Citations de Tove Alsterdal (95)
La misère est plus supportable quand on la regarde de loin.
C'est un putain de mensonge de prétendre que notre vie est faite d'autre chose que de solitude.
Néanmoins, tu ne peux pas te représenter la douleur que c'était. Et je ne parle pas de la torture en général, mais des petits détails. Tu penses peut-être pouvoir imaginer ce qu'elle a pu ressentir lorsqu'ils ont appliqué des câbles électriques sur son sexe ou quand ils lui ont écorché la plante des pieds tel un légume qu'on épluche, or il y a toujours un moment où l'imagination bute. Ce n'est pas un reproche, seulement une manière de te dire qu'il ne faut pas juger.
Certains, parmi eux, ne se contentent pas de faire la manche ou la collecte des bouteilles, ils se servent dans les magasins aussi, ou volent mon portefeuille, et qu'est-ce que les gens en ont à foutre, si je leur dis qu'ils ne sont pas tous comme ça, ils ne vont pas changer d'avis pour autant.
( p 179)
Au crépuscule, les nuages étaient d'une couleur rose pâle, puis toutes les couleurs ont disparu, le ciel est devenu noir. Pas de lune, pas d'étoiles, rien pour s'orienter. Comme une prière silencieuse, la certitude que le monde est toujours le même.
Ce n'était finalement pas si silencieux que ça. Elle distinguait des aboiements dans le lointain et des craquements dans les murs.Le bois se réveillait.Le froid et le chaud ,pensa-t-elle en écoutant son coeur battre de plus en plus fort,des changements de température, le bois prend du volume puis se rétracte, où l'inverse,elle ne s'en souvenait plus.Pour une raison inconnue,elle se mit à penser à l'immeuble d'Ulitsa Voronezhkaya et à l'homme qui avait gelé à même le sol.Sur le plancher que les enfants avaient démonté pour faire du feu avec le bois.Elle se dit qu'elle n'avait aucune idée de la vitesse à laquelle une bûche se consume. Le poêle allait-il s'eteindre dans la nuit?
Elle s'allongea en position foetale et se mit les mains entre les jambes ,pour les réchauffer. Elle distinguait le crépitement du poêle, le chant sourd des flammes.
Ce sera ma maison,pensa-t-elle. L'endroit où je pourrai toujours me réfugier.
Du maquillage qui coule, c'est un être humain en train de s'effondrer. D'abord, le maquillage qui tombe et puis tout le visage et, derrière, un autre visage. Personne n'est ce qu'il semble être. Derrière, il y a encore et toujours un masque, aussi vrai, aussi faux que le premier.
Du temps où nos résidents étaient jeunes, il y avait toute une ville, là-bas, un peu plus loin, dit Lotte. Des rues, des boutiques, des cafés, un boulevard. Presque tout a été détruit avec l'extension de la mine, il n'est resté que quelques rares maisons comme celles-ci. Et à la place, on a maintenant un lac qui n'existait pas avant. Plus rien ne ressemble à ce qu'ont bien connu nos vieux. C'est difficile de les aider à retrouver leurs souvenirs quand même la terre sur laquelle ils ont grandi a cessé d'exister.
Puis elle se mit à raconter.
Elle fut attentive à la réaction d'Ingrid quand elle lui confia qu'elle avait une soeur.Fronçait-elle les sourcils, y avait-il une lueur dans ses yeux?Est-ce qu'elle se souviendrait de l'histoire ,le lendemain si on la lui racontait de nouveau? Katrine avait le sentiment que l'histoire de la soeur avait quelque chose du conte,qu'il s'en dégageait une forme mélodieuse. Elle ne savait pas si sa mère comprenait vraiment où si elle prenait juste plaisir à écouter sa voix,ses mots,profitant que sa fille soit à ses côtés.
-Et elle te ressemble,à part qu'elle a les cheveux plus longs et une fossette au menton.Et le parc où elle habite appartenait aux tsars russes. Mais à vrai dire ,tout à commencé avec ton père....
C'est seulement au moment où l'infirmière auxiliaire entra dans la pièce, pour annoncer qu'il était l'heure de dîner, que Katrine se releva,.
Elle embrassa sa mère en lui chuchotant à l'oreille :
-Mais ne le dis à personne.
On dit toujours qu’il faut vivre dans le moment présent, mais c’est impossible. Le présent n’existe pas : il disparait à chaque seconde. Chaque fois que j’essayé, le passé m’a rattrapée. C’est peut-être une question d’âge. […] Selon moi, ce n’est pas le présent que nous visons, mais l’avenir. Dès que nous le perdons des yeux, quelque chose meurt en nous. Tout au plus le présent est-il le moment où commence l’avenir. Une sorte de table rase. Cet instant précis où l’on découvre, de l’autre côté de la vitre, un horizon dont on ignorait tout. Où on comprend que tout peut arriver et que plus rien ne sera comme avant.
Il y avait des barbelés, hauts de plusieurs mètres, doublés, parfois triplés, électrifiés et surveillés par des gardes armes. Depuis qu'ils les ont enlevés, les chevreuils continuent de vivre de chaque côté du rideau de fer, comme s'il existait toujours. Ils ne traversent pas les champs, ils s'obstinent à faire demi tour. Des chercheurs les ont suivis pendant plusieurs années. Cela fait vingt cinq ans que la clôture a été démantelée et l'espérance de vie d'un chevreuil ne dépasse pas quinze ans. Ils ne peuvent pas s'en souvenir mais ils s'en souviennent quand même.
Il est possible que l'on ne puisse jamais comprendre l'amour, qu'il nous soit seulement offert de nous y ressourcer.
On est en Russie, dit il. Nous tenons nous à ce que nous avons, la famille, les traditions, tout ce que Staline a essayé de détruire, les filiations, la religion. Le peuple russe tient à tout ce qu'il possède. Nous ne changeons pas de maison comme vous autres. Les appartements se transmettent de génération en génération. J'habite chez mes beaux parents avec ma femme et mes enfants, dans leur trois pièces et quand viendra l'heure, nous leur succèderons. Nous n'avons pas l'habitude de vivre seuls.
Le plus important, c'est le présent. Ce n'est pas pour rien que ton nez pointe vers l'avant.
Un lėger brouillard flottait sur la ville.Tout a disparu,pensa t-elle,la boue et les baraquements ,les toilettes en plein air où les excréments tombaient dans une fosse,en même temps que les rêves de grandeur .En sortant de la gare,elle contempla une immense place où tournaient les voitures et les trolleybus dans une sorte de ballet au ralenti.Une large avenue traversait la ville ,rectiligne de la gare jusqu'au lac Onega .L'avenue portait toujours le nom de perspective Lénine.
Elle tira sa valise tandis que le vent lui mordait les joues.
On croit qu'on peut revenir, dit Kurt Lehmann, mais est-il possible de retourner sur des lieux qui n'existent plus? C'est la même terre, mais ce qui la peuplait a disparu, les traces de nos ancêtres, les histoires du passé.
S’il y a une chose dont il est sûr, c’est que les morts ne chantent plus, en tout cas pas assez fort pour qu’on les entende.
Peut-on vivre sans avoir de nom, pensa-t-elle. Et, si c'est le cas, est-on encore un être humain ?
Je crois que l'on ne fait que répéter ce que l'on a entendu, ajouta Eva-Lena comme pour tempérer les propos de son mari. La mémoire fonctionne souvent comme ça. On répète ce que racontent les anciens et on finit par croire qu'on y était.
Après, nous nous étions promenés lentement le long du quai. Sous la culée du pont, un homme et une femme étaient étroitement enlacés. Plus vieux que nous. Lui avait certainement passé les soixante ans ; elle devait être un tout petit peu plus jeune. Ils semblaient ivres, fous, et à la recherche d’un endroit discret. Cela ne s’arrêtait donc jamais : ce que l’on prenait pour de la jeunesse pouvait gagner en force avec l’âge parce qu’on savait qu’il y a une fin. Un ultime moment de folie.