Les morts commandent de
Vicente Blasco Ibáñez
Jaime Febrer se leva à neuf heures du matin. Mado Antonia , qui l’avait vu naître, servante pleine de respect pour son illustre famille, se contentait d’aller et de venir depuis une heure dans la chambre, pour tâcher de l’éveiller. Jugeant insuffisante la lumière qui pénétrait par l’imposte d’une large fenêtre, elle ouvrit les vantaux de bois vermoulu où les vitres manquaient. Puis elle tira les rideaux de damas rouge, galonné d’or, qui, en forme de tente, enveloppaient le vaste lit, antique et majestueux, où avaient vu le jour, s’étaient reproduites et éteintes, plusieurs générations de Febrer.
La veille, en rentrant du cercle, Jaime avait instamment recommandé à Mado Antonia de le réveiller de bonne heure, car il était invité à déjeuner à Valldemosa. Allons, debout !
C’était une splendide matinée de printemps. Dans le jardin, les oiseaux pépiaient en chœur, sur les branches fleuries, balancées par brise, qui venait de la mer voisine, par-dessus le mur.
La domestique, voyant que monsieur s’était enfin décidé à quitter le lit, se dirigea vers la cuisine. Jaime Febrer se mit à circuler dans la pièce, devant la fenêtre ouverte, que partageait en deux parties une mince colonnette.
Il s’était endormi tard, inquiet et nerveux, en songeant à l’importance de la démarche qu’il allait entreprendre le lendemain matin. Pour secouer la torpeur que laisse un sommeil trop court, il rechercha avidement la réconfortante caresse de l’eau froide. En se lavant dans sa pauvre petite cuvette d’étudiant, Febrer jeta sur elle un regard plein de tristesse. Quelle misère ! Il manquait des commodités les plus rudimentaires, dans cette demeure seigneuriale. La pauvreté se manifestait à chaque pas dans ces salons, dont l’aspect rappelait à Jaime les splendides décors qu’il avait vus dans certains théâtres, au cours de ses voyages à travers l’Europe.
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