Vladimir LORTCHENKOV -
Des mille et une façons de quitter la Moldavie .
A l'occasion de la première édition du salon Russkaya Literatura qui s'est tenue les 7-8-9 novembre à l'Espace des Blancs Manteaux à Paris, rencontre avec
Vladimir LORTCHENKOV, auteur de "
Des mille et une façons de quitter la Moldavie" aux éditions Mirobole. http://www.mollat.com/livres/vladimir-lortchenkov-des-mille-une-facons-quitter-moldavie-9791092145212.html Notes de Musique : ?I've Been Waiting For You? (by Silence Is Sexy). Free Music Archive.
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La seule zone lumineuse de sa mémoire, c’était un séjour de deux ans à Londres, où Édouard avait eu l’intention d’apprendre les bottes secrètes de James Bond. Hélas, les collègues anglais ne prêtèrent aucune attention à l’homme en imperméable crotté venu d’un pays obscur (ils ne cessaient de confondre Malte et la Moldavie). En deux années, Édouard n’apprit qu’une seule chose : comment bien faire infuser le thé.
Quand le Premier ministre de Turquie est venu en visite ici, la police locale a décidé de virer les Kurdes de Chisinau. Eh ben, on nous a tous envoyés en province pendant deux semaines. Impossible de leur faire entendre qu’un Kurde et un Syrien, ou un Soudanais, par exemple, appartiennent à des pays et des peuples différents.
- Tu es un génie! hurla Séraphim en étreignant un Vassia légèrement embarrassé. Un génie génialissime!
- En effet; approuva Vassili. Et c'est dommage qu'on n'ait pas pensé plus tôt. Ma femme aurait pas eu à se pendre.
-Braves gens, clochards ! j'ai à vous annonce rune nouvelle qui va chambouler vos cœurs et toute votre vie:
des voix s'élevèrent de la foule:
-Ils suppriment les bouteilles en verre ?
-ils vont enfin réparer la conduite de chauffage à l'aéroport ?
-Les chiens ont la tuberculose et on ne peut plus les manger ?
… par un beau matin du caniculaire été 2004, le soleil se leva sur la carrière de Casauti, d’où l’on extrait un calcaire destiné à l’érection des plus belles propriétés de Moldavie, en raison de sa blancheur aussi éclatante que les nuages d’été dans le ciel du pays. Tordant impitoyablement ses rayons devenus flous sous le regard des hommes décharnés, l’astre solaire vint prendre place au-dessus des surveillants et jeter sur la carrière le même regard indifférent. « Elle n’est pas du même blanc que les nuages, constata Plechka, l’adjoint du commandant du camp. On dirait plutôt un os saillant d’une fracture ouverte, qui se couvrirait peu à peu de pointillés noirs. Comme des poux sur du longe », songea encore Plechka qui cumulait aussi la charge de médecin de prison. Mais il ne s’agissait pas de poux : c’étaient les prisonniers de la colonie Pruncul, située dans le voisinage de la carrière, qui s’acheminaient au turbin.
Comprenez, malheureux, que nous cherchons ailleurs quelque chose que nous pourrions avoir ici. Ici même, en Moldavie ! Nous pouvons nettoyer nous-mêmes nos maisons, refaire nous-mêmes nos routes. Nous pouvons tailler nos arbustes et cultiver nos champs. Nous pouvons cesser de médire, de nous saouler, de fainéanter. [...] Arrêter de truander ! Commencer à vivre honnêtement ! L'Italie, la véritable Italie se trouve en nous-mêmes ! (p.217/218)
Barack Obama me sourit affectueusement et me tapote l’épaule en s’inclinant un peu, de toute sa hauteur de star de la NBA.
– Souviens-toi de cette journée, jeune homme, me conseille-t-il.
– Je n’y manquerai pas, l’assuré-je avec d’autant plus de conviction que j’en ai effectivement l’intention.
– Et souviens-t’en avec précision.
Comme tous les hommes politiques, il est si préoccupé de lui-même qu’il ne tient aucun compte de son interlocuteur.
– Elle fera date dans l’histoire contemporaine, prédit-il. La liberté et la prospérité généralisée vont aujourd’hui franchir cette porte et faire leur entrée dans le monde, continue-t-il en désignant un battant en chêne massif. Et tu auras le grand bonheur de raconter à tes descendants que c’est à toi, oui, à toi, qu’est revenu l’honneur d’ouvrir cette porte pour le monde, poursuit Obama. Pas vrai ?
Il n’oublie pas d’enfoncer les vérités qu’il vient de m’assener par un petit tour de passe-passe tiré du bouquin de Carnegie.
-Petit père, intervint l’une des prisonnières, aie pitié des enfants, ça fait presque deux jours qu’on dort par terre, mais on est en novembre, tout de même…
-Tais-toi, chienne, répliqua le policier. Tes enfants doivent avoir honte de leur mère, ajouta-t-il. Au lieu de te conduire comme toutes les femmes moldaves et devenir une Gastarbeiter normale, tu restes à sucer ton pouce avec eux, saleté. Si tu étais allée faire la catin en Italie, comme toutes les femmes convenables, tu aurais envoyé de l’argent à tes enfants, et ils auraient pu payer l’impôt, pontifia-t-il. Ainsi agissent toutes les personnes normales, répéta-t-il. Tiens, ma femme, par exemple, c’est une femme convenable, elle travaille à Amsterdam, fanfaronna-t-il. Elle engrange des devises au profit de sa famille et de la Moldavie, elle se forme à la pensée européenne, ajouta-t-il. Tandis que toi…
Mais il fut bientôt envahi d'un sentiment d'allégresse provoqué par la sensation inoubliable de voler, avant de se désoler parce qu'il volait en fait à la rencontre de sa mort et qu'au-delà du trait qui la séparait de la vie, rien de mémorable ne vous attendait. En vieux Bolchévique, Koval le savait bien. (p.101)
Seraphim se faisait l'impression d'être un ver à pomme qui a enfin trouvé son fruit. (p.17)