Citations de Vincenzo Consolo (34)
Iles éoliennes
Tantôt lointaines, légères, diaphanes comme du papier ou du lin, arrêtées ou errantes sur la mer, suspendues dans le ciel, tantôt rendues invisibles par un rideau de nuages ou de brumes, tantôt s'avançant, si proches de la côte, rugueuses et brillantes, alarmantes — mauvais temps, mauvais temps !
Il passa des jours à remettre de l'ordre dans les livres. C'est par eux qu'il devait commencer, par leur géographie claire, leurs limites certaines, par leur confort, pour pouvoir s'orienter, reprendre la route.
incipit " Ora non puo' narrare"
A présent,on ne peut raconter.
Ce n'est pas moi que tu refuses, mais tous les pères, ma génération, celle qui n'a pas fait la guerre, qui aurait dû reconstruire, après le désastre, ce pays, former une nouvelle société, une vie en commun, civilisée et juste.
Le jardin, disait-il, était un lieu platonique, ordre du monde, changement incessant, image du jardin intérieur, rêve du retour, de la restauration, mais blessure, aussi, tourment.
Mur qui s'écroule, intérieur qui se révèle, fuite haletante, limier qui ne lâche pas prise, issue parmi des ruines fouettées par la pluie, ironiques statues en perspective, crânes sur les chapiteaux, masques sur le bord des fossés, magasins réduits en cendres, livres qui se dissolvent dans les mains, elle accroupie au centre d'un carrefour, elle, hurlant et sanglotant, étendue dans la chambre, revenant du seuil extrême, de la terreur de l'insuline, qui entre et sort par la porte donnant sur l'abîme, le temps est figé dans ce passage continu, dans l'absence, tout au fond il y a les séquences, les connections fermes et vraies.
Sa peine allait à toute une génération réduite en cendres par un pouvoir criminel, enfantée par des pères pleins d'illusions, eux aussi épaves des naufrages les plus divers.
Caltagirone
Dans sa maison au-dessus du puits, séparée du village, le village situé au delà de la vallée, du ravin, déployé derrière la vitre de la fenêtre, envahi de brouillards, foudroyé de soleil, brûlant de lumières, résonnant de cloches, Maria est séparée du monde, comme tous les poètes, elle aime un autre monde, un autre village, elle écrit des vers poétiques...
Et mon journal donc a procédé, vous vous en êtes aperçus, comme la table en haut d'un rétable qui pose sur une estrade ou sur une base déjà peinte ,sur la mémoire vraie et originale ,écrite par une fillette nommée Rosalia.
Rosalia avait une petite cape blanche damassée et me faisait sentir laid, disgracieux dans mon froc crasseux, suant, avec ma grande barbe noire, devant elle,fraîche et parfumée, belle de sept beautés.
Milazzo en Sicile
Sur la plaine où paissaient les troupeaux du Soleil, où l'on cultivait le jasmin, a surgi une vaste ville où se pressent les silos, les grillages, les cheminées qui vomissent en permanence flammes et fumée, une cité de Pluton métallique, infernale, qui a tout bouleversé et empoisonné : terre, ciel, mer, esprits, culture.
Mais tout voyage, il le savait, était tempête, tremblement, perte, douleur, enchantement et oubli, d"gradation, faute ensevelie, remords, hantise sans fin.
Ce fut alors la chute dans le gouffre médical, dans l'ignorance, dans la domination, dans l'intérêt cynique de sommités, maisons de santé, entourage repoussant, réseaux de chacals.
Bonheur, plénitude d'exister, c'était peut-être cela, en ce lieu, en cette maison qui était pour elle aboutissement, émerveillement de tous les jours, joie secrète, pudeur d'un amour, d'un destin inespéré. Qui calmait, effaçait peu à peu les mélancolies, les offenses, l'aversion et les bassesses de son père, la séquestration du collège.
Ses pas le conduisaient vers le lieu qui était le motif de son voyage, de sa persistance dans le monde, vers cet homme explicite et fuyant, ce fils qui se refusait à toute confidence, à toute tentative de récit, d'éclaircissement.
Jamais Aurelia et Chino n'étaient allés à la ville, ils n'avaient jamais entendu tant de vacarme, de hurlements appels boniments, tant vu courir et peiner au milieu des décombres, poutres fils ferrailles tôles tufs gravats, immeubles au coin des rues encore debout, tapisseries et faïences exposées à l'air, jarres et bidons écroulés sur les pavés, statues renversées, flèches d'église tranchées et coupoles éventrées.
L'exil est dans la perte, l'absence, il est en nous l'oubli, l'indifférence aveugle.
Et puis le temps ouvre d'immenses espaces, indifférents, augmente les distances, sépare et contraint aux adieux
Quitter Palerme
Mauro poussa ensuite son père à déménager dans la ville lointaine, à rompre l'envoûtement, la vie de séquestration, à fuir ce bourbier, ce lieu corrompu, sauver ainsi peut-être sa mère, laisser cette terre désormais sans espoir, aux mains de la mafia.
Ségeste
Je monte sur les collines d'agaves et d'acanthes, où au bord du gouffre, surgit le temple de calcaire, vaste et puissant sur sa base, dans ses colonnes, dans les tympans de ses frontons. Qui semble avoir surgi, dans la perfection de sa structure, dans l'équilibre de sa masse, de la correspondance avec la nature alentour, de son propre élan, surgi d'une lente recomposition de la pierre informe, du chaos naturel, dans la forme parfaite de la géométrie, l'ordre des nombres, la règle du rythme.