Citations de Vincent Tassy (90)
Sibylle savait qu'elle n'était pas en train de rêver, mais elle aurait très bien pu se pincer pour s'en assurer, car cet endroit incarnait tout ce qu'elle adorait. Là, sous le ciel gris, à fleur de pluie, le château déployait ses vieilles pierres craquelées, grignotées de lichen et envahies de lierre ; des dizaines de fenêtres aux rebords sculptés en colonnes parcouraient la façade, comme autant de trous noirs invitant Sibylle à explorer leurs fascinants secrets.
Elle regarda la pluie, l'esprit envoûté par cette atmosphère si particulière qui régnait en octobre, quand l'automne s'épanouit comme une fleur rousse, déjà fanée lorsqu'elle éclot. Peut-être bien que les vacances de morts, ainsi qu'elle les appelait, étaient ses préférées. Moins bruyantes, moins évidentes que celles de Noël ; baignées d'une autre féérie, plus secrète et plus douce.
Dans ma vie d'avant, je me souviens, la bonté des autres me blessait. Lorsqu'on se montrait bon et généreux avec moi, j'ignore pourquoi, je ressentais un malaise inexplicable, une souffrance larvée. Et une sorte de haine montait en moi, diffuse et sifflante elle était encore plus douloureuse. C'est un mystère que je n'avais jamais résolu.
La beauté m'attire comme les cadavres la vermine.
Princesse des asphodèles, beauté endormie. Une clairière, un cercueil de glace. Un chemin. Apostasie. Apostasie
Il est des secrets qu’aucune histoire n’a jamais révélés. A leur faire noircir des pages, à les livrer à l’incertitude de l’avenir, on aurait trop peur de les salir. On préfère les garder au fond de soi ; que leur immortalité ait la pureté de l’éther, pas la noirceur de l’encre.
– Est-ce nécessaire?
-Voyons, Anthelme. Tu aurais dû oublier le sens de ce mot. C’est une histoire. Rien ne doit être nécessaire dans une histoire. Ainsi tout le devient. Tout est surprise.
J'aime être surprise. Beaucoup trop de livres. Ceux qui sont purs, ceux qui sont dégoûtants, ceux qui claudiquent, ceux qui sont trop gros et ceux qui sont trop maigres; les livres qui cherchent sans trouver, qui sont des énigmes à eux-mêmes mais qui nous parlent, et qui partagent cette vie immense, et floue, qu'ils ont en eux. Ils sont comme ça, tes livres, Sarah.
Dire la fin de l’histoire c’est revenir aux ténèbres.
La nuit même de la naissance de Sibylle, Maria Delombre avait pressenti que sa fille serait différente des autres enfants. Bien sûr, tous les parents aiment penser que le fruit de leurs entrailles est naturellement extraordinaire, et qu'il ne manquera pas de se distinguer par son intelligence ou son talent. Mais les premiers mois de l'existence de Sibylle avait confirmé son intuition : elle n'avait rien en commun avec les autres bébés. Elle ne pleurait jamais, dormait toute la journée, et dès la tombée de la nuit ouvrait doucement ses grands yeux lunaires pour observer avec fascination tout ce qui l'entourait, comme si elle était capable de deviner les secrets cachés derrière chaque chose.
Dans la brume, dans le sang de la pluie, ils étaient troubles. Ils étaient ombres, l'une pleurant l'autre. Mille et mille fois c'était arrivé, mille et mille fois cela arriverait encore : une ombre pleurant l'autre, sans plus de voix, blottie contre le corps devenu plus lointain que tout autre corps.
Cela lui arrivera comme cela arrive à la mer de devenir noire lorsqu'elle n'a plus rien à refléter que la nuit absolue.
Nous observerons comment le jour efface la nuit, comment le soleil rend l'or à ce que les ténèbres ont englouti.
Mélancolie rose.
Son rêve, à Athalie. Répandre la nuit silencieuse de ses baisers. Nous serions des pantins diaphanes, des fleurs sans voix, pâles fantômes dans des romans d'amour.
Tu ignorais complètement ce qu’était le bonheur. Maintenant tu sais. Et tu te battras, jusqu’à la mort, et au-delà, pour que jamais rien ne te l’enlève.
Avec lui il emportera l'image du soleil et lorsqu'il descendra de son royaume d'azur les yeux des hommes ne sauront plus d'où vient la lumière du jour, et ils se rempliront de larmes.
« Tu ne connais ni moi ni toi. Parce qu’il n’y a rien à connaître de nous. Nous ne sommes personne. Nous sommes réunis et nous sommes lumière. »
qu’aurait-on pu dire ce soir, dans ce silence, à l’oreille endormie des cygnes, comment dire la nuit, ce vide en soi, comment le dire à la nuit.
Un tel vide dans le coeur, c’est à l’abri de la mort, la mort ne peut pas y entrer, rien ne le peut.
C’était comme une berceuse, la gentillesse dans son regard. Rachel ne supportait pas cela, d’habitude. Les gens gentils, généreux, attentionnés avec elle, ils la touchaient tellement qu’elle avait toujours envie de les insulter – en leur présence, toutes sortes de grossièretés incontrôlables éclataient dans sa tête, connasse, va te faire, tu fais pitié, putain mais ta gueule, avec la frénésie d’un feu d’artifice -, c’était une barrière, une façon de se protéger de la gratitude dévastatrice qui la submergeait alors. Elle n’avait jamais compris pourquoi. Par quelle malédiction. Mais pourquoi ne s’érigeait-il aucune barrière devant ce regard-là ?