle ait pu trouver quelque chose de même vaguement attractif au Jean-debout (comme il disait) de son mari, cela passait son entendement.
- Et si tu veux le savoir, ajouta-t-il, ce que tu vois sur le sol, c'est ta crème hydratante.
Eva resta ébahie en contemplant le pot. Même si l'on jugeait la situation au regard des critères assez spéciaux du 45 Oakhurst Avenue, il y avait quelque chose de parfaitement déboussolant dans la conjoncture -oui, c'était bien le terme approprié- entre le truc de Wilt, une seringue à glacer et la présence d'un pot de crème hydratante sur le sol de la cuisine.

- Je m'inscris en faux contre vos paroles, dit le principal. D'abord, Miss Lynchknowle n'était pas une apprentie, et ensuite nous avons des gens extrêmement dévoués parmi nos...
- Fous à lier, compléta le conseiller Blighte-Smythe.
- J'allais dire nos enseignants.

- La fille du préfet se fait descendre dans vos locaux et... Et d'abord, comment ça se fait qu'elle était là ? [...]
- C'était une de nos étudiantes, dit le censeur, essayant de maintenir un semblant de dignité face au scepticisme épais de Flint. Elle était en Secrétaires secti...
- En secrétaires sexy ? interrompit brutalement Flint. Qu'est-ce que c'est que ça ? Viande 1 est déjà pas mal dans le genre écoeurant quand on sait que ça n'est qu'un tas de garçons bouchers. Mais maintenant, venir me dire que vous avez une classe pour prostituées et que la bon Dieu de fille de Lord Lynchknowle est l'une d'entre elles...
- Secrétaires section 6, postillonna le censeur. Un cours pour adultes d'excellente réputation où nous avons toujours eu beaucoup de réussites.
- Des morts, par exemple, ironisa Flint. Alors, allons examiner votre dernière réussite. [...] Au moins, cette fois, nous avons un vrai macchabée, dit-il avec une jovialité qui ne pouvait pas tomber plus mal. Pour une fois, ça nous change, pas vrai ?
Le principal lui jeta un regard noir de rancoeur. Quel qu'ait pu être le désir de Flint de voir le Tech jonché de véritables cadavres, il ne partageait pas ce sentiment.

- Qu'est-ce que vous dites ? fit-il, tout en essayant de déboucher d'une main la bouteille qu'il tenait entre ses genoux.
- Je disais que le concierge l'a trouvée en allant dans la chaufferie.
- Dans la chaufferie ? Mais qu'est-ce qu'elle pouvait bien faire là-dedans ?
- Elle mourait, dit le censeur d'un ton sombrant cette fois dans le sépulcral.
- Elle mourait ? répéta le principal en écho.
[...]
- J'en ai bien peur. [...] Le concierge a tout d'abord cru qu'elle était ivre et il a appelé Mrs Ruckner. Comme tous les soirs, elle donnait son cours de broderie indigène dans le bâtiment Morris à l'intention des femmes au foyer et...
- Abrégez, mon vieux, coupa le principal. On a sur les bras une fille morte dans l'établissement et vous croyez bon de me parler de Mrs Ruckner et de son cours de broderie indigène.
- Si je vous parle de Mrs Ruckner, répliqua le censeur agacé, c'est que je crois bon, comme vous dites, de vous expliquer ce qui s'est passé.
- Parfait. J'ai compris. Et qu'est-ce que vous en avez fait ?
- De qui ? De Mrs Ruckner ?
- Non, de la fille, bon Dieu. Ne faites pas semblant de ne pas comprendre.
-Si vous le prenez sur ce ton, vous feriez mieux de venir et de juger par vous-même, cingla le censeur en raccrochant.
- Va te faire foutre, dit le principal en s'adressant par inadvertance à sa femme qui venait juste d'entrer dans la pièce.

- Tu te mets le doigt dans l'oeil, reprit Flint. Pas plus tard qu'hier, j'ai été pris d'un besoin pressant rue de Canton et tu crois qu'il y aurait eu un pissoir à l'horizon ? Des clous, oui ! J'ai dû me rabattre sur un passage entre deux maisons et j'ai failli me faire repérer par une bonne femme qui étendait son linge... Un de ces jours, je vais me faire coffrer pour exhibitionnisme.
- A ce propos, on a reçu un nouveau rapport : un type qu'on aurait aperçu près de la rivière. Il s'est attaqué à une femme dans la cinquantaine, cette fois-ci.
- [...] Est-ce qu'elle a pu le voir comme il faut ?
- Elle a dit qu'elle n'avait pas pu très bien le voir parce qu'il était de l'autre côté de la rivière, mais elle n'a pas eu l'impression qu'il était très gros.
- Comment ça, qu'il était très gros ? hurla Flint. Ce n'est pas de ça dont je parle. Je parle de la gueule du mec. On ne peut tout de même pas faire une revue de dard dressé et demander aux plaignantes de les reconnaître en ne voyant que ça. La prochaine étape, ce sera de faire des portraits-robots de biroutes.

- Vous n'avez toujours pas répondu à ma question.
- Laquelle ?
[...]
- Celle concernant les lectures pornographiques et parfaitement révoltantes, finit-il par articuler.
- Intéressant, répondit Wilt, très intéressant.
- Comment ça, intéressant ?
- Que vous lisiez ce genre de littérature. Personnellement, je m'en garde bien.
Ils s'engagèrent dans un escalier et Mr. Scudd dut faire usage de la pochette qu'il arborait au revers de sa veste.
- Je ne lis pas de telles saletés, dit-il tout essoufflé quand ils eurent atteint le premier palier.
- Je suis heureux de vous l'entendre dire, fit Wilt.
- Et moi, je serais heureux de savoir pour quelles raisons vous avez abordé le sujet, répliqua Scudd qui contrôlait mal sa patience.
- Ce n'est pas moi, dit Wilt.

- Ca alors, dit Braintree. Et Birkenshaw, qu'est-ce qu'il en dit ?
- Pas grand-chose pour l'instant. Il a passé une grande partie de la soirée au poste à essayer de convaincre les flics qu'il n'était pas l'Exhibitionniste Fantôme. Ca fait des lustres qu'ils essaient d'attraper ce cinglé et cette fois ils croyaient avoir réussi.
- Quoi ? Birkenshaw ? Ils sont à côté de leurs pompes. Il est conseiller municipal.
- Il l'était, dit Wilt. Parce que ça m'étonnerait qu'il le reste. Pas après ce qu'Emmeline a dit à la femme-flic qui l'interrogeait. Elle a prétendu qu'elle savait qu'il avait un zizi comme ça, parce qu'il l'avait attirée dans le fond de son jardin et qu'il le lui avait agité sous le nez.
- Attirée ? fit Braintree d'un air dubitatif. Avec tout le respect que je dois à tes filles, Henry, je ne suis pas prêt à croire qu'on puisse les attirer comme elle dit. Elles sont naïves peut-être, mais de là...
- Et diaboliques, interrompit Wilt. N'aie crainte, je ne t'en veux pas pour ce que tu viens de dire à leur sujet. Je vis dans la cage aux fauves. Bien évidemment, elle n'a pas été attirée où que ce soit. Elle voulait se venger depuis des mois à cause de son chat à lui, qui vient sans cesse chez nous pour filer une trempe au nôtre. Elle devait sûrement essayer d'empoisonner le monstre. De toute manière, elle était dans son jardin et il la lui a prétendument agitée sous le nez. Bien sûr, ce n'est pas sa version à lui. Il clame qu'il pisse toujours sur son compost et que s'il y a des petites filles qui rôdent par là... De toutes façons, cette version n'a pas plu du tout à la femme-flic qui a prétendu que c'était loin d'être hygiénique.
- Et Eva, où est-ce qu'elle était pendant ce temps-là ?
- Je ne sais pas trop, fit Wilt d'un ton détaché. De plus, elle accusait Birkenshaw d'être en cheville avec l'éventreur du Yorkshire... J'ai réussi à empêcher que ça ne figure dans le rapport de police, en prétendant que la gamine était hystérique. Tu vois d'ici les dégâts.

Si les gaziers pouvaient bien rester toute leur vie hermétiquement insensibles à la charge émotionnelle des rapports interpersonnels tels que les dépeint "Amants et fils", et même rire grassement des profondes découvertes de D.H. Lawrence sur la nature sexuelle de l'existence, Eva Wilt était incapable d'une pareille indifférence. L'enthousiasme avec lequel elle se précipitait dans toutes sortes d'activités culturelles et éducatives terrorisait Wilt. Pire encore, son idée de ce qui était "culturel" changeait de semaine en semaine. C'était parfois Barbara Cartland et Anya Seton, parfois Ouspensky, voire Kenneth Clark, mais plus souvent encore le prof de poterie du mardi ou le Méditant Transcendantal du jeudi, de sorte que Wilt ne savait jamais sur quoi il allait tomber en revenant chez lui, si ce n'est un mauvais dîner, quelques phrases bien senties sur son manque d'ambition, et un peu de micmac intellectuel mal digéré qui le laisserait pensif.

" Nos yeux se renvoient la lumière
Et la lumière le silence
A ne plus se reconnaitre
A survivre à l'absence "

Il ne suffit pas de protester ; nous devons faire connaître notre protestation. Si nous devons sauver la gorge, ce n’est pas avec des mots seulement, mais en agissant.

La langue anglaise avait encore le pouvoir de le dérouter et il se retrouvait parfois bloqué par quelques idiome.

Que vous viviez ou non est sans importance. Ce qui l’est, en revanche, c’est que j’aie un héritier. Si je vous ai épousé, c’était évidemment pour que vous soyez le père de mes enfants. Cela fait six ans que nous sommes mariés. Il est temps que vous fassiez votre devoir.

C’est par devoir envers sa famille qu’elle l’avait épousé. S’il n’avait tenu qu’à elle, elle aurait épousé un homme plus jeune, plus attirant, mais les jeunes gens attirants et fortunés étaient peu nombreux dans le Worfordshire.

on murmurait un peu partout que si un garçon était l'aîné (ce qui se révélait fort rare), on l'étranglait dès sa naissance. Vrai ou faux, il est certain qu'au cours des ans, les Grope produisirent une quantité inhabituelle de filles.

Que le diable t'emporte, pourceau de satan! Tu serais capable de dérober son dernier morceau de viande à un mendiant affamé!