Des ateliers décriture ont été mis en place à la faculté des Lettres de Nîmes, dans le cadre de la licence de lettres modernes, en septembre 2006. Trop rares encore sont les responsables de filières Lettres à oser se risquer dans ce domaine, classique aux Etats unis depuis la fin des années 50 sous le nom de writers workshop. Pourtant, comment comprendre de lintérieur la littérature si lon ne se frotte pas soi-même à lécriture ?
-Rendre la parole- ce que je faisais et fais toujours dans les ateliers d'écriture: si chaque être humain découvre que, muni d'un simple crayon, il peut penser, c'est à dire développer des idées et les soumettre lui-même à la contradiction, le monde se portera mieux, c'est une de mes rares certitudes. Depuis longtemps j'ai fait mienne cette réflexion de Georges Picard: "Pour être au clair avec soi-même, pour savoir de quoi sa propre pensée est réellement capable, l'épreuve de l'écriture (est) cruciale. Peut-être publie-t-on trop, mais il n'est pas sûr que l'on écrive suffisamment" (p.18)
L’EFFET ICEBERG
On raconte qu’Hemingway, dans une première version du Vieil homme et la mer, avait décrit minutieusement le port et la vie des pêcheurs ; puis il a récrit en en retranchant toutes les descriptions naturalistes, ces effets de réels destinés à faire croire au lecteur que tout cela a bien eu lieu « en vrai » ; et n’a laissé subsister que l’histoire du vieil homme, de son espadon, et de la mer. Comme l’iceberg, disait-il, le récit ne doit laisser paraître que l’extrémité supérieure de l’histoire, les sept huitièmes restent sous l’eau.
Le souffle créateur n'appartient pas à l'artiste; il n'est pas un outil dont il disposerait à sa guise. Plus encore il semble que pour créer il faille s'arracher à la condition humaine, à son être-là, par la drogue, l'alcool, la transe, la prière, l'ascétisme, l'écriture automatique; ou encore à la faveur de la chance, parce qu'on a la baraka; ou grâce à ses dons, fruits d'une obscure loterie génétique...Ni les structuralistes, ni le Nouveau Roman, ni les Oulipiens, malgré leur volonté affichée d'en finir, n'ont pas réussi à faire la peau à l'inspiration. (p.35)
JE SUIS NE EXILE
Pour ces millions d'êtres -en périphérie-, au-delà des cercles de la richesse et même de la suffisance, l'exil est une donnée immédiate de l'existence. (...)
Ainsi s'élève la voix si profondément humaine et juste de Mahmoud Darwich s'entretenant avec la poétesse israélienne Helit Yeshurun : " On peut dire de tous mes écrits qu'ils sont une poésie d'exilé. Je suis né exilé. L'exil est un concept très vaste et très relatif. Il y a l'exil social, l'exil familial, l'exil dans l'amour, l'exil intérieur. Toute poésie est l'expression d'un exil ou d'une altérité. Lorsqu'elle correspond à un vécu réel, c'est un exil concentré, comprimé. Je trouve l'exil dans chacun des mots que je cherche dans mon lexique. Mais je ne m'en plains pas. Après tout, l'exil a été très généreux pour mon écriture. Il m'a donné la possibilité de voyager entre les cultures, entre les peuples. [...] Sur cette planète nous sommes tous voisins, tous exilés, la même destinée humaine nous attend, et ce qui nous unit est le besoin de raconter l'histoire de cet exil. " (p. 111)
Existe-t-il une activité plus humaine, plus douce et réconfortante que ce papotage à mi-voix avec un être cher ? La lecture, peut être. Le cinéma, parfois. Ou la contemplation paisible, dans un musée désert, d'un seul tableau.
Parce que le monde moderne est tumulte et chaos, la tâche de l'homme moderne est de sortir du tumulte et du chaos. Comment ? En construisant une vie spirituelle à part, (...) c'est-à-dire une vie spirituelle qui ne doive rien à ce qui existe, mais vous devez la faire exister, c'est à vous de faire exister quelque chose que vous n'emprunterez pas à l'existant.
DELEUZE à ses étudiants de Vincennes
Je suis un sac de cris. Plus d'yeux, plus d'oreilles, plus de narines, plus de bouche. Un sac de peau sans orifices et gonflé de cris à éclater. Maurice rit, et à sa suite, Odette, et Janguy s'il est là. Je suis leur clown.
« L’inventaire mesuré d’un chaos exige de la patience. Mais j’ai le temps. Je ne suis plus bonne à rien sauf à déblayer ces restes, débris d’une existence à laquelle j’accorde non le bonheur mais l’innocence, une manière d’absence à soi dont on imagine les crétins heureux bénéficiaires ».
« Cette étincelle de vie vibrante en moi me donnerait la force de croire à nouveau, avec bonne volonté, à l’humanité des hommes, à la civilisation. Elle me rendrait cette certitude implicite, indiscutée, qui permet à chacun de dire bonjour à son voisin, de sourire, de tendre la main pour saluer un inconnu ; de vivre en société. Parfois je réussis à m’en persuader. Sinon, à quoi auraient servi tant d’efforts pour échapper au couteau ? Et si je tiens sans faillir le journal de la lumière, c’est par entêtement. Seule cette activité, menue et vaine mais scrupuleusement menée, pourra un jour échauffer mon sang. »
Le vieil homme s'est avancé pour presser ma main entre les siennes. Puis il a élevé un doigt et, avec une douceur que je ne connaissais pas, dont ma propre mère ne m'avait même pas laissé soupçonner l'existence, il l' a fait glisser le long de ma joue.
Les ateliers d'écriture sont un des rares lieux fondés sur le don et le partage, dons et partages qui nous enrichissent et nous arrachent au passage à l'abjecte logique économique, ce qui n'est pas une mince satisfaction. Aussi ai-je voulu restituer ici la dimension collective du travail en atelier, tant de celui qui le mène que de ceux qui y écrivent, même si chacun écrit pour soi dans la quête de sa singularité. (p.14)