![Douve par Guilbert Douve](/couv/cvt_Douve_7062.jpg)
Remporter le livre « Terra Nullius » lors d’une masse critique privilégiée… et me rendre compte à la réception qu’il s’agit en fait de la deuxième enquête d’un flic dénommé Hugo Boloren : surprise ! À vrai dire, je ne sais plus si c’était clairement indiqué dans la présentation du livre (et alors j’aurais zappé l’info), ou si ce n’était même pas mentionné (et je n’ai pas cherché à en savoir beaucoup plus avant de cliquer pour le recevoir). Toujours est-il que je suis assez psychorigide (n’ayons pas peur des mots !) à ce sujet : je ne p/veux pas lire un 2e opus d’une quelconque série, si je n’ai pas d’abord lu le premier… et dans les rares cas où j’aurais quand même lu les choses dans le désordre, c’est soit par pure ignorance, soit délibérément pour les besoin d’un challenge ou l’autre (eh oui !). Dans le cas présent, rien ne justifiait que je commence par un numéro 2, si ce n’est l’échéance (alors encore lointaine) de la rédaction d’un commentaire. Je devais donc d’abord acquérir et lire « Douve » !... et il ne me reste désormais plus que 13 jours pour commenter sa suite…
Mais voilà : Hugo Boloren est décidément un flic plein de surprises ! Quelque peu obnubilée par cette idée de lire « Douve » en premier lieu, je n’avais même pas trop lu le résumé du livre, mais j’étais en quelque sorte en confiance : après tout, c’est Hugo Thriller qui publie. Thriller, l’un de mes genres préférés, donc je pouvais y aller les yeux fermés… ou pas !
Ceci est un avertissement : amateurs de vrais thrillers, bien sanglants et/ou bien flippants, pleins de tension et de suspense, passez votre chemin ! En effet, ce livre n’est pas un thriller, pas vraiment ; la meilleure classification que je pourrais lui donner est à la frontière du cosy mystery. On aurait donc un « cosy thriller » (je sais, ça n’existe pas, pas encore jusqu’à ce livre du moins), voire un thriller humoristique, même si je préfère ma première dénomination.
Cela dit, pour moi ce n’est pas un problème : j’aime autant les thrillers purs et durs, que la plupart des cosy mysteries ; et puis, comme je ne savais pas à quoi m’attendre, je ne pouvais pas être déçue, et me suis laissé surprendre sans a priori !
Ainsi, on trouve ici tous les ingrédients qui font le succès – et la définition (voir par exemple http://www.lesromantiques.com/?a=1271/Cozy-Mystery qui est ma foi très bien fait) – du « cosy mystery ». On n’a pas le village anglais typique (ne cherchez pas Agatha…), mais on a bien le village français un peu perdu, où il ne fait pas particulièrement bon vivre mais en tout cas tous ceux qui y sont nés finissent par y retourner, et tout le monde se connaît. On n’a pas une femme détective amateure à la (limite de la) retraite, mais on a un homme, qui plus est policier… mais en vacances ! (pour la première fois de sa vie, en plus, nous dit-on) D’ailleurs, il passe son temps à boire des bières, parfois dès 10h du matin, et à croquer des carrés de chocolat noir haut de gamme, seul remède qu’il ait trouvé pour arrêter la cigarette. On a certes quelques passages un peu violents et même du sang… mais ces scènes-là sont chaque fois très brèves et peu descriptives, si bien qu’on n’a même pas le temps d’avoir un début de nausée. De plus, elles sont pauvrement exploitées, perdant ainsi le peu de crédibilité réaliste qu’elles auraient pu avoir. Par exemple, quand Hugo se fait passer à tabac, la scène n’est pas ultra-dure, il reçoit quelques coups et puis c’est tout… et par la suite, certes tout le village s’inquiète pour son visage tuméfié, mais l’auteur semble avoir complètement oublié que son « héros » est censé avoir eu l’une ou l’autre côté fêlée ! Ciel, ça fait mal pourtant, et pendant plusieurs jours… mais ici, c’est complètement passé sous silence.
L’écriture est plaisante, légère (j’y reviens) et pourtant travaillée : on sent d’emblée que l’auteur va nous mener là où il veut bien, même si les chemins qu’il prend ne sont décidément pas ceux qu’on pourrait attendre pour le genre annoncé. Pour commencer, on a cet humour omniprésent. Oh ! on ne passe pas son temps à rire, c’est plutôt un humour pince-sans-rire qui transpire de partout, l’air de rien et qui, surtout, donne une indéniable légèreté à ce livre - il y a tant et tant de menus exemples que je ne peux en fixer un seul à titre pour illustrer mon propos, il faut se laisser happer par l’histoire pour le découvrir au fil des phrases !
J’ai aussi noté un certain humour de répétition, en deux points particuliers (et d’autres je pense, mais ceux-ci sont les plus marquants) : d’une part, il y a cette répétition du plaisir de « la première gorgée de bière »… Alors, n’ayant jamais lu Philippe Delerm, je suis incapable de dire s’il y a une quelconque allusion à ce livre qui avait beaucoup fait parler de lui lors de sa sortie, mais en tout cas, Victor Guilbert revient encore et encore sur cette première gorgée de bière, qui donnerait envie de décapsuler une bonne bouteille pour ressentir ce plaisir qui a bien quelque chose d’obsédant ! D’autre part, il y a le climat de Douve : il y pleut (quasi) tout le temps, alors que le soleil rayonne partout ailleurs en France ! Hugo sort de Douve, paf il fait ensoleillé ; Hugo retourne à Douve, et est accueilli par une pluie serrée… L’auteur voulait-il ainsi renforcer le côté potentiellement oppressant du village entouré de cette forêt de sapins impénétrable ? Eh bien c’est raté (du moins sur ce point-là), car très vite c’est une toute autre image qui m’est venue à l’esprit en parallèle : c’est cette scène mythique (parmi d’autres) de « Bienvenue chez les Ch'tis », quand Kad Merad, en route vers sa nouvelle affectation, passe le panneau « Nord Pas-de-Calais » (car à l’époque on ne parlait pas encore de Hauts de France) et se retrouve instantanément sous un rideau de pluie ! (pour les nostalgiques, on la trouve ici : https://www.youtube.com/watch?v=T_H4aB5vtmE ) On est d’accord que, avec une telle image en tête, on est davantage dans le comique que dans le thriller… même s’il y a un petit côté désenchanté.
Parmi les autres éléments qui éloignent ce roman d’un vrai thriller, on notera aussi l’utilisation du présent de l’indicatif à la première personne du singulier, Hugo étant le narrateur. Or, à moins de vouloir jouer sur un effet fantastique qui mettrait en scène le fantôme du personnage (ouf, ce n’est pas le cas !), un narrateur qui s’exprime ainsi ne peut pas subitement disparaître. Ainsi, même si on s’inquiète parfois pour lui, on sait que ça ira mieux demain quoi qu’il arrive – d’ailleurs, il a un deuxième livre qui l’attend, n’est-ce pas ? Il y a aussi le fait que l’auteur ait choisi, à quelques exceptions près, de nommer les différents protagonistes quasi-exclusivement par leurs prénoms – à tel point que, quand leurs noms complets apparaissent en fin de livre, j’étais tout à coup bien un peu perdue ! Je me rends compte que cet effet de style n'est pas innocent : cela rend les personnages plus proches du lecteur, leur donne une aura sympathique, moins méchante qu’ils ne sont peut-être en réalité ; en tout cas, on est loin de ces polars durs et insoutenables, dans lesquels les noms de famille sont privilégiés.
Parlons-en, de ces personnages : ils sont tous extrêmement typés, à la limite de la caricature parfois… mais je dirais alors que c’est un cliché calculé, voulu, permettant au lecteur de les identifier instantanément avec leurs qualités ou leurs travers, créant sympathie ou antipathie d’une façon qu’on croirait instinctive alors que chacun de ces sentiments est habilement suscité. Aucun des personnages ne m’a paru particulièrement attachant, pas même Hugo lui-même, mais ils ont tous un petit quelque chose d’interpelant (au minimum) et agissent au service de ce grand puzzle mêlant passé et présent, qui peu à peu se met en place.
Paradoxalement, Hugo m’a semblé le moins travaillé des personnages. On en sait relativement peu sur lui : peut-être conçu à Douve lors d’une enquête dans une affaire sordide menée alors par son père, flic lui aussi, et accompagné de sa mère, journaliste, on ne sait même pas trop son âge ; on sait qu’il appartient à un quelconque commissariat de Paris mais on ne sait rien de ses enquêtes passées, de ses succès professionnels ou autres. On sait juste qu’il a été en couple mais n’a pas été capable de retenir sa compagne, et il ressasse les arguments qu’elle lui a jetés à la figure quand elle l’a quitté, sans trop se remettre en question – si tant est qu’il était vraiment en tort… En fait, il apparaît plutôt comme un personnage lisse, passif aussi bien dans son enquête improvisée que dans sa vie privé ; il est plutôt du style à laisser venir les choses, à attendre qu’elles se passent, avec cette histoire de « bille » qu’il a en tête. À mon sens, ce n’est rien de bien original : certes, j’ai aimé l’image, de cette bille qui parcourt un circuit comme ceux créés par un enfant (mes deux garçons adorent ça !) jusqu’à atteindre le « ding » final qui marque la fin de son parcours… et la résolution de l’enquête ! mais quand on réfléchit un peu plus loin, on se rend compte qu’il ne s’agit de rien d’autre que d’une version très imagée d’un mélange d’intuition, de flair policier et d’événements qui tout à coup prennent sens… L’image est belle et sympathique, mais la réalité qu’elle recouvre n’a rien de bien original !
Il n’y a finalement que le décor, mais il est ô combien important ! qui rattache ce roman au genre du thriller.
C’est cette forêt de sapins précitée, qui revient elle aussi comme un leitmotiv, et comme un élément principal de toute l’histoire, peut-être même une espèce de personnage sans âme. Bien entendu, plusieurs scènes y ont lieu, et ce sont chaque fois de ces scènes peu agréables. Cette forêt sombre renvoie chacun des habitants de ce petit village à ses démons passés, elle est pleine de mystères – qui n’ont rien de surnaturel ! on est davantage dans l’idée qu’elle est impénétrable, inexploitable en plus, ce qui la rend particulièrement antipathique, sans espoir d’un quelconque essor économique pour ce village perdu, oppressante pour tout qui s’y hasarderait.
Je ne peux conclure sans mentionner la résolution de l’enquête : elle apparaît sur les différents chapitres de fin, à la façon des pièces d’un puzzle qui s’assemblent tout à coup au fil de différents tableaux. Tout est assez inattendu, et pourtant tout se tient, on est surpris mais pas déçu, car on comprend tout à coup toute l’ampleur de la manipulation de l’auteur depuis le début ! Et n’oublions pas le twist final, peut-être pas tout à fait utile, mais que j’ai apprécié à sa juste valeur car c’est la première (et unique) partie où j’ai un peu tremblé pour un personnage !
Ainsi, de façon générale, j’ai plutôt bien aimé ce livre étrange qui crée le genre du « cosy thriller », avec ses personnages très typés à la limite de caricature, son ambiance villageoise marquée plus proche d’une étude de mœurs que d’un climat oppressant, ce dernier étant cependant assuré par le décor forestier angoissant et si proche. Je retiens avec plaisir cet humour omniprésent qui prend plusieurs formes, donnant à l’ensemble une légèreté qui confirme qu’on est dans une lecture « douillette », agréable, et où on aimerait que le personnage principal soit un peu moins lisse.
Je continue de me demander si cette ambiance « cosy » dans un thriller était réellement voulue, ou si c’est un effet collatéral imprévisible de cette plume légère même dans la manipulation du lecteur, mais en tout cas on en redemande. Et puis vous le savez : il me reste désormais à me plonger dans la suite !
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