Citations de Vincent Tassy (90)
- Le château, il est très ancien ?
[...]
- Oui, c’est une grande bâtisse du XVIIIe siècle. On appelle ça une « folie ». Les riches aristocrates s’en faisaient construire à la campagne et venaient s’y amuser de temps en temps, faire des « folies », d’où le nom. En gros, c’est un petit château de vacances.
Sibylle n’aimait pas les poupées. Du moins, celles qui étaient fraîches, colorées, toutes guillerettes, lumineuses comme des matins d’été ; en un mot, niaises. Depuis toute petite, elle les préférait cassées, blessées, décapées, amoindries et laides. Ces poupées-là, avaient bien plus d’histoires à raconter. Et ces poupées-là avaient besoin de quelqu’un pour les recueillir, car personne d’autre n’aurait voulu d’elles.
Mais une âme qui ne parvient pas à quitter notre monde, c’est une âme affligée, une âme qui se condamne à souffrir pour toujours, une âme qui demeure prisonnière de sa tristesse.
Une âme alors, qui se venge sur les vivants. Qui les tourmente, leur impose ses plus affreux souvenirs, parfois tente de les emporter avec elle dans la mort.
Les fantômes sont des esprits malades qui déambulent à l’infini dans les lieux où ils ont souffert. Et ils se condamnent à revivre encore et encore ce qui les a détruits.
J'étais né pour contempler, plus que tout autre chose.
Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi les beautés les plus ténébreuses étaient pour moi les plus attirantes. Peut-être le goût du mystère, du voile et de la profondeur. L'obscurité protège de la vérité. De tout ce qu'on ne veut pas savoir. Elle est folle et imprévisible, mais secrète, silencieuse; belle comme une mer de diamants noirs.
Les gens les plus intéressants sont ceux qui restent dans l'ombre. Ils ont l'intelligence de trouver un sens à leur vie sans chercher l'approbation du monde.
- Les fantômes ont une manière d'agir tellement curieuse. Je ne sais pas si c'est vraiment possible de les comprendre, de trouver une logique à leur comportement.
- Leur seule logique, c'est celle de leur tristesse. Ils se réduisent à elle, elle devient leur seul repère. Et Ophélia... s'il ne lui reste que la tristesse, alors sa tristesse est comme une fleur pour elle. Elle l'arrose, refuse de la voir faner, sinon elle ne serait plus rien.
C'est l'art qui m'avait fait comprendre que j'avais besoin d'autre chose, et qui m'avait mis sur le chemin de la Sylve. C'est l'art qui avait édifié mes rêves et qui m'avait donné la force de croire que la magie existait. Au lieu de me rendre triste, au lieu de me faire éprouver mortellement la distance entre un réel et un existence enchantée, il m'avait, lui seul, ému aux larmes, confié le secret qu'un ailleurs m'attendait.
Au premier pas vous auriez su qu'ici le jour n'existait pas. Peut-être parce que le soleil ne pouvait atteindre l'écrin secret de la Sylve, ou parce que le voile enchanté des feuillages ne laissait passer des rayons du jour que ce qu'ils avaient de lunaire au plus profond de leur clarté. Au premier pas vous auriez distingué, dans l'impénétrable silence qui perçait le chœur murmurant des branches, un autre chœur, celui des existences inconnues qui se nichaient dans les bosquets et les grottes, dans les clairières et les cataractes.
Quand on n'a plus rien d'autre que la tristesse, tout ce que l'on peut faire, c'est la transformer en poésie, tu ne crois pas?
"Mon ombre. Ma pauvre ombre. Depuis le coucher du soleil, elle saigne. Et ça ne s'arrêtera plus. Mais d'où vient-il tout ce sang? De nulle part, sans doute. Des eaux noires d'une malédiction."
Devenir immortel, est-ce une inévitable condamnation au désespoir? Ou n'est-ce que notre immortalité, celle qui émane de moi et que j'ai inoculé à mes Vermines, qui détient l'abject pouvoir de détruire notre âme?
Vivre, c’est accepter qu’il soit trop tard. Pour tout. A quoi bon sauver le monde ? Et à quoi bon précipiter sa fin ? Il faut le regarder aller à sa perte, aimer d’amour la nuit qui sans fin tombe sur lui. Laisser faire. Sinon il y aura trop de bruit, trop de cris. Il faut se dissoudre avec lui, épouser sa longue douleur.
Au fil de ma flânerie, au hasard de chemins qui n'en étaient pas, je vis des fleurs énormes ou minuscules qui brillaient doucement dans l'ombre, comme des vers luisants; des étincelles que les feuilles tombantes emportaient dans leur chute; des ruisseaux plus effilés que des serpents, caressés par les lueurs opalines d'un astre singulier. Des couleurs précieuses et voilées, des bleu nuit, des nacres vaporeuses, des abyssines et des fuligineuses, tissaient un lien charnel avec la chevelure cinabrine de la Sylve, offrant un nouveau sens à ce mot, féerie, que je croyais si bien connaître.
Qu'importait s'il prétendait que la magie n'existait pas, alors qu'il était magicien ; qu'importait s'il souffrait les barrières de la réalité alors qu'un simple regard sur lui ne m'évoquait rien d'autre que l'infini des choses. Je ne pouvais pas comprendre.
Elle a mis dans mon cœur un peu de l’inexistence des fantômes.
Qu'est-ce qui te transperce pendant que tu me regardes ? Ce n'est pas de la lumière ; c'est une illusion, la lumière. On la croit vive, et pure, mais derrière elle il n'y a que des ténèbres.
« Curieusement, je pus contempler son reflet sans souffrir d’étourdissement. Il avait la beauté d’une oréade morte ; quelque chose en lui me glaçait. Était-ce la luisance vénéneuse dans ses yeux effilés, ou le rouge sang de ses lèvres minuscules, ou les fuseaux de ses pommettes aiguilleuses ? Tout cela à la fois. Son visage comme une harmonie d’épines. » (p. 61)
Je crois qu’une belle histoire se termine toujours par une image plus belle que les autres.
Elle regarda la pluie, l'esprit envoûté par cette atmosphère si particulière qui régnait en octobre, quand l'automne s'épanouit comme une fleur rousse, déjà fanée lorsqu'elle éclot. Peut-être bien que les vacances des morts, ainsi qu'elle les appelait, étaient ses préférées. Moins bruyantes, moins évidentes que celles de Noël, baignées d'une autre féerie, plus secrète et plus douce.