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Critiques de W. Maxwell Prince (18)
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Ice Cream Man, tome 1

Club N°52 : Comics non sélectionné

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4 histoires d'horreur, noir sur le fond mais coloré sur la forme, qui semblent indépendantes les unes des autres avec le personnage du Ice Cream Man en "guest".



La fin nous laisse sur un cliffhanger intriguant.



Mörx

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4 récits horrifiques ayant pour fil conducteur le marchand de glace dans une ville américaine.



Les histoires sont inégales mais elles distillent une ambiance malaisante de bon aloi pour ce type d'album.



Gilles

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Un peu confus je n'ai pas accroché.



Barbara

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Ice Cream Man, tome 7

Acceptation & Exploration

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Ce tome fait suite à Ice Cream Man, tome 6 : Just Desserts (épisodes 21 à 24) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant, mais ce serait dommage de s'en priver. Il regroupe les épisodes 25 à 28, initialement parus en 2021, écrits par W. Maxwell Prince, dessinés et encrés par Martín Morazzo, avec une mise en couleurs réalisée par Chris O'Halloran. Il comprend également les 4 couvertures originales de Morazzo, ainsi que les couvertures variantes réalisées par Zoe Thorogood, Yuko Shimizu, Martin Simmonds Morazzo, Alex Eckman-Lawn (*2), Audrey Benjaminson. Chaque épisode constitue une histoire complète. Il y a une histoire courte de six pages supplémentaire à la fin de l'épisode 25.



À bord d'un gros avion de ligne, les deux pilotes papotent tranquillement, évoquant le décès de Jerry Donaldson, un de leurs collègues. Joe, le pilote, demande à Ned le copilote comment arrêter cette alarme qui n'arrête pas de sonner : un écran rouge, avec une tête de mort, et le message Défaillance catastrophique. Ned répond qu'il aurait dû faire plus attention pendant la formation car il n'en a aucune idée. Joe estime que ça finira bien par s'éteindre tout seul. Vu de dehors, il est possible de constater qu'un des réacteurs est en feu. Harold est un analyste de données et il a compris que l'avion va s'écraser. Il court dans l'allée centrale en réclamant un parachute. Les autres passagers ne semblent pas inquiets. Une femme lui confirme qu'ils descendent et lui propose de trinquer au champagne avec elle.



C'est toujours un plaisir anticipé que de retrouver quatre nouveaux épisodes de cette anthologie si particulière, réalisée par une seule et même équipe de créateurs. Le lecteur se demande sur quel genre d'histoire il va tomber. Il sait qu'il va s'agir d'une intrigue bouclée en un seul épisode, et qu'il y aura une forme d'horreur, de nature différente à chaque fois. La couverture du présent tome provoque une réaction immédiate chez le lecteur : un avion qui va s'écraser, avec en sous-entendu les attentats du onze septembre 2001. En fait, l'avion s'écrase dans une zone sans population. Le déroulement est très bizarre d'entrée de jeu : un passager qui panique pleinement conscient de l'accident en cours, et les autres qui prennent plus ou moins, ou pas du tout en compte cette catastrophe imminente. Il faut ajouter trois autres scènes très courtes dans lesquelles un individu a une crise cardiaque, une femme risque d'accoucher en plein désert sans aucune aide, deux jeunes adultes sont en train de se piquer dans un pavillon minable.



Le pauvre Harold court d'un passager à l'autre en demandant un parachute, en constatant leur calme. Il y a même une dame qui continue sa broderie, mais pas comme si de rien n'était. Arrivé à ce tome-ci, le lecteur s'est déjà acclimaté aux particularités des dessins : des détourages avec un trait fin et précis, des décors dessinés avec une précision froide, des personnages avec un visage marqué par une expression un peu bizarre, soit des yeux un peu grands, soit des dents apparentes dans une bouche entrouverte. Cette petite touche d'étrangeté induit un décalage qui légitime l'étonnement de Harold allant d'un passager à l'autre. Le lecteur ressent une fascination morbide pour cette catastrophe en train de se produire, sans qu'aucun personnage n'y puisse rien changer. Cette mort imminente met sur le devant de la scène la différence entre résignation et acceptation, mais aussi la réalité de l'occupation du moment des uns et des autres, et pas seulement sa futilité. Qui sommes-nous pour remettre en question les catastrophes ?



Il faut tourner le recueil de quatre-vingt-dix degrés pour la deuxième histoire. Michael Arvek se tient au sommet de l'arbre généalogique de sa famille et il salue le lecteur. Il a décidé d'entreprendre de descendre le long du tronc de cet arbre, physiquement, littéralement. Il veut ainsi découvrir pour quelle raison il est comme il est. Il se sent constamment endolori, avec une anxiété hors de contrôle. Il est souvent pris d'accès de consommation de substances, avec une préférence pour celles opiacées. Il se sent souvent en proie à une profonde solitude qui le consume, qu'il soit seul ou dans une foule. Du coup, il éprouve de grandes difficultés à se conduire comme un être humain normal. Il continue à descendre le long du tronc.



Les auteurs continuent de provoquer à leur manière : ici, en contraignant le lecteur à tourner son recueil pour pouvoir le lire, une manipulation fortement déconseillée à tout auteur, parce que ça brise une habitude et une règle implicite de lecture. Le lecteur se dit que le scénariste en voulait personnellement à l'artiste pour lui infliger de dessiner neuf doubles pages au cours desquelles le personnage descend le long d'un tronc d'arbre, de branche en branche. Pour autant, Morazzo s'en sort bien parvenant à maintenir un intérêt visuel à chacun de ces dessins en double page, montrant Michael Arvek descendre le long de son arbre généalogique. Prince file également la métaphore de rechercher les causes d'une situation, en l'occurrence le comportement de dépendance aux substances de Michael. Le lecteur peut ainsi voir comment ce genre de comportement était présent dans les générations précédentes, comment il s'est transmis de manière explicite ou implicite. Le questionnement sur une forme de prédestination comportementale en découle tout naturellement, une autre forme d'horreur.



Merry est en train de remercier son compagnon Earl pour la soirée qu'ils viennent de passer : un spectacle à Broadway, un diner dans un restaurant de gourmets, et une glace pour le dessert. Son compagnon est d'ailleurs en train d'en savourer une qui a tendance à couler. Soudainement, il se rend compte qu'il a du mal à articuler les mots, et il tombe à quatre pattes sur le trottoir, puis allongé sur le dos et il perd connaissance. Trois cafards s'approchent de la glace qui fond sur le revêtement, et puis s'en éloignent la trouvant trop sucrée. Deux d'entre eux s'adressent à l'autre en l'appelant Greg. Les trois cafards vont se rentrer dans un carton à côté des poubelles, pendant que Earl, toujours inconscient, est emmené sur une civière dans une ambulance.



Le lecteur repère immédiatement le clin d'œil dans le titre : Morphométastase, ainsi que la référence visuelle à La métamorphose (1915), de Frantz Kafka (1883-1924). Le scénariste en propose une variation : c'est un cafard doté d'un embryon de conscience qui se transforme progressivement en homme. La narration visuelle est plus que jamais incroyable : l'artiste parvient à donner à voir cette métamorphose, à faire exister cette créature au milieu des êtres humains, comme si c'était tout naturel, comme si ça allait évidemment de soi. À nouveau, sa façon d'introduire un air de potentiel déséquilibre mental fonctionne à merveille pour impliquer la différence de cet être par rapport aux humains normaux qu'il côtoie. Le lecteur est happé par le caractère fantastique du récit qui lui fait voir la vie de cet homme avec un point de vue qui la rend très différente : un regard extérieur sur la condition humaine. Ce n'est pas un malaise misérabiliste, mais une forme d'étonnement devant la vie quotidienne. La chute n'en est que plus cruelle.



Après une page de dictionnaire contenant des mots commençant par la lettre E, un groupe de trois individus gravissent une montagne en randonnée. Sam sert de guide à Brian Gartner, un étymologiste. Ils arrivent devant Gatu, un dragoman, c’est-à-dire un interprète. Il est aveugle et ne parle que le dialecte de la région, Sam traduisant ses propos à Gartner, un occidental. Ensemble, ils reprennent leur marche pour se rendre au sommet du mont qui se dresse devant eux.



Après ces trois récits au concept original et fort, le lecteur reprend plus facilement pied avec une quête : trouver un sage qui pourra murmurer le tout premier mot créé par un être humain, un mot si pur dans son sens qu'il transforme celui qui en a la connaissance. Le scénariste s'amuse bien en casant quelques définitions choisies au gré des remarques des compagnons de voyage de l'étymologiste, mettant en application le principe de revenir à la racine du mot, de revenir à son sens premier et fort. L'artiste passe tranquillement dans un mode descriptif avec un niveau de détails suffisant pour éviter que les cases montrant le trio en train de marcher ou de crapahuter ne soient génériques. Gartner finit par obtenir ce qu'il est venu chercher, d'une certaine manière, et pourtant la satisfaction n'est pas au rendez-vous. Le lecteur ne peut pourtant pas s'empêcher de sourire en voyant mentionné le nom de Riccardus, ce qui le renvoie à l'histoire courte en fin d'épisode 25.



Une anthologie toujours aussi extraordinaire : le scénariste développe une idée nouvelle pour chaque épisode, avec une inventivité bien cadrée, et un sens de l'horreur viscérale. Le dessinateur se révèle être capable de tout rendre visuellement intéressant, cohérent, inconsciemment dérangeant. Le lecteur est fasciné du début à la fin, ressentant un vague malaise qui se confirme à chaque chute. Du grand art.
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Haha : Sad clown stories

Il n'y a pas de quoi rire.

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Ce tome constitue une anthologie avec un fil directeur très discret. Il regroupe les 6 épisodes initialement parus en 2021, tous écrits par W. Maxwell Prince. L'épisode 1 a été dessiné et encré par Vanesa Del Rey, le 2 par Zoe Thorogood, le 3 par Roger Langridge, le 4 par Patrick Horvath, le 5 par Gabriel Hernández Walta, et le 6 par Martín Morazzo. La mise en couleur a été réalisée par Chris O'Halloran pour les épisodes 1, 2 et 6, par Langridge pour le 3, Horvath pour le 4, et par Walta pour le 5. Chaque artiste a réalisé la couverture de son épisode. Le recueil comprend également les couvertures alternatives réalisées par Nimit Malavia, Martin Simmonds, Paul Rentler, Mike Shea, Sam Wolfe Connelly, Martín Morazzo, Brian Level.



Bartelby rejette la prémisse. Dans une banlieue dortoir, Bartelby arrive dans le salon avec son costume de clown, car il part travailler ensuite. Son épouse Brenda le regarde avec un air navré, estimant qu'il n'a pas à être grimé avant d'être au boulot, pendant que les deux enfants continuent de jouer à un jeu de société. Il se rend au parc d'attraction Funville et passe voir Donny, le patron. Celui-ci lui indique que la fermeture du parc est inéluctable e très proche et il lui remet son dernier chèque, qu'il lui conseille de planquer dans sa chaussette. Il sort et va d'ambuler une dernière fois dans les allées du parc entre les stands et est interpellé par Phil, un autre clown.



Une anthologie de 6 histoires de clown triste, toutes écrites par le même scénariste avec un artiste différent à chaque fois. C'est parti. Ça commence mal pour Bartelby et ça continue mal : il a vraiment toutes les raisons du monde d'être triste. Il se fait vider son portefeuille par son collègue de travail. Il se fait braquer à la banque quand il va déposer son dernier chèque. Les dessins sont dans un registre descriptif et réaliste, avec des traits griffés pour les contours. Cela apporte parfois une sensation d'imprécision comme si le regard n'a pas eu le temps de tout bien regarder. Ça ajoute également à l'âpreté des environnements représentés, et à la dureté ou au fatalisme des personnages. S'il connaît déjà cette artiste, le lecteur la retrouve avec plaisir pour son sens du dosage entre ce qu'elle représente, et ce qu'elle évoque par des traits moins précis. Il apprécie également la variété de ses découpages de planches, en fonction de la nature de la séquence : nombre variable de cases par page, case de la largeur de la page, ou de la hauteur de la page. Il reste sous le coup de ces deux pages en vis-à-vis dans lesquelles il suit la balle traverser le crâne et le cerveau du clown. Le scénariste conte une farce macabre, avec un dénouement qui met en scène toute la différence en subir et accepter, entre se lamenter sur le sort du monde et apprécier ce que l'on a.



Rudolph en fugue vers Funville. Dans un bar de bord de route, une femme au nom de scène de Fiona est en train de se produire sur la scène pour un spectacle burlesque : elle est en collant et bustier, et elle montre ses ongles d'un mètre de long. Elle finit son numéro et retourne dans les loges où Rudy est en train de se préparer avec un visage très fermé, avant son numéro sous le nom de scène de Rudolph. Elle repense à son enfance, en particulier à une nuit. Son père était en bas dans le salon avec un ami en train de discuter de sa mère, de sa maladie mentale, du fait qu'elle avait arrêté ses médicaments et qu'elle se promenait habillée en clown. Le soir, Rudy a fait son petit sac à dos, et sort de sa chambre en descendant par les draps qu'elle a noués pour faire un cordage. Elle rejoint sa mère à quelques maisons de là. À la demande de sa mère, elle met son nez rouge, et elles partent en voiture pour rallier Funville.



Le ton de la narration graphique change, avec des dessins aux contours plus fins et très propres. Les environnements en deviennent plus précis, tout en restant détaillés. Il est difficile de résister au regard d'enfant de Rudy avec sa franchise et ses émotions sans filtre. C'est encore plus manifeste en les comparant aux expressions de visage de sa mère, plus complexes, plus marquées par les difficultés de la vie, et une forme chronique d'exaltation due à son affliction psychologique. Rien qu'en regardant les cases, le lecteur les voit avaler des kilomètres, perçoit les sacrifices que la mère doit faire pour pouvoir continuer à progresser vers sa destination, constate que sa fille ressent sa détresse et sa souffrance. Ainsi donc, elles veulent rallier Funville, le parc d'attractions foraines où travaillait Bartelby dans la première histoire. Là aussi, l'histoire se focalise sur un clown triste, en butte aux épreuves d'une vie qui ne lui est pas favorable, la mère payant de sa personne. Cependant la nature du récit n'est pas la même que pour le premier. Il s'agit d'une femme clown, mais surtout de sa relation avec sa fille, et également de la manière dont cette dernière perçoit les événements, de l'empreinte qu'ils laissent durablement sur elle, une belle histoire psychologique.



Remi dit… Remi est un mime de rue dans la plus pure tradition : visage grimé en blanc, béret rouge sur la tête, sweatshirt moulant blanc horizontalement rayé de rouge, collant noir tout aussi moulant. Il est en train de faire un de ses numéros devant les passants qui se sont arrêtés. Une fois terminé, il prend son béret et le tend pour récupérer quelques pièces : tous les passant lui tournent le dos et s'en vont sans rien donner. Il ne lui reste plus qu'à rentrer chez lui. Dans le couloir, il ne parvient pas à éviter le propriétaire qui lui réclame le loyer : Remi ne peut que montrer ses pochez vides. Il allume la télévision : un présentateur en costume cravate annonce que les riches continuent de s'enrichir. Remi coupe le son et regarde les images.



Pour une histoire de mime, les auteurs la racontent sans paroles, ni pensées, ni mots, à l'exception de quelques-uns sur un écran de télévision. Les dessins de Langidge sont tout aussi descriptifs et précis que ceux de Zoe Thorogood, avec plus de rondeur, plus de sourire, avec une apparence plus enfantine. C'est un donc un épisode qui se lit très rapidement, avec un autre clown qui refuse lui aussi de se plier à ce que lui dicte la société, aux décisions qui semblent s'imposer à lui. Le récit est à nouveau tragique d'une certaine manière, et plein d'espoir de l'autre. L'empathie fonctionne d'autant mieux que le lecteur sent bien que la qualité de la narration de cette histoire sans parole l'incite tout naturellement à formuler dans son esprit les motivations et les pensées de Remi, sur la base de ses états d'esprit manifestes sur son visage si expressif.



Gustav dans le monde des objets flottants. Un clown doué de sagesse a dit que tout flotte. Et c'est vrai, pour chaque chose que vous pouvez imaginer, pour tout. Un ballon gonflable rouge flotte dans les airs. Gustav, un clown, éprouve la sensation de flotter dans une sorte de néant rougeoyant, avec de nombreux objets hétéroclites, aux aussi flottants, et même un chien et un chat. Dans son jardin, après la fin de la réception d'anniversaire de son fils Chris, la mère se plaint de l'absence du clown pour lequel elle avait payé deux cents dollars. Son fils d'une dizaine d'années évoque le ballon rouge qui est devenu de plus en plus petit jusqu'à disparaître.



Les traits de contour redeviennent plus fin, et un peu plus lâches que ceux pour Rudolph, apportant une sensation de monde pouvant être fragile. L'artiste se montre précis et méticuleux pour les scènes de la vie normale, plus onirique pour celles avec Gustav dans le monde flottant, le contraste fonctionnant à plein. Le lecteur est touché par ce jeune garçon qui après sa fête d'anniversaire doit se rendre chez son grand père, n'ayant pas très envie de devoir manger le gâteau un peu écœurant qu'il aura acheté, ni de devoir écouter sa conversation un peu décousue. Le scénariste surprend à nouveau son lecteur avec une histoire très différente des précédentes, un hommage très touchant au film d'animation Up (2009, Là-haut), et un clown bien parti.



Pound Foolish mijote un plat. Pound Foolish, une vieille clown à la retraite, fait ses courses à la supérette, en râlant sur le fait que les légumes soient prédécoupés, et sur le prix, un vol digne d'un bandit de grand chemin. Puis elle rentre chez elle pour préparer un bon petit plat à base de légumes dont du chou-fleur. Dans le même temps, un petit club de quatre enfants décident que le temps est venu de mériter leu nom et d'aller voler quelque chose dans des endroits bizarres. Billy doit aller dérober un objet dans la maison de la vieille clown.



L'histoire est plus classique, avec cette vieille femme désagréable et ronchon, ce petit garçon apeuré par cette adulte inquiétante, et cette épreuve de devoir manger du chou-fleur. Les dessins sont extraordinaires, transcrivant parfaitement cette petite ville, la maison pleine de souvenirs de Pound Foolish, son apparence bizarre, et en même temps elle se comporte réellement comme une femme de son âge.



Happy Hank, le clown vraiment très heureux. Hank le joyeux clown se fait sauter le caisson en se tirant une balle dans la tempe droite. Il s'écroule en tombant en arrière. Toute cette journée a été abominable. Ça a commencé avec son patron qui lui apprend qu'il a filé l'animation de l'anniversaire de Chris à Gustav, un autre clown. Puis il lui a conseillé de prendre des antidépresseurs comme tout le monde. Dans les vestiaires, un autre clown lui a conseillé de prendre un boulot à côté, comme de ramasser du cuivre à la décharge. Un autre lui a donné un revolver chargé au cas où.



Pour cette dernière histoire, le lecteur retrouve le tandem de créateurs de l'excellente série Ice Cream Man . Et d'ailleurs le pauvre Hank fait une embardée dans la forêt au beau milieu de la nuit du fait de la présence d'une camionnette de vendeur de glace en travers de la route. La vie réserve bien des épreuves au pauvre clown au point qu'il a l'impression d'avoir un perroquet dans le ventre. Les dessins au trait de contour très fin introduisent une forme d'étrangeté inquiétante et le scénario propose une intrigue encore différente des précédentes.



À nouveau, W. Maxwell prouve qu'il est un véritable auteur, maîtrisant à la perfection l'art de la nouvelle, celui moins commun de l'anthologie thématique, et celui du choix de ses collaborateurs. Évidemment s'il souffre de coulrophobie, le lecteur éprouvera des difficultés à prendre fait et cause pour les personnages principaux. Il risque toutefois d'être encore plus terrifié par les épreuves qu'ils traversent et les souffrances qu'ils endurent. Le scénariste ne se repose pas sur la dynamique basique de l'opposition entre devoir faire rire et la souffrance de l'existence chez le clown. D'ailleurs, l'histoire n'en met que deux en scène en train de faire leur numéro : Rudy et Remi. Le lecteur n'éprouve aucune difficulté à se projeter dans chacun de ces 6 individus. Il finit par s'identifier à eux : les épreuves de la vie, l'obligation de devoir faire bonne figure, jusqu'au moment où ce n'est peut-être plus possible.
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Ice Cream Man, tome 2 : Strange Neapolitan

Ce tome fait suite à Ice Cream Man Volume 1: Rainbow Sprinkles (épisodes 1 à 4) qu'il vaut mieux avoir lu avant, car il y a un fil conducteur sous-jacent. Il comprend les épisodes 5 à 8, initialement parus en 2018, écrits par W. Maxwell Prince, dessinés et encrés par Martín Morazzo, avec une mise en couleurs réalisée par Chris O'Halloran. Il contient également les couvertures originales de Morazzo et les couvertures variantes réalisées par Frazer Irving, Christian Ward, Fábio Moon, Vanesa R. Del Rey.



Épisode 5 - Un homme en costume cravate se tient en haut d'un gratte-ciel dans une ville américaine, sur le rebord du toit. Il se jette dans le vide. Il a 100 étages à descendre en chute libre, avant de s'écraser sur le trottoir. Il se souvient de ce que se dit l'homme au sourire avant de se transformer en buse. À l'intérieur du bâtiment, dans la salle de réunion du quatre-vingt-neuvième étage, Vicky (ou est-ce Vanessa, ou peut-être Valerie) enjoint à sa cheffe de descendre avec elle. L'autre refuse, et une buse lui arrache l'œil droit de son orbite. Veronica sort en courant et commence à descendre les étages par l'escalier. Épisode 6 - Dans une banlieue pavillonnaire, un homme se promène à pied. Il arrive devant la camionnette du marchand de glace et en demande une à 3 boules : chocolat, vanille, fraise. Il repart en léchant sa glace. Il arrive devant un croisement où 3 choix s'offre à lui. Dans le premier, il tourne à gauche, dans le second il continue tout droit, dans le troisième il tourne à droite. Le lecteur suit ce qui arrive dans chacune de ces 3 possibilités.



Épisode 7 - Lucy (9 ans) est en train de faire de la balançoire dans le jardin, en mangeant un cornet de glace. Ses parents l'observent depuis le salon. Sa mère s'inquiète pour elle car sa meilleure amie Kayla vient de décéder d'un cancer. Le père s'énerve en disant qu'il faut que sa fille arrête de se conduire comme si le fantôme de Kayla étant tout le temps à ses côtés. Le lendemain, Lucy participe à sa séance de psychothérapie, et répond aux questions de la psy, lui indiquant qu'effectivement Kayla se tient à ses côtés et lui répond. Épisode 8 - Dans une petite ville de banlieue, Jenny conduit l'ambulance, avec Mike son coéquipier sur le siège passager. Dans la rue où ils circulent, une maison est en train de brûler, une voiture a percuté un arbre sur une pelouse, un groupe d'individus se promènent avec des torches, un autre est en train de traîner un cadavre ensanglanté par les cheveux. Un peu plus loin, un homme est en passe d'être dévoré par des vers de terre longs de plusieurs dizaines de centimètres. Dans l'ambulance, Mike est en train de s'envoyer plusieurs cachetons d'un médicament pour la leucémie pour voir s'ils ont un effet psychotrope. Brenda lui raconte comment elle et sa sœur avaient recueilli une petite souris à la patte brisée, quand elles étaient jeunes.



Le premier tome avait laissé un goût étrange, entre horreur et histoire qui ne démarre pas. Ce deuxième tome vient clarifier la structure de la série : une anthologie d'histoires en 1 épisode, avec un très discret fil rouge : les apparitions d'Ice Cream Man, et celles encore plus sporadiques de Caleb, l'homme au stetson. Le premier épisode du présent tome prend le lecteur au dépourvu, avec cet homme qui se suicide en sautant du centième étage, et cette femme qui rencontre une horreur après l'autre en descendant les étages. L'épisode suivant baigne également dans l'horreur, avec les 3 chemins de vie concomitant de ce jeune homme. Ça ne va pas en s'arrangeant avec la petite fille hantée par sa copine morte, et avec les 2 ambulanciers irresponsables. Cette série est bien une anthologie d'horreur, avec des éléments graphiques comme une énucléation graphique, un individu se vidant de son sang avec un couteau fiché dans la cuisse, un individu dépecé vivant, ou encore un type qui se plante une fourchette dans la main.



Dès le premier épisode, le lecteur est également frappé par la structure des récits : une alternance entre un suicidé et une femme qui descend les escaliers, 3 récits en parallèle, et même la folle cavalcade des 2 ambulanciers. Seul l'épisode 7 suit un déroulement plus classique. Dans ces formes, le lecteur est bien sûr impressionné par l'épisode 6 dans lequel il suit 3 chemins de vie en parallèle sur chaque page d'un même individu, en fonction du trottoir qu'il a emprunté pour manger sa glace. La mise en parallèle provoque un effet ludique irrépressible chez le lecteur qui se met à comparer les 3 destins, à établir des rapprochements de nature plutôt sinistre. Le premier épisode produit aussi un effet ludique, le lecteur se livrant également au jeu de comparer les 2 descentes, même si les préoccupations du suicidé et de Veronica sont de nature très différente. Du coup, il adopte la même approche de lecture pour l'épisode 7 en s'interrogeant sur la réalité du fantôme, sur ce qu'il va advenir de cette petite fille, sur l'équilibre psychique de son père. Dans le dernier épisode, il apprécie la suite de situations macabres et ne fait pas forcément attention au mystère installé dans les premières pages.



Martin Morazzo continue de dessiner de la même manière, dans une approche réaliste et détaillée, en utilisant un trait de contour très fin, mais pas cassant. Avec la première page, le lecteur se dit que l'artiste utilise peut-être un logiciel de modélisation pour la vue du dessus des immeubles, puis pour la façade de verre au fur et à mesure de la chute de l'homme, tellement les traits sont droits et propres sur eux. Il en va de même pour la netteté de la cage d'escalier en vue de dessus dans une perspective vertigineuse. Mais cette impression disparaît dans les épisodes suivants, les décors étant moins géométriques. Il subsiste parfois une impression d'éléments factices, trop propres sur eux. D'un autre côté, le niveau élevé de détails et la méticulosité des dessins donnent corps à des environnements substantiels : les façades des pavillons de la banlieue dortoir, l'ameublement du bureau de la psychologue de Lucy, l'aménagement du diner où Jenny et Mike vont manger un burger. Du coup, Morazzo donne à voir une réalité concrète, des endroits où le lecteur peut se projeter même s'il peut les trouver manquant de texture de matériau, de marque du temps qui passe.



Comme dans le premier tome, il faut un petit temps d'adaptation au lecteur pour les visages des personnages. En effet Morazzo aime bien leur faire entrouvrir la bouche pour montrer leurs dents. Les expressions des visages peuvent également sembler parfois un peu décalée par rapport à l'émotion qu'elles expriment. Il faut un peu de temps pour comprendre que la majorité des personnages semblent habités par une sourde inquiétude mêlée d'une douleur sous-jacente, avec un brin de nostalgie. Une fois repéré cet état d'esprit généralisé, le lecteur peut passer outre et constater que les expressions de visage sont en fait variées et nuancées, tout en étant marquées par cette inquiétude. Bien sûr, l'épisode 6 constitue une preuve éclatante du talent de narrateur visuel de l'artiste, car il est dépourvu de mot et il se lit sans aucune difficulté, avec un impact émotionnel bien réel. À la fin du présent tome, le lecteur peut lire le script du scénariste pour une demi-douzaine de pages de l'épisode 6, et voir comment le dessinateur y a apporté sa vision et son savoir-faire pour y insuffler de la vie et de l'émotion. Tout au long de ces 4 épisodes, il sait faire apparaître à la surface la vie intérieure des personnages, en ce qu'elle a d'unique et d'intense. Le lecteur ressent leur implication émotionnelle et se retrouve incapable de prendre ses distances. Il se trouve donc impliqué dans leur situation. Il ne peut pas non plus se protéger contre les situations horrifiques qui surviennent, du fait de leur caractère inattendu.



Avec ces quatre épisodes, W. Maxwell Prince sait faire remonter à la surface l'absurdité de la vie, l'angoisse de la différence et de l'anormalité. Le suicide et la course pour sortir du bâtiment mettent en évidence l'absence de sens de la vie et sa valeur relative. Les 3 chemins de vie indiquent que cet individu ne pouvait pas échapper à la souffrance. Le scénariste confronte ses personnages à des horreurs absurdes et dramatiques survenant sans raison, s'acharnant parfois sur un individu. Pour autant, ces épisodes ne flanquent pas le cafard, car il sait faire preuve d'humour noir avec un second degré, et il ne fait finalement que montrer que le comportement des individus n'a pas grande incidence sur ce qui leur arrive. Malgré l'horreur bien réelle du vide existentiel, le lecteur se retrouve étrangement rasséréné de voir qu'il n'est pas le seul à y être confronté, que d'autres que lui s'y heurtent sans que leurs tentatives d'effort n'y changent rien. Il finit par se produire un effet libérateur de voir que le suicide n'a pas produit d'effet significatif (sauf sur le suicidé bien sûr), que quel que soit le choix, le chemin de vie reste de même nature, que les efforts des parents n'influent pas sur le sort de l'enfant, ou que le comportement à risque des ambulanciers ne prête pas à conséquence (enfin, pour ce dernier épisode, si). Le scénariste a l'air de suggérer au lecteur d'accepter le caractère arbitraire des événements et de ne pas s'en sentir responsable.



À la fin du premier tome, le lecteur s'était dit qu'il voulait en avoir le cœur net et qu'il reviendrait pour le suivant. Son jugement sur cette anthologie de récit évolue. Il apprécie plus les dessins précis et détaillés de Martin Morazzo et les expressions bizarres de ses personnages. Il se confronte à l'horreur des situations imaginées par W. Maxwell Prince, se réjouissant que ce soit les personnages qui y sont soumis et pas lui, et éprouvant un effet cathartique inattendu à voir de telles situations absurdes.
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King of Nowhere

Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il regroupe les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2020, écrits par W. Maxwell Prince, dessinés et encrés par Tyler Jenkins, et mis en couleurs Hilary Jenkins. Les couvertures principales ont été réalisées par Martín Morazzo, les couvertures alternatives par Jenkins. Il contient également les couvertures variantes réalisées par Christian Ward, David Rubín, Gabriel Hernández Walta, Lorenzo de Felici.



Quelque part sur une route de campagne à proximité d'une forêt, Dennis Saunders se réveille couché par terre, adossé à un tronc d'arbre. Il se relève difficilement, tout en se demandant pour quelle raison il reprend encore une fois conscience en pleine nature, plutôt que dans son lit, ou dans celui d'un autre, avec des draps épais. Il longe le bord de la route, et une voiture arrive en sens inverse. Le conducteur arrête son véhicule : il s'agit d'un individu appelé John Doe, avec une tête de cervidé. Le conducteur lui dit que la ville est assez accueillante, et il redémarre et continue sa route. Dennis pense que le poison dans sa tête fait son œuvre. À pied, il parvient enfin au panneau d'entrée de la ville de Nowhere indiquant une population de 999 habitants. Il continue de marcher jusqu'à arriver au bar à l'intérieur duquel il pénètre. Les consommateurs présentent tous des mutations diverses et variées. Il va jusqu'au comptoir et demande un Canadian Club au barman, tout en lui faisant remarquer que sa tête est sens dessus-dessous, ce qui est le cas, avec le front en bas et la bouche en haut. Le barman lui répond que si ça se trouve il est le seul à avoir un visage dans le bon sens. Dennis prend son verre et va s'assoir à une table libre. À la table voisine se trouve un individu à la tête de poisson qui se présente comme étant Jed. Denis lui indique son prénom en ajoutant qu'il s'agit de son rêve. Jed lui demande s'il ne paierait pas un verre. Dennis accepte.



La conversation s'engage : Jed indique qu'une sale soirée l'attend car un type avec un paquet de bras va venir pour le dérouiller. Dennis le rassure : comme il s'agit de son rêve, il va bientôt se réveiller, vraisemblablement dans un endroit peu confortable, et toutes les personnes qui l'entourent dans ce bar vont disparaître. Jed est épaté par la certitude de Dennis, ce dernier lui rétorque qu'il se rend bien compte de quand il est en train d'halluciner. Un individu avec cinq bras passe la porte du bar et interpelle Jed. Ce dernier accueille Cullen, avec un air résigné, et accepte de sortir dans la rue avec lui, tout en sachant très bien ce qui l'attend dehors. En son for intérieur, Dennis pense à son mécanisme mental qui l'amène à prendre de mauvaises décisions dans des situations à risque, comme de coucher avec la femme de son dealer, ou d'intervenir pour aider un type à tête de saumon. Il sort dehors et demande à Cullen et ses potes de laisser Jed tranquille.



A priori, il s’agit d'une histoire alléchante, à la fois pour le scénariste auteur de l'anthologie très particulière Ice Cream Man avec Martín Morazzo, et pour l'artiste qui a travaillé avec Matt Kindt sur deux séries Grass Kings et Black Badge. Il s'attend donc à un récit bizarre à la narration visuelle un peu esquissée, idée préconçue renforcée par la couverture, avec ce banc au milieu de la route, le personnage dans les pieds dans l'eau, les contours un peu lâches et des couleurs psychédéliques en arrière-plan. Effectivement, il retrouve ou il découvre les caractéristiques des dessins et de Jenkins et la manière dont les couleurs viennent nourrir les surfaces délimitées. Le dessinateur donne l'impression d'utiliser un outil fin pour des traits plutôt secs et parfois très fins, un peu raides sans être cassants. Il ajoute des traits de même nature au sein des surfaces détourées pour intégrer une forme de texture, ou bien des reliefs, soulignant d'autres endroits avec des petits aplats de noir aux contours irréguliers. L'impression globale est celle de dessins réalisés sur le vif, avec un temps de pause permettant de bien saisir les formes et les détails, mais peaufiner les contours, sans les arrondir.



L'apport de la coloriste est remarquable, entre naturalisme et impressionnisme sans reproduire l'effet psychédélique de l'arrière-plan de la couverture. À l'intérieur elle utilise des aquarelles et de la gouache apportant des ombrages et du relief dans chaque surface, ainsi que de la consistance aux pages sans décors, ou avec des décors simplistes. Ainsi chaque planche présente une apparence dense, même si les informations visuelles encrées seraient un peu légères sans couleurs. Cette complémentarité et les caractéristiques des dessins apportent la nature à la fois onirique et concrète nécessitée par cette histoire très particulière. Le début du récit ne permet pas au lecteur d'avoir la certitude si les malformations des individus sont à prendre au premier degré, ou s'il s'agit d'une forme d'hallucination du personnage principal. Les dessins montrent ces mutations au premier degré : un homme avec une tête de daim, un autre avec la tête à l'envers, un saumon anthropomorphe, un gugusse à cinq bras, l'auxiliaire de police avec des cornes de gazelle sur la tête, un iguane géant, un homme avec un homoncule au niveau de l'épaule gauche, un couple formé par un saumon anthropomorphe et une femme oiseau, etc. Le lecteur peut très bien estimer que ces représentations sont littérales et il se demande alors quels événements ont pu mener à l'existence de telles créatures douées d'une raison humaine, se comportant comme les habitants normaux d'une ville rurale. Il peut aussi se dire qu'il s'agit d'une vision onirique et que tout se passe dans la tête de Dennis Saunders.



Alors même qu'il voit bien que l'artiste représente les constructions et les objets du quotidien de manière un peu désinvolte, le lecteur éprouve la sensation qu'ils sont quand même consistants et bien réels. Il y a bien sûr l'apport de la colorisation qui fait beaucoup pour les rendre palpables. Il y a également le fait que le dessinateur dispose d'une solide expérience qui lui permet de doser exactement ce qu'il doit représenter, et le degré de précision qu'il doit apporter pour que ça fasse assez réaliste. Ainsi le lecteur croit vraiment à ce qui est sur la page : le diner avec ses banquettes et le comptoir avec les étagères d'alcool derrière, la voiture du shérif avec ses tâches bleues et rouges, la route sinueuse dans une zone désertique à l'extérieur de la ville, la clairière dans la forêt où Jed et Dennis font une mauvaise rencontre, la quincaillerie, l'étrange centre scientifique secret avec tous ses écrans de surveillance, etc. Tyler Jenkins sait donner de la vie dans les mouvements de ses personnages qui, mise à part leur apparence, ont des morphologies très banales, et des gestes d'adulte.



Le lecteur commence donc cette histoire avec le présupposé que le personnage principal n'a pas forcément une interprétation très nette de la réalité, ce que laisse supposer la couverture. Il n'y a pas d'indication qu'il utilise des substances psychotropes, mais il est évoqué le poison qu'il a dans la tête. Le scénariste clarifie par la suite de quelle substance très banale, il s'agit. Du coup, il ne sait pas trop comment interpréter ces individus avec des caractéristiques animales plus ou moins marquées, et il se prête volontiers au jeu de relever les indices qui devraient lui permettre de lever le doute sur la nature de la réalité qu'il a sous les yeux. Le scénariste ne se contente pas de jouer sur la nature de la réalité, il introduit également un danger clair : un tueur dénommé Bob est sur la piste de Dennis Saunders, et il assassine froidement tous ceux qui lui ont adressé la parole, à commencer par John Doe. Il y a donc une dimension horrifique qui vient s'ajouter à la dimension onirique, et à l'interrogation de savoir ce qui se passe réellement, de découvrir la raison pour laquelle quelqu'un veut éliminer Dennis. Le lecteur en viendrait presque à oublier qu'il ne sait pas non plus pour quelle raison le personnage principal s'est réveillé dans un fossé.



Au fur et à mesure des 5 épisodes, W. Maxwell Prince fait en sorte que Dennis Saunders en apprenne progressivement plus sur la menace qui pèse sur Knowhere, sur le tueur à sa poursuite, sur Galvin Chow un ami qui lui veut du bien, et même sur les motivations du shérif flegmatique. Dans le même temps, des cartouches de texte brefs et concis viennent apporter ce qui pourrait être soit le flux de pensées de Dennis, soit les observations d'un narrateur omniscient, ce qui a pour effet de faire considérer son comportement sous un jour différent. À l'évidence, tout n'est pas net dans la petite ville de Knowhere, et ces mutations ne sont pas survenues toutes seules, mais aussi Dennis Saunders n'est pas complètement net dans sa tête. Le dernier épisode apporte des réponses claires et rationnelles à toute cette situation, avec un relent d'anticipation sur le thème de la peur des mutations, traitée avec une sensibilité des années 1950.



La couverture promet une aventure bizarre et peut-être teintée de psychédélisme. La lecture révèle une narration visuelle à la fois légère et consistante, à la fois factuelle et onirique, totalement adaptée au récit. L'intrigue fonctionne à la fois sur la base d'une course-poursuite (un tueur étant aux trousses du personnage principal), à la fois sur la base d'un mystère (ces mutations sont-elles bien réelles, ou uniquement dans l'esprit de Dennis ?). Le récit apporte une résolution claire et satisfaisante, explicitant le thème sous-jacent d'une forme d'addiction, mais avec une forme de naïveté quant aux mutations et à leur cause.
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Ice cream man, tome 4 : Tiny lives

Ce tome fait à suite à Ice Cream Man Volume 3: Hopscotch Melange (épisodes 9 à 12) qu'il vaut mieux avoir lu avant. Il contient les épisodes 13 à 16, initialement parus en 2019, écrits par W. Maxwell Prince, dessinés et encrés par Martín Morazzo, avec une mise en couleurs réalisée par Chris O'Halloran. Il comprend également les 4 couvertures originales de Morazzo, ainsi que les couvertures variantes réalisées par Wes Craig, Paul Rentler, Patrick Horwarth, Andrew Rae.



Épisode 13 - Dans une banlieue résidentielle, la camionnette de Ice Cream Man est garée devant un pavillon. À l'intérieur, Paul regarde une photographie dans un cadre : Michael et lui en amoureux à Paris. Michael est décédé il y a trois semaines d'un cancer au pancréas, diagnostiqué trop tard. Ses amis lui disent qu'il doit aller de l'avant, mais Paul ne peut pas envisager la vie sans Michael. Il sort tranquillement de son pavillon, et note qu'il y a une plaque d'égout soulevée, laissant entrevoir les premiers barreaux pour descendre, juste à côté de la camionnette du marchant de glace. Sous l'impulsion de la curiosité, il décide de descendre. Épisode 14 - Earl et sa femme Rita vivent dans un spacieux pavillon de banlieue. Ils ont décidé de faire construire une maison d'amis juste en face de chez eux pour recevoir plus souvent. Earl est en train de faire ses mots croisés, pendant que Rita est à la fenêtre. Elle observe les trois ouvriers et elle est persuadée qu'ils fument de l'herbe. En plus l'un d'entre eux travaille torse nu. Elle ne comprend pas que son époux ne leur dise rien. De son côté, Earl est sorti pour aller acheter un magazine de mots croisés. Chemin faisant il pense à des définitions, au fait que chaque définition est comme une énigme, à ce que ça enrichit son vocabulaire. Ce n'est pas le vendeur habituel à la caisse, et celui-ci a un drôle de sourire.



Épisode 15 - Lilian est internée dans une maison pour individus souffrant d'une maladie mentale. Elle est actuellement dans un fauteuil roulant, comme sa mère avant elle. Elle souffre d'une fissure dans la perception rationnelle, son esprit ayant tendance à focaliser son énergie mentale sur des objets et des idées, souvent des fleurs, et un manteau. En réponse à la doctoresse Sweet, elle indique qu'elle s'inquiète pour savoir qui va donner le bain à sa mère, et du fait qu'elle a pris un manteau de quelqu'un d'autre. Peu de temps auparavant, elle dînait au restaurant avec Mitch qui l'avait invitée. Elle lui avait indiqué clairement ce qu'elle pensait de la banalité de sa conversation et avait récupéré son manteau à l'accueil mais avait dû en accepter un qui n'était pas le sien, tendu par un employé à l'étrange sourire. Épisode 16 - Mitch s'occupe seul de Jennifer sa fille adolescente, son épouse étant décédée. Un jour qu'il fait le ménage dans sa chambre, il remarque son journal intime et le lit. Sa fille y parle d'une professeure qu'elle n'aime pas, d'une invitation à une soirée, et de son envie que Derek soit son premier. Elle a bien noté de passer au magasin pour acheter le nécessaire. Quand sa fille rentre, il ne dit rien de sa découverte, ni de ses plans pour la soirée, mais lui demande si elle a besoin qu'il lui parle des fleurs et des abeilles. Le soir, il se rend à son groupe de paroles, des pères monoparentaux. Quand vient son tour, il évoque ce qu'il a trouvé dans le journal de sa fille, pour recueillir des avis.



Accro depuis le premier tome, le lecteur replonge avec impatience dans cette anthologie à la forme sortant de l'ordinaire. Il s'agit bien d'histoires en 1 épisode, indépendantes les unes des autres, avec une fin en bonne et due forme à chaque fois. D'un autre côté, il s'agit aussi d'une série réalisée par la même équipe créatrice depuis le premier épisode, scénariste & dessinateur, avec une sorte de personnage récurrent, ou tout du moins dont une incarnation apparaît à chaque fois, à savoir ce marchand de glace, parfois appelé Rick. Dans ces 4 épisodes, sa présence se fait sentir soit directement (le buraliste, l'employé au vestiaire, un témoin dans une émission de télévision), soit indirectement (la simple présence de sa camionnette). Le lecteur peut y voir la manifestation de l'émotion négative qui va habiter le personnage principal de l'épisode, ou la volonté de l'auteur de donner un point de repère au lecteur pour bien établir qu'il s'agit d'une série. À chaque fois, il est facilement repérable grâce à son uniforme, à ses yeux verts, à son menton un peu pointu, ou à son sourire, soit l'un de ces éléments, soit tous réunis.



Comme à son habitude, Martín Morazzo participe à rendre la réalité étrange. D'un côté, ses traits de contour fins donnent la sensation de cases descriptives précises, collant à la réalité. Ainsi le lecteur peut regarder la rue avec les pavillons respectant l'urbanisme de ce type de zone, l'aménagement intérieur du pavillon de Paul, la cuisine et la chambre à coucher de Rita et Earl, la maison de repos de Lilian, le cabinet de sa psychologue, une salle de restaurant, la chambre de Jennifer, la cuisine de Mitch, etc. À chaque fois, le lecteur peut avoir l'impression que ces dessins ont été réalisés avec un logiciel de modélisation 3D, augmentant la sensation descriptive, la précision technique. Du coup, lorsqu'un élément surnaturel apparaît dans le récit, étant représenté de la même manière, le lecteur l'associe également à du concret, dessiné à partir du réel, que ce soient des masques étranges, un lieu qui ne peut pas exister ou des actions monstrueuses. La déstabilisation du lecteur s'effectue également par les cadrages de certaines cases, avec un angle de vue penché, donnant la sensation que son esprit est en train de basculer, que le mode de pensée des personnages commence à être déséquilibré. L'artiste accentue cette sensation avec les expressions des visages des personnages : un peu trop prononcées, des plans un peu trop rapprochés. Il brise les règles de la proxémie en imposant au lecteur d'être dans la sphère personnelle du personnage, et même dans sa sphère intime. Il pause l'image sur un visage habité par une émotion intense, alors que le lecteur ne la ressent pas, provoquant en lui une sensation de malaise, du fait du décalage d'affect.



Alors qu'il s'agit de 4 histoires indépendantes, les auteurs les ont conçues de manière à ce qu'elles soient liées : thématiquement par la dérive vers un comportement anormal, mais aussi dans la forme. La première constitue en un exercice de style virtuose : elle est racontée comme un palindrome. Ce n'est pas juste une symétrie où la dernière case répond à la première l'avant dernière, à la seconde, etc. La dernière page est identique à la première, l'avant dernière à la seconde, etc. Les phylactères et les cellules de texte sont les mêmes sur chaque page identique. L'histoire peut effectivement se lire dans les 2 sens, de la première page à la dernière, ou de la dernière à la première, racontant la même chose, transcrivant la sensation de situation immuable dans laquelle le personnage se sent prisonnier. Le deuxième épisode est raconté en reprenant des éléments de mots croisés : cases blanches vides, cases noires, définitions. La troisième file la métaphore des fleurs reflétant la manière de penser de Lilian. La quatrième place un journal intime au centre de l'intrigue. À chaque fois, cet élément narratif est cœur du récit et de la narration visuelle, attestant du degré de coordination du scénariste et de l'artiste, pour réaliser une œuvre conçue à partir des spécificités de la bande dessinée.



Bien sûr, le premier épisode attire fortement l'attention du lecteur sur sa structure en palindrome au point de devenir l'intérêt premier du récit. Effectivement en ayant terminé la lecture de gauche à droite, le lecteur ne peut pas s'empêcher de faire l’exercice de la recommencer de droite à gauche et de bas en haut, pour être sûr. Si son niveau d'anglais lui permet, il note que W. Maxwell Prince a inséré de nombreux palindromes en texte dans les phylactères. Il reste épaté par le fait que le dessinateur ait réussi à faire en sorte que la narration visuelle fonctionne dans les deux sens, et il ressent bien l'effet sur le personnage : quel que soit le sens dans lequel il envisage sa situation, il revient au point de départ, sans échappatoire. Dans le deuxième épisode, Martín Morazzo transcrit avec nuance l'impression de la vie tranquille d'une banlieue dortoir, et l'effet catastrophique du doute qui ronge l'assurance, qui transforme la normalité en un milieu où chaque élément est un danger agressif qui cache son jeu. Maxwell Prince joue sur le décalage qui va en grandissant entre le comportement normal d'Earl, et le glissement progressif de Rita. Dans le troisième épisode, il suffit d'un manteau qui n'est pas le sien pour que le besoin de cohérence et de transparence de la jeune femme vole en éclat avec des conséquences catastrophiques. Le dernier épisode est une merveille d'horreur avec 2 retournements de situation successifs, d'une noirceur terrible, à nouveau rehaussé par la narration visuelle pragmatique, comme si tout était normal.



W. Maxwell Prince & Martín Morazzo continuent de mettre en scène la perte d'équilibre progressive d'individus très normaux, suite à un événement ayant échappé à leur contrôle, soit un bouleversement comme un décès, soit un regard juste un peu différent sur une personne, des choses très banales. Le lecteur se confronte à ses propres angoisses dans des récits malins, intelligents et terriblement humains.
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Ice cream man, tome 3 : Hopscotch melange

Ce tome fait suite à Ice Cream Man Volume 2: Strange Neapolitan (épisodes 5 à 8) qu'il vaut mieux avoir lu avant, même si la série donne l'impression d'être une anthologie. Il comprend les épisodes 9 à 12, initialement parus en 2019, écrits par W. Maxwell Prince, dessinés et encrés par Martín Morazzo, avec une mise en couleurs réalisée par Chris O'Halloran. Il comprend également les 4 couvertures originales de Morazzo, ainsi que les couvertures variantes réalisées par Kyle Smart, Juan Ferreyra, Babs Tarr, Tula Lotay, 3 pages de recherche graphique, et la traduction des 7 pages en espagnol de l'épisode 10.



Épisode 9 - Dans un autre monde que la Terre, dans des temps immémoriaux, au beau milieu d'un désert accablé par le soleil avec de hautes falaises, un homme-dieu décoche une flèche sur une créature araignée et la rate. L'homme-dieu Caleb intime à son loup Boy d'attaquer le monstre araignée. Boy dévale la pente et s'arrête devant elle. Caleb suit son loup et capture le monstre araignée avec son lasso, mais il résiste. Boy s'élance sur le monstre araignée et plante ses crocs dedans : un sang vert s'écoule de la blessure. Finalement le monstre araignée meurt, et Caleb fait sauter un de ses yeux avec un couteau et le donne à manger à son loup. Épisode 10 - En 1919, à Ciudad Juarez au Mexique, Maria essaye sa robe d'anniversaire de ses 15 ans, avec l'aide de 2 couturières. Étrangement son anniversaire va être célébré le jour de la fête des morts. Le général, son futur mari, entre dans la pièce pour admirer la toilette de sa future mariée, et il se déclare très satisfait. John, un jeune homme américain, achète une rose au marché. La fleuriste lui montre l'autel dressé en souvenir de sa mère, avec de la crème glacée au milieu des offrandes.



Épisode 11 - Will Parson est écrivain de métier et il est âgé de 34 ans. Il participe à une émission de télévision appelée Mannequin, où chaque participant doit séduire la même femme. Mais elle et tous les autres participants sont des mannequins (des figurines en plastique en grandeur réelle), sauf l'animateur qui est un être humain. Will est repoussé par le mannequin femme et emmené par la sécurité vers une pièce pour être amélioré. Il parvient à s'échapper dans les couloirs. Épisode 12 - Noah Smith est à bord du vaisseau spatial Archival Recivilization Capsule (ARC). Il est d'humeur mélancolique. Cela fait 3 ans qu'il est à bord de ce vaisseau à la recherche d'une planète habitable où il pourrait faire revivre la population humaine. Il se rend au cœur du vaisseau où il projette une simulation explicative de la manière dont une planète pourra être terraformée, puis peuplée d'êtres humains. Une alarme résonne, avertissant de la présence d'une menace dans les parages. Jonah Smith se précipite sur le pont et l'intelligence artificielle indique que le vaisseau ARC entre dans un champ de météorites sur lesquelles se trouvent des araignées spatiales de Gunz'llah.



Le dernier épisode du tome précédent laissait le lecteur dans l'expectative puisqu'une ambiance de fin du monde dans une zone pavillonnaire avait eu un effet brutal sur l'un des 2 personnages récurrents. D'un autre côté, il sait bien que le scénariste a choisi le format d'une anthologie avec un ou deux personnages semi-récurrents et qu'il ne doit pas s'attendre à une simple suite. C'est le moins qu'on puisse dire puisque le premier épisode revient même sur une forme de début. Le lecteur retrouve Caleb (accompagné d'un chien) et Rick (le marchand de glaces). Même s'ils sont un peu différents, les dessins permettent de bien les reconnaître, à commencer par Caleb avec son haut chapeau de cowboy. Il découvre également un nouveau venu dans la famille : un personnage uniquement désigné sous le nom d'Oncle, avec le même type d'yeux. Martín Morazzo continue de détourer les personnages et les éléments de décor d'un trait fin sans être cassant, transcrivant bien très l'étrangeté de ces 3 personnages, et encore plus du loup et de la créature araignée. La pièce principale de l'oncle est étonnante avec ses 2 niveaux, et très bien détaillée, le lecteur ayant l'impression qu'il peut s’asseoir à la table, ou bien se promener au niveau supérieur pour passer en revue les éléments posés sur les étagères. L'environnement désertique apparaît plus traditionnel, sans se réduire à 3 traits perdus dans chaque case. Enfin, le dessinateur réalise un dessin en pleine page dans lequel Rick s'avance avec les mains ensanglantés, l'herbe lui arrivant à mi-cuisse, pour une vision traumatisante.



L'épisode suivant est plus exigeant en termes de narration visuelle, puisqu'il revient à l'artiste de recréer une villa de maître au Mexique en 1919. Le lecteur peut effectivement observer la façade de la demeure, le patio, quelques pièces intérieures, la petite pièce d'eau. Il constate que les différents angles de vue se combinent de manière cohérente pour donner une idée des dimensions de ladite demeure, et que ses caractéristiques évoquent bien un bâtiment de cette époque, à cet endroit du monde. Morazzo a également fort à faire en ce qui concerne les costumes en particulier la robe d'anniversaire de Maria, et son masque de fête de la mort, mais aussi avec le costume du général auquel il n'a pas oublié de mettre les médailles. Le lecteur peut ainsi se projeter dans ce lieu, et observer des individus d'époque évoluer sous ses yeux. Il constate à nouveau que le dessinateur sait maîtriser ses effets pour faire naître l'horreur quand la scène le requiert, en l'occurrence avec les dents taillées en pointe du général. Alors que cet élément horrifique (la dentition) n'a rien d'original, le fait qu'il arrive à point nommé lui donne toute sa saveur, ainsi que le rapprochement que le lecteur peut faire avec la dentition du général quand elle avait un aspect normal.



Martín Morazzo est à nouveau fortement mis à contribution avec l'épisode suivant, puisque l'environnement change encore. Il joue avec les bordures de cases en leur donnant la forme d'un écran cathodique (bombé sur chacun des 4 bords) à chaque fois qu'il s'agit d'une prise de vue pour l'émission télévisée. Entre 2 prises de vue, il montre les coulisses et les couloirs des studios de télévision. À nouveau le moment horrifique se focalise sur une case, avec une assiette dans laquelle se trouvent 6 dents, un spectacle glaçant pour ce qu'il évoque de la violence avec laquelle elles ont été arrachées. En fait, il y a un deuxième moment horrifique, mais cette fois pour un effet comique avec un trio de zombies modelés sur les 3 principales sœurs Kardashian. Dernier épisode, le dessinateur se montre toujours aussi convaincant, ses traits fins s'avérant tout à fait adapté pour montrer la froideur technologique du vaisseau spatial, l'agressivité des créatures araignée, ainsi que l'étrangeté de la flore de la planète sur laquelle il finit par atterrir.



Avec les dessins, le lecteur se retrouve à chaque fois projeté dans un environnement décrit de manière clinique, conférant une forme d'honnêteté franche et bizarre aux personnages, et de froideur aux environnements, distillant un sentiment de malaise diffus, en phase avec la série. W. Maxwell Prince continue de raconter des histoires horrifiques, avec un lien ténu entre elles. Il passe du conte mythologique évoquant la fin d'une époque, avec l'affrontement contre des créatures inhumaines, mais le pire ennemi se tapit au sein de la famille. Avec le deuxième épisode, il passe dans le registre du drame, avec un amour impossible. Puis il se livre à une satire bien sentie des émissions télévisuelles de téléréalité thématique, et finit par un récit de science-fiction qui respecte les conventions du voyage dans l'espace. Le lecteur peut très bien lire ces histoires au premier degré, prise une par une. Le premier conte s'avère cruel, une sorte de lutte fratricide mais avec un troisième personnage qui n'est pas une figure paternelle à proprement parler. Le deuxième épisode commence comme un mariage arrangé forcé, puis semble se diriger vers le registre de la libération de la jeune femme pour se terminer de manière inattendue. Le troisième marie l'horreur à la satire sociale, et enfin le dernier joue la carte de la conquête spatiale avec la survie de l'espèce humaine comme enjeu. En les lisant ainsi au premier degré, les 3 premiers épisodes fonctionnent bien, y compris leur chute, le dernier moins.



Le lecteur ne peut pas manquer le lien qui court dans les différents épisodes, déjà présent dans les tomes précédents : Rick (le marchand de glace) et parfois Caleb. Il note également que le premier épisode parle de fin d'un cycle, tout en indiquant que cela correspond forcément au début d'un autre. Ce thème revient dans le deuxième épisode, la mort d'un personnage marquant de toute façon la fin cycle. Ainsi ce thème est également présent dans les 2 autres épisodes. Enfin le lecteur se dit que chaque entité monstrueuse (humaine ou non) peut s'envisager comme l'incarnation d'un concept, l'horreur irréfléchie, les événements arbitraires contre lesquels la volonté d'un homme n'a aucun effet, l'absurdité de l'existence, ou encore le fait que l'univers n'est peut-être pas si indifférent que ça et qu'il pourrait être malveillant dans le sens où vivre nécessite de se battre.



Encore une fois, W. Maxwell Prince & Martín Morazzo s'en tiennent aux contraintes qu'ils se dont eux-mêmes imposées : une histoire complète en 1 épisode à chaque fois dans un (sous)genre littéraire différent, et s'en tirent avec les honneurs. Dans le même temps, ils savent à chaque fois faire surgir l'horreur visuelle, mais aussi l'angoisse de l'existence, et le peu de maîtrise dont dispose l'être humain. Ils concluent de manière aussi magistrale que moqueuse avec un personnage disant : En route pour le suivant (ce que le lecteur peut lire comme une injonction à passer à l'épisode suivant).
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Ice Cream Man, tome 6 : Just Desserts

Insignifiant

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Ce tome fait suite à Ice Cream Man Volume 5: Other Confections (épisodes 17 à 20) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant, mais ce serait dommage de s'en priver. Il contient les épisodes 21 à 24, initialement parus en 2020, écrits par W. Maxwell Prince, dessinés et encrés par Martín Morazzo, avec une mise en couleurs réalisée par Chris O'Halloran. Il comprend également les 4 couvertures originales de Morazzo, ainsi que les couvertures variantes réalisées par Andrea Sorrentino, Sam Wolfe Connelly, Valentine de Landro, Tiffany Turrill, Justin Mitchiner. Chaque épisode constitue une histoire complète.



Quelque part dans une salle sombre d'un bâtiment à New York, un homme nu est agenouillé devant trois autres en robe à capuche, entre deux braséros. Les maitres de cérémonie invoquent la divinité Riccardus, et s'apprêtent à offrir cette viande sur deux pattes à leur Seigneur des Sucettes. La victime implore leur pitié, arguant qu'il est un simple vendeur de glaces, leur demandant ce qu'ils veulent. Ils crucifient l'homme sur une structure à base de triangle pointe en bas avec un demi-disque sur le dessus, traçant un smiley qui fait la tête sur son torse, avec un couteau, et en appelant à leur divinité pour qu'elle se nourrisse. Sur l'échelle de secours en façade, Ray Kowalski s'en grille une en pensant au bien que ça lui fait. Il met fin à ce plaisir car on l'appelle depuis la porte de son bureau de détective privé. Madame Cohen vient l'engager parce que son mari Bertrand L. Cohen, un vendeur de glaces, a disparu.



Dès la première page, le lecteur retrouve le goût si particulier de cette anthologie. Une histoire complète dans chaque épisode, avec l'apparition plus moins explicite d'un marchand de glace. Une situation horrifique, qui peut l'être en raison d'une horreur visuelle ou charnelle, ou existentielle sans élément visuels sanguinolents. Des dessins à l'apparence un peu particulière : descriptifs avec des traits de contour très fin, des visages souvent marqués par une émotion intense teintée d'incompréhension, d'absence de maîtrise, une absence d'aplats de noir pour les ombres portées. Une fois réacclimaté à ces particularités, ou après les avoir retrouvées avec délectation, le lecteur se lance à la découverte d'un récit court, mais à chaque fois intense. Voilà donc un détective privé, marié sans enfant, pas très heureux dans sa vie, avançant lentement mais sûrement dans sa recherche d'indices et de preuves. Les auteurs mêlent malicieusement une narration très pragmatique, avec un fil secondaire indiquant l'existence d'une secte qui sacrifie des marchands de glace à une divinité pour le moins peu probable.



Plusieurs situations arrêtent l'œil du lecteur par leur banalité, ou par le léger décalage d'avec les conventions et les clichés habituels : le regard un peu exalté de madame Cohen, le smiley de mauvaise humeur, la bagarre dans la bibliothèque municipale dans laquelle personne n'intervient. Il faut peu de temps au lecteur pour également remarquer que toutes les pages sont construites sur une base de 9 cases de taille identique, en 3 bandes de 3 cases. S'il a lu Watchmen (1986) d'Alan Moore & Dave Gibbons, le lecteur fait tout de suite le lien, d'autant que le dessinateur reprend deux ou trois cases emblématiques, ainsi que le principe de Smiley, mais ici il fait la tête plutôt que de sourire. Par exemple, le détective Kowalski entre dans un appartement par la fenêtre, comme Rorschach dans l'appartement du Comédien. Dans un premier temps le lecteur se retrouve un peu décontenancé car l'hommage est patent, mais le récit ne reprend pas la trame de Watchmen, ni les thèmes. Il faut un peu de temps pour établir le parallèle : les auteurs tournent en dérision l'idée que les bizarreries de la réalité puissent s'expliquer par une séduisante théorie du complot.



30 novembre, les parents de Julie sont en train d'installer le sapin de Noël dans le salon, et comme d'habitude, ils l'ont pris un peu trop grand. Ils offrent un calendrier de l'avent à leur fille. Premier décembre, elle ouvre la première petite fenêtre : un œuf en chocolat. Elle va acheter un test de grossesse au supermarché, plusieurs en fait. Deux décembre, elle utilise le test et il l'informe, comme les deux autres avant, qu'elle est enceinte.



Changement d'épisode, changement d'histoire, avec une continuité narrative puisqu'il s'agit des mêmes créateurs. Le scénariste adopte une structure rigoureuse : une scène par page, et chaque fois un jour différent du 30 novembre au 25 décembre. La narration visuelle fait des merveilles comme d'habitude avec cette représentation descriptive de la banalité du quotidien légèrement distanciée, un peu froide. Le lecteur apprécie la manière dont les auteurs construisent littéralement la continuité d'une existence d'un jour à l'autre : la suite d'une action (acheter un test de grossesse, l'utiliser, aller voir le gynécologue), ou des éléments visuels récurrents normaux (le calendrier de l'avent, le manteau de Julie) ou décalés (les araignées). Le fil narratif est très simple : Julie se rend compte qu'elle porte seule la responsabilité de son avortement. La sensation est très dérangeante : le lecteur ressent que cette responsabilité bouscule son système de valeurs et de croyances, non pas de manière frontale, mais de manière indicible. La force des auteurs est de parvenir à rendre visuel ce conflit intérieur, non pas à grand renfort d'éléments gore ou horrifiques, mais par de petits décalages, de petites hésitations, de petits doutes sur la réalité de ce qu'elle observe.



Ce soir-là, dans son émission de fin de soirée, l'animateur Mack Benson reçoit Rick Saccharine un dresseur d'animaux qui vient lui en présenter plusieurs. Quatre heures plus tard, le présentateur est en unité de soin intensif, car il a été mordu au visage par le python albinos birman qui l'avait enserré dans ses anneaux constricteurs. Dans la salle, d'attente, Brian Pardue, le producteur exécutif de l'émission, se lamente sur le sort de Mack. Il a toujours été à ses côtés : à ses débuts dans des petits clubs minables, y compris le soir où un client lui avait lancé une laitue à la tête en lui demandant d'être un peu drôle. Pendant toutes les étapes de son ascension jusqu'à la consécration de l'émission de fin de soirée.



Ils peuvent tout se permettre : contre l'évidence basique, les auteurs ont choisi d'alterner une page de texte sans illustration avec un dessin en pleine page. C'est une provocation très risquée vis-à-vis du lecteur. En effet celui-ci est venu pour lire une BD, pas un texte illustré. Bon, il fait quand même l'effort de lire au moins une page, et de regarder l'image sur la page de droite. Il se trouve que cette première page de texte évoque une situation dramatique, et que le lecteur ressent tout de suite un élan de sympathie pour le producteur et ami, ainsi que le malaise sous-jacent. En effet, cet ami a bâti toute sa carrière sur le talent du présentateur : celle-ci s'arrête brutalement si le présentateur se retrouve dans l'incapacité d'exercer son métier. Même en pleine page, les dessins ne sont pas plus spectaculaires que ceux des épisodes précédents : toujours aussi descriptifs, capturant la bizarrerie de la situation, même si elle est plausible et pragmatique. Le lecteur peut ainsi mesurer toute l'incongruité de l'énorme vautour perché sur l'épaule du montreur d'animaux, l'artificialité de la construction totalement factice qu'est le plateau de télévision. Les auteurs parviennent à surprendre le lecteur alors même qu'ils ont établi la fin de leur histoire dès la première page. En effet les personnages sont très attachants, et le lecteur s'inquiète pour eux, tout en se demandant comment ils en sont venus là. La conclusion ouverte est d'une rare cruauté… pour le lecteur : tout peut arriver, il faut apprendre à vivre avec cette absence de certitude.



Jerry est malade, sans trop sans rendre compte. En ce moment, il est allongé sur le fauteuil du dentiste qui lui arrache une dent. Ce dernier lui fait des remarques bizarres sur le fait que c'est l'âge auquel où le corps commence à lâcher, et qu'il soutient son client à fond. Une voix commente : Jerry a commencé à dégénérer, et il n'y a pas que son corps qui part en sucette. Jerry se rend compte qu'il est en retard pour son rendez-vous avec son épouse, pour signer les documents qui finalisent le divorce. Sans qu'il en ait conscience, un animateur incite les téléspectateurs à faire des dons pour Jerry, dans une émission de télé.



Le lecteur se rend compte que les auteurs continuent exactement dans la même veine que les 3 épisodes précédents, avec une forme tout aussi cruelle. Un adulte voit sa situation bien établie partir en cacahuètes : relation de couple, emploi, etc. Dans le même temps, sans qu'il en ait conscience, un téléthon a été ouvert pour essayer de compenser sa déveine. Les dessins avec leur apparence un peu cruelle font ressortir la dégradation progressive de l'état de santé de Jerry, le jeu forcé de l'animateur du téléthon, l'absence de réelle compassion des téléopératrices qui sont très professionnelles, le décor vraiment très bon marché du plateau de télé, la bonne humeur forcée des acteurs pour les placements produits et autres annonceurs. C'est une horreur existentielle d'une rare cruauté, avec un humour noir à froid terrifiant, se terminant par le constat que le lecteur est responsable de la mort d'un chien. Le lecteur finit terrassé pour son insignifiance, par la réalité de sa mort inéluctable et qu'il n'emportera rien avec lui dans l'au-delà. Il faut avoir le cœur bien accroché pour regarder ainsi la réalité de la vie en face.



Tome après tome, épisode après épisode, les auteurs continuent d'explorer les possibilités narratives, autant en genre littéraire, qu'en forme avec une aisance élégante, et un regard sans fard sur la terreur que peut être la condition humaine.
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Ice Cream Man, tome 1

Une araignée de compagnie, un couple de junkies en souffrance, un vieux rocker qui rêve du passé et un enterrement qui prend une tournure ... spéciale. Le point commun des ces histoires ? Un marchand de glace, qui va intervenir de près ou de loin dans l'histoire.



Quelle étrange lecture que celle-ci. Je ne suis pas totalement étranger aux principes des nouvelles horrifiques, depuis l'année dernière je me régale des œuvres de Junji Ito. Ici on est sur un même format avec de courtes histoires sombres, qui finissent pour la plupart mal, mais en version comics.



Le style graphique est assez particulier, j'avoue ne pas avoir adhéré à 100%. J'ai eu du mal avec la première nouvelle en raison de l'animal qui y est un peu trop représenté, je les déteste tout bonnement donc cela m'a un peu mis à l'aise ... La troisième m'a également un peu perdu, je n'ai pas vraiment accroché à cette histoire qui part en délire psychédélique.



En revanche, la deuxième et la quatrième m'ont bien plu, avec des histoires noires qui prennent des tournures inattendues.



Globalement, même si je ne les ai pas toutes adoré, j'ai trouvé que les histoires se renouvelaient bien et explorent des thématiques différentes de l'horreur.



Dans ce premier tome, le vendeur de glace est un peu anecdotique, je l'ai évidemment bien repéré dans les différentes histoires étant donné que c'est le nom du comics et qu'il est en couverture mais on ne peut pas dire qu'il marque spécialement les récits. Par contre, l'apparition d'un personnage dans la 4ème nouvelle qui semble le connaître semble annoncer qu'une intrigue en fil rouge pourrait bien apparaître dans les prochaines nouvelles. Et cela pourrait me motiver à voir si les tomes suivants arrivent à me convaincre totalement.



Un grand merci aux éditions Huginn & Munnin ainsi qu'à Babelio pour l'envoi de ce comics dans le cadre d'une masse critique, c'est toujours une occasion de faire des découvertes.



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The Electric Sublime

Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Il comprend les 4 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2016/2017, écrits par W. Maxwell Prince, dessinés et encrés par Martin Morazzo, avec une mise en couleurs réalisée par Matheus Lopes.



Un guide conduit un groupe de touristes dans les salles du musée du Louvre à Paris. Il leur recommande de lâcher un peu leurs portables et leurs caméras pour apprécier les chefs d'œuvre qui les entourent. Ils arrivent à la salle de la Joconde, et le guide commence son exposé, alors que plusieurs touristes constatent à quel point le tableau est de petite taille (77 centimètres). Le guide s'agace parce qu'il entend des remarques mettant en cause le tableau, en particulier qu'il s'agit d'un faux. Il se retourne, regarde le sourire de Mona Lisa, et voit que son œil gauche est fermé pour un clin d'œil. Affolé, il court pour trouver un représentant du musée et lui dire qu'il faut prévenir le Bureau de l'Intégrité Artistique, un service international spécialisé. Peu de temps après, Margot Breslin, la directrice dudit Bureau, se rend dans un hôpital psychiatrique pour aller trouver Arthur Brut, le seul individu capable d'avoir une idée de comment commencer cette enquête.



Margot Breslin se tient face à un individu exalté, n'arrivant pas contenir ses émotions, mais totalement impliqué dans ce qu'elle lui relate des manifestations d'un groupuscule s'en prenant aux œuvres d'art par une méthode indiscernable. Dans le même temps, une mère de famille conduit son fils Dylan Thompson, dans une institution spécialisée dans les thérapies à base d'arts créatifs et de jeux, appelée Centre Kinsville. Dylan souffre de troubles du langage, mais dessine très bien. Dans la salle de la Joconde, Arthur Brut examine le tableau et se moque de la pédanterie du guide, pendant que Margot Breslin passe en revue les faits et les preuves matérielles, avec un autre agent. Un groupe armé surgit et commence à ouvrir le feu.



Il y a comme ça des histoires qui semblent destinées à rester dans l'anonymat : un récit dont la quatrième de couverture ne dit pas grand-chose, une couverture qui semble illisible ou en tout cas surchargée et des auteurs pas très connus. Tout au plus, le lecteur se souvient des prestations sympathiques de Martin Morazzo sur 2 récits complets écrits par Joe Harris : Great Pacific,Snowfall. Néanmoins le lecteur aventureux peut éprouver de la curiosité pour un récit complet qui s'inscrit dans le domaine de l'art pictural. Dans un premier temps, le scénariste se raccroche au tableau le plus connu : le portrait de Mona Lisa peint par Léonard de Vinci (1452-1519) au début du seizième siècle. Mais au cours du récit, le scénariste intègre d'autres tableaux de maître comme Campbell's Soup Cans (Chicken with Rice, Bean with Bacon) réalisé en 1962 par Andy Warhol (1928-1987), Le cri (1893/1917) d'Edvard Munch (1863-1944), La trahison des images (Ceci n'est pas une pipe, 1929) René Magritte (1898-1967), Un dimanche après-midi à l'île de la Grande Jatte (1884-1886) de Georges Seurat (1859-1891), Nighthawks (1942) d'Edward Hopper (1882-1967), Guernica (1937) de Pablo Picasso (1881-1973).



Effectivement W. Maxwell Prince écrit un récit dont l'intrigue découle de cette proximité avec l'art. Le fait déclencheur apparaît au Louvre. Par la suite il y a un suicide collectif dans une classe d'art, et une visite dans un établissement de thérapie par l'art pictural. Le scénariste égrène quelques œuvres d'art célèbres, en prenant le temps à chaque fois d'utiliser leur apparence, mais sans rentrer dans les techniques picturales ou dans les courants d'art, leur théorie ou leur caractère innovant pour leur époque. Même si certains personnages peuvent pénétrer dans les tableaux et interagir avec un personnage (l'homme en train de crier dans le tableau de Munch par exemple), l'auteur utilise d'autres éléments culturels artistiques, comme la technique de Jckson Pollock (1912-1956), ou la vie privée d'Henri Matisse. Le récit ne se limite donc pas à une enfilade d'une poignée de tableaux, dans lesquels pénètrent les personnages. De son côté, Martin Morazzo intègre à l'aide de l'outil informatique des tableaux de maître, à commencer par la Joconde bien sûr, mais aussi un ciel évoquant celui de La nuit étoilée de Vincent van Gogh, le Cri d'Edvard Munch et des tableaux de Matisse, Dali, Picasso, Kandinsky. Il ne s'agit pas juste d'une collection des œuvres les plus évidentes et consensuelles.



D'entrée de jeu, le lecteur apprécie la consistance des dessins. Pour commencer la Cour Napoléon ressemble bien à la réalité avec les 3 pyramides de Ieoh Ming Pei. Ensuite la salle de la Joconde est bien authentique, à la fois pour l'architecture, pour son volume et pour la scénographie. Morazzo représente les arrière-plans avec une forte régularité, se démarquant ainsi des pratiques habituelles dans les comics ordinaires. Le lecteur a l'occasion de se projeter dans les couloirs de l'établissement où est traité Arthur Brut, dans la salle de bain de Margot Breslin pour une séquence onirique puissante, puis dans sa cuisine, dans un bar pour rencontrer un professeur d'arts plastiques, ou encore dans le Centre de Kinsville. Il est visible que l'artiste prend plaisir à explorer l'arrière-plan de La Joconde quand 3 personnages y sont projetés, avec ces arches qui semblent incongrues, ou encore la promenade sur laquelle se tient l'homme en train d'hurler. Les passages par le pointillisme et par Guernica sont plus rapides, mais tout aussi inspirés.



Martin Morazzo s'investit tout autant dans les personnages, ceux avec un rôle de premier plan : Margot Breslin, une femme menue, un peu lasse, un peu dépassée, Arthur Brut, un jeune homme habité par des visions, ou Dylan Thompson, enfant ballotté par les demandes des adultes, sans pouvoir préjuger des conséquences de ses actes. En observant le groupe d'une quarantaine de personnes qui regardent la Joconde, le lecteur constate qu'ils ont tous des visages différents, des vêtements différents. Il en va ainsi de tous les personnages secondaires, depuis Inny l'amie de Margot Breslin, à Bill Wunderlich, le professeur d'arts plastiques angoissé. La mise en scène est tout aussi travaillée, pensée pour chaque séquence. Au fil du récit, le lecteur laisse son regard errer sur la vue d'ensemble extérieure du Centre Kinsville. Il reste subjugué par l'effet des couleurs se déversant du pommeau de douche de Margot. Il éprouve de la peine pour Dylan Thompson lorsque Peter Oldenburg lui explique les activités auxquelles il doit participer dans le Centre. Il sourit en voyant les personnages traverser le tableau de Georges Seurat. Il constate la violence de l'avancée de Margot Breslin, pistolet au poing et abattant les hommes de main de Peter Oldenburg. À part la première couverture, il sourit encore en voyant la manière dont Morazzo détourne des tableaux connus. Il découvre en fin de volume, les couvertures alternatives réalisées par Frazer Irving (numéro 1), Stéphanie Hans (numéro 2), Nimit Malavia (numéro 3) et Brendan McCarthy (numéro 4).



L'intrigue repose donc sur un mystère et une enquête : des individus subvertissent des œuvres d'art causant des paniques pouvant aller jusqu'au suicide et il faut les identifier et les neutraliser. La narration est très linéaire et très facile à suivre, sans aucune velléité intellectuelle ou magistrale. Elle tire sa richesse des éléments qui y sont intégrés, sans que les auteurs ne se croient obligés de pontifier. Le lecteur prend plaisir à ce divertissement premier degré, inventif et original. W. Maxwell Prince ne souhaite pas expliciter le principe qui permet à Arthur Brut de passer dans les tableaux, ni celui qui permet aux criminels de modifier les tableaux. Il ne se lance pas non plus dans un exposé sur les liens entre l'art et la réalité, ou sur les effets produits par les œuvres d'art. Il s'en tient à un niveau immédiat, où le lecteur voit la détresse des personnes subissant la vue des œuvres altérées. Le lecteur est donc libre d'apprécier ce récit au premier degré et de s'en tenir là avec un divertissement original, servi par des dessins descriptifs et des mises en scène efficaces et joueuses. S'il le souhaite, il peut s'amuser à formuler lui-même les métaphores que constituent ces situations littérales. En fonction de son état d'esprit, de sa culture et de sa formation, il peut voir dans ces situations l'expression directe de réflexions philosophiques sur l'art.



Pour peu qu'il se soit laissé tenter par cet ouvrage, le lecteur ne regrette en rien le temps passé. Il a plongé dans une enquête inattendue et amusante, haute en couleurs, faisant bon usage des références à des tableaux de maître, réalisés par de auteurs disposant d'une culture à la hauteur de leurs ambitions.
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Ice Cream Man, tome 1

Ice cream man, un comics publié en France (il dispose de 35 numéros déjà publiés aux États-Unis) ecrit par Maxwell Prince et dessiné par Martin Morazzo et Chris O'Halloran (pour les couleurs)



Je sors de cette lecture totalement dubitative : je ne saurais dire si j'ai apprécié ou non tant le mystère est présent tout au long des chapitres. Un mystère dont on sent que la solution se trouve sur le bout de la langue mais qui reste énigmatique... c'est à la fois plaisant et frustrant !



Je ne suis pas particulièrement fan du physique des personnages, je les trouve un peu trop anguleux, manquant de détails, mais les expressions sont tout de même palpables. Les couleurs sont en revanche fidèles au Comics, vives et nettes. La couverture est d'ailleurs révélatrice du contenu, une très jolie couverture de Juan Ferreyra



Les courtes histoires (4 pour le présent volume) mettent en exergue les craintes, les vices, les souhaits cachés des personnages. Un étrange glacier ambulant se retrouve constamment mêlé à leur destin offrant des boules de glace aux effets douteux. Je ne crois d'ailleurs pas avoir totalement saisi la corrélation entre la saveur des des glaces et la destiné des personnages.



Seules les dernières pages remettent un brin d'ordre dans mon esprit en suggérant d'une part que le glacier peut aussi avoir des ennemis et en supposant, d'autre part, sa nature.



Ice cream man, c'est étrange, déroutant, à la fois clair dans le destin des personnages et intangible dans l'aura malveillante qui les accompagne telle une épée de Damoclès. C'est d'ailleurs cet ensemble qui tient malgré tout l'intérêt de la lecture jusqu'au bout. Irai-je jusqu'à lire le second volume ? Probablement !



Merci Babelio et Huginn&Muninn
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Ice Cream Man, tome 5 : Other Confections

Ce tome fait suite à Ice Cream Man Volume 4: Tiny Lives (épisodes 13 à 16) qu'il n'est pas indispensable d'avoir lu avant, mais ce serait dommage de s'en priver. Il contient les épisodes 17 à 20, initialement parus en 2020, écrits par W. Maxwell Prince, dessinés et encrés par Martín Morazzo, avec une mise en couleurs réalisée par Chris O'Halloran. Il comprend également les 4 couvertures originales de Morazzo, ainsi que les couvertures variantes réalisées par Michael Walsh, Emma Rios, Gabriel Walta et Martín Morazzo. Chaque épisode constitue une histoire complète.



Épisode 17 : famille militaire. Enfance banlieusarde. École de journalisme. Plafond de verre. C'est ainsi que Paige Parker est devenue la meilleure journaliste d'investigation du quotidien Everyday World. Elle est dans le bureau de son patron, avec le jeune photographe, et il lui fait remarquer que les articles qui font vendre sont ceux sur le superhéros Ice Cream Man, article rédigé par Rick Sweet. Justement, le voilà qui passe la porte du bureau du patron : il revient de sa séance quotidienne dans la salle de sports. Paige se rend à son bureau et commence à écrire son article sur Ice Cream Man : le sauveur d'Urbanopolis, comme Jésus mais avec une cape. Il est arrivé de nulle part il y a trois ans et il accomplit une tâche herculéenne après l'autre, ayant même formé un groupe de superhéros avec Lickety Split, Wondrous Womyn, Pinky Ring. Et là, il intervient pour stopper une araignée robotique géante en train de détruire la ville, en prenant le temps d'éviter un suicide juste avant. Épisode 18 : George est vieil homme, couché dans un lit d'hôpital, et relié à des machines. Il est conscient et il sait que le gremlin est au travail à nouveau. L'infirmière entre dans sa chambre et vérifie le bon écoulement de la perfusion. Lui sait que le gremlin est en train de lui voler ses souvenirs. Il fait travailler sa mémoire pour lutter contre. Il se souvient d'un moment de son enfance quand il avait 3 ans, ou peut-être 2 ou 4. Il était assis sur une pelouse, au pied d'un sycomore, avec ses parents en train d'étendre une couverture et sa sœur Anne en train de lire un livre adossé au tronc d'un arbre. Mais le gremlin apparaît et emporte le souvenir de sa sœur.



Épisode 19 : une page d'instruction explique comment se déguiser en fantôme avec un drap et se conduire en fantôme au point de devenir invisible. Le manuel évoque les autres accessoires : un lapin angora vivant, un renard vivant, un pot de glace format familial, et des baskets hautes. Cass s'est déguisé avec le drap percé de deux trous pour les yeux. Il est assis en tailleur dans sa chambre. Ses parents sont assis sur le canapé en bas, en train de regarder leur feuilleton préféré à la télé, madame en mangeant de la glace dans un pot. Cass descend l'escalier, toujours déguisé en fantôme et sort discrètement dehors sans avoir été remarqué par ses parents. Dans la rue déserte de la banlieue résidentielle, il se dirige vers la maison des Trabelli où madame est en train de disputer son époux qui s'est lancé dans l'élevage de lapins angoras. Épisode 20 : dans une maison de banlieue avec un étage, Ice Cream Man est assis dans un fauteuil au pied u lit où se trouvent deux enfants dans une tenue semblable à la sienne avec nœud papillon et large casquette à visière. Il ouvre le livre pour enfant qu'il a sur les genoux et commence à lire l'histoire. Il est question d'une chambre pour enfant avec des illustrations en couleur, mais aussi en parallèle d'une fille qui fait chauffer une cuillère avec sur la table un bateau en modèle réduit dans une bouteille et une lettre de suicide.



L'horizon d'attente du lecteur est assez élevé : il sait qu'il va découvrir 4 histoires indépendantes complètes relevant du genre Horreur, impliquant d'une manière directe ou de façon incidente ce vendeur de glaces, et que chaque histoire sera racontée d'une manière différente. Il se lance dans ce cinquième recueil de cette anthologie à nulle autre pareille : en effet chaque épisode est réalisé par la même équipe créatrice depuis le début, scénariste comme dessinateur, c’est-à-dire un format inhabituel. Prince & Morazzo n'ont rien changé et chaque épisode met en œuvre un mode narratif particulier différent à chaque fois : un comics de superhéros pour le 17, une histoire tout en retours en arrière pour le suivant, un étrange manuel d'instruction pour celui d'après et des histories pour enfants sous forme de texte avec des illustrations pour la dernière. Il ne s'agit pas simplement du ton de la narration qui est différent, mais aussi de la forme visuelle. Cela commence avec la couverture du numéro 17 qui est une parodie de celle d'Action Comics 1, paru en juin 1938 où Superman soulève une voiture. Ici, c'est Ice Cream Man qui soulève une camionnette de marchand de glaces. Ensuite le lecteur découvre la première page et elle reprend la structure du premier épisode de All Star Superman (2005-2008) de Grant Morrision & Frank Quitely, mais appliquée à Lois Lane, au lieu d'être appliquée à Superman : 4 cases de la largeur de la page, avec un cartouche contenant 2 mots par case. Le lecteur va ainsi retrouver d'autres références visuelles déformées à l'univers de Superman.



Les auteurs apportent le même soin à concevoir une narration visuelle particulière pour les 3 autres numéros. L'histoire de George alterne des moments au présent montrés majoritairement dans des cases de la largeur de la page, et les souvenirs sont montrés dans des pages de 6 cases (3 bandes de 2 cases), alternant une case avec bordure et une sans, marquant bien ainsi la différence entre les deux époques, les couleurs du passé étant un petit peu pastel pour renforcer encore cette distinction. L'histoire suivante est racontée sous forme de cases un peu plus petites, à raison de 6 par page, chacune surmontée de la précision Étape 1, 2, 3… 20…, et d'une ou deux phrases précisant au personnage la manière dont il doit se comporter, avec occasionnellement u phylactère dans la case. La dernière montre Ice Cream Man faisant la lecture à deux enfants, et le numéro se transforme en facsimilé du livre : tout d'abord un récit où le texte incite l'enfant à retrouver un objet dans le dessin, puis un autre avec des illustrations épurées à l'encre. Les auteurs continuent d'explorer les possibilités de narration, avec succès, tout en restant dans un registre graphique identique (descriptif avec un bon niveau de détails).



L'horreur est également bien présente sous différentes formes. Ce tome se termine avec Ice Cream montrant sa réelle dentition pour une horreur visuelle qui fait froid dans le dos par sa précision et par le contraste qu'elle forme avec la normalité des pages précédentes, toutes en tension. Le scénariste développe plusieurs formes d'horreur : quelques monstres en quantité très limitée, la maladie, la violence physique, la maltraitance potentielle d'enfants et bien réelle d'une épouse. Cette horreur ne prend pas une forme très graphique : les monstres ne sont ni purulents, ni insoutenables à regarder (pas d'horreur corporelle), le malade est allongé dans son lit dans un état normal pour une personne âgée en fin de vie, le petit garçon en habit de fantôme n'est pas agressé par un individu dérangé et sadique, Ice Cram Man ne torture pas physiquement les enfants, ne les mutile pas. Le lecteur est saisi par une horreur plus viscérale, découlant directement des limites inhérentes à la nature humaine. Certes, Prince & Morazzo s'amusent bien avec le repas préparé par le superhéros pour Paige Parker (un nom en consonne répétée comme le L de Lois Lane) : des petits animaux pelucheux dotés de parole déclarant que leur raison d'être est que leur chair soit dégustée par un être humain (un passage très perturbant).



En fait l'horreur de l'épisode 17 provient de la raison d'exister de ce superhéros, l'idée même de superhéros étant observée à partir du principe de sauveur, avec un effet dévastateur pour Paige Parker. Dans l'histoire suivante, l'horreur est poignante, mais l'image utilisée est plus littérale : George voit ses souvenirs disparaître un à un, sous l'effet de la maladie. Le lecteur comprend bien de quelle maladie il peut s'agir. Derrière ce premier degré évident, se tiennent deux autres angoisses : celle pour les enfants de répéter les mêmes schémas de vie que leur père (non, pas être atteint par cette maladie, une autre problématique), et la perte d'identité qui découle de la perte des souvenirs. Il faut un peu de temps pour que le lecteur découvre ce qui ronge Cass : l'idée du suicide, pour des raisons très pragmatiques et quotidiennes qui le renvoient à sa vie banale. Enfin, le lecteur fait l'expérience terrifiante de l'autorité que les parents peuvent avoir sur leurs enfants, et sur la facilité avec laquelle une bonne intention peut se révéler traumatisante, ou un comportement à risque d'un parent peut lui aussi avoir des répercussions traumatisantes à l'échelle de toute la vie de son enfant.



Les tomes se suivent et se ressemblent : les auteurs prouvent épisode par épisode qu'ils sont capables de se renouveler à chaque fois. Chaque histoire est complète et intéressante pour elle-même dans cette forme d'anthologie très particulière. Chaque histoire croise le genre Horreur avec un autre, pour une bande dessinée remarquable, et une plongée dans le mal très concret de la vie humaine.
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Ice Cream Man, tome 1 : Rainbow Sprinkles

Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 4, initialement parus en 2018, écrits par W. Maxwell Prince, dessinés et encrés par Martin Morazzo, avec une mise en couleurs réalisée par Chris O'Halloran. Il contient également les couvertures originales de Morazzo et es couvertures variantes réalisées par Frazer Irving, Nimit Malavia, Mike Shea, Lynn Scurfield. Ces 2 auteurs avaient déjà collaboré pour The Electric Sublime.



Dans une petite ville des États-Unis, le marchand de glace passe en fin de journée. Sharon Peterson a accompagné sa fille Penny pour acheter une glace à la vanille. Puis Rick se fait interpeler par Byron McAllister qui lui demande une glace au chocolat à 2 boules. Rick le sert et lui dit de faire attention en rentrant chez lui. Byron déguste sa glace en marchant et en pensant à Rupert son araignée de l'espèce Phoneutria Fera, secrétant un venin neurotoxique. Il rentre chez ses parents et retrouve leurs cadavres dans la cuisine. Henrietta & Tom McAllister ayant été signalés comme absents à la police, les inspecteurs Jialeou Hwan & Tony Briggs viennent enquêter dans leur pavillon. Karen et Jim sont 2 junkies qui vivent dans un taudis. Jim souffre d'une sévère crise de manque qui le fait délirer, ne le laissant reprendre conscience que pendant de brefs épisodes. Karen n'a pas de quoi se payer une nouvelle dose. Elle repense à leur rencontre, à leur première dose, à leur premier vol (le réservoir à oxygène d'une vieille dame). Elle sort et essaye la porte de toutes les voitures garées pour voir s'il y en a une d'ouverte et faucher ce qu'elle y trouve. Elle finit par piquer la camionnette du marchand de glace, parti faire une course.



40 ans ou 50 ans en arrière, Bud Hickey a vendu 60 millions d'exemplaires de son 45 tours Rock all the time, enregistré avec son groupe The Rockets. Mais il été l'auteur d'un seul tube, et depuis il regrette le bon vieux temps, vivant seul, buvant tous les soirs. Alors qu'il prend son café dans le diner de la ville, le marchand de glace passe avec son chariot dans le diner et échange quelques mots avec lui. Il lui offre une glace à la vanille. Bud Hickey rentre chez lui, mais il entend de la musique en provenance de son sous-sol. Sheila est en train d'ajuster le nœud de cravate de son mari Joel qui doit prononcer l'éloge funèbre pour l'enterrement de Chris Carson, un musicien mort à l'âge de 32 ans. Sa grossesse étant bien avancée, elle ne peut pas l'accompagner, mais elle l'assure que tout va bien se passer. Joel prononce son éloge, évoquant le plaisir que prenait Chris Carson à entendre la petite musique de la camionnette du marchand de glace. Après l'enterrement, il accepte d'aller prendre un verre avec le père de Chris.



Dans la pléthore de séries que publie Image Comics tous les mois, il y a beaucoup de séries qui sortent du moule. Ice Cream Man est de celles-là : impossible d'anticiper la nature de l'histoire en regardant cette couverture un peu pop, à la promesse vaguement psychédélique, avec ces visages d'enfants heureux, à 2 doigts d'une extase générée par la contemplation d'un cône de glace qui a l'air bien industriel. Le marchand de glace est tout beau dans son costume et tient cette glace comme la statue de la Liberté tient son flambeau. Un rapide feuilletage de l'intérieur ne donne pas plus d'indications sur la teneur générale de ce tome. D'épisode en épisode, le lecteur se rend compte qu'il s'agit de 4 histoires indépendantes, se déroulant vraisemblablement dans la même ville (c'est au moins sûr pour les 2 premières), avec comme point commun l'apparition du marchand de glace, le temps de 2 ou 3 pages. Le premier récit s'inscrit dans le registre des histoires d'horreur avec une chute ambigüe. La chute de la seconde est plus classique et moins ambigüe, avec à nouveau l'intervention déterminante du marchand de glace dans la résolution. Dans la troisième, il devient l'un des personnages du délire de Bud Hickey. Dans la dernière, il n'est présent que par le carillon de sa camionnette et de manière très inattendue dans les 3 dernières pages. Le lecteur y voit apparaître un dénommé Caleb qui vient saluer Rick dont le visage exprime une peur franche sans qu'on en n'apprenne plus. Ainsi le marchand de glace mentionné sur la couverture est bien présent dans les histories. Il offre une glace à quelques clients, en fait payer d'autres, dispose de capacités surnaturelles non expliquées, et pas toujours explicites.



Dans le premier épisode, le marchand de glace semble souffrir de lycanthropie, sans raison apparente, sans lien logique avec le récit, avec l'histoire de Byron McAllister. Dans les deuxième et troisième histoire, il a un rôle plus classique de catalyseur. Quant à la quatrième histoire, le lecteur se demande s'il a assisté à une partie des origines du marchand de glace, ou non. L'intérêt des récits réside donc plus dans la manière dont la vie de chacun des personnages a pris un tournant vers le bizarre ou le morbide : un enfant qui s'accommode fort bien du décès de ses parents pour préserver la vie de son animal familier, une junkie qui continue de s'enfoncer dans la spirale du prochain shoot, un individu marqué à vie par un succès de grande ampleur mais éphémère, un père qui a quitté femme et enfant. Dans des récits de 26 à 30 pages, le scénariste réussit à faire exister chacun de ces individus, à leur donner une histoire, à montrer leur environnement de vie, à laisser entendre comment leur vie a quitté les rails de la normalité, à dénouer la situation problématique. Il suit le format des histoires courtes (des nouvelles) de type EC Comics, mais sans recourir à un dénouement basé sur une justice immanente. Il trouve même le temps de développer d'autres personnages dans chaque histoire : les 2 inspecteurs de police Jialeou Hwan & Tony Briggs, le couple de personnes âgées Alice & Phil, l'étrange équipe de musiciens Captain Jack, Eleanor Rigby, Ziggy, Rocky Raccoon, Major Tom, et Sheila l'épouse de Joel.



S'il a déjà lu des histoires illustrées par Martin Morazzo (on peut ajouter Great Pacific et Snowfall, toutes les deux écrites par Joe Harris), le lecteur retrouve avec plaisir les caractéristiques de ses dessins. Il détoure les formes avec un trait fin assuré et précis, d'une largeur presque égale. Il représente des personnages avec des morphologies normales et variées : les enfants ressemblent à de vrais enfants et l'embonpoint de Bud Hickey est naturel. Le langage corporel des personnages est naturel et expressif, sans besoin d'exagération. Le lecteur peut voir le manque d'assurance de Byron du fait de son âge, l'agitation nerveuse de Karen du fait du manque de produit, le regard éteint de Bud Hickey privé de l'espoir de pouvoir un jour retrouver un semblant de célébrité, la résignation coupable de monsieur Carson qui a abandonné son fils à un jeune âge au point que Joel le connaît mieux que lui



Martin Morazzo s'implique également dans la représentation des différents environnements pour leur donner une consistance suffisante. Le lecteur peut observer l'aménagement intérieur du pavillon des McAllister, l'implantation des arbres dans le bois environnant, les larges rues de la zone pavillonnaire dans laquelle Karen conduit la camionnette, le bureau du poste de police où travaille Jialeou Hwan & Tony Briggs, le diner dans lequel Bud Hickey sirote son café, ou encore le bar dans lequel Joel et Carson père vont prendre un verre à la mémoire de Chris Carson. L'approche graphique de Morazzo est assez proche de la ligne claire, si l'on fait abstraction des ombres portées et des petits traits secs donnant un peu de texture sur certaines surfaces. Les dessins détaillés de l'artiste permettent au lecteur de se projeter dans chaque endroit, de suivre les gestes des personnages, de deviner leur état d'esprit à leur visage. S'il n'a jamais eu l'occasion de lire un comics illustré par Morazzo, le lecteur peut de temps à autre se trouver décontenancé par les détails des visages, avec des mentons parfois un peu pointus, une dentition découverte plus que la normale, et un manque de confiance en soi pour la plupart des personnages. Cela ne nécessite qu'un bref temps d'adaptation pour se faire à ce qui s'apparente à l'expression assez franche de l'humanité des individus.



Le lecteur se laisse donc charmer par la qualité de l'immersion grâce aux dessins descriptifs et consistants, et par des protagonistes très humains, banals dans leur quotidien, faisant preuve d'une contenance inattendue face au bizarre qui s'insinue dans leur vie. Il est difficile de trouver un sens clair au premier récit, en particulier à cette manifestation de la lycanthropie, mais les auteurs rendent plausible la situation de Byron. La deuxième histoire porte un jugement de valeur sur les vies foutues en l'air par la drogue dure, et l'injustice insupportable des victimes collatérales. La troisième histoire tourne en dérision l'individu qui se morfond dans son sentiment d'injustice. Maxwell Prince ne ramène pas ça à une injonction à rebondir mais à nouveau à un gâchis aussi pathétique que celui des junkies. La dernière histoire laisse un goût amer, entre le regret du père ayant abandonné femme et enfant pour une vie plus hédoniste, et le sentiment d'échec du mari qui s'embarque dans une vie familiale qu'il perçoit déjà comme castratrice.



Avec ces 4 épisodes inauguraux, W. Maxwell Prince & Martin Morazzo proposent 4 histoires de vie déstabilisante et décalées, vaguement reliée entre elles par l'existence d'un marchand de glace en périphérie de la vie des personnages. Ils jettent un regard clinique à des vies gâchées par des circonstances très différentes, tout en laissant sous-entendre que chaque individu concerné n'aurait pas pu faire autrement car il n'avait aucune prise sur les événements. Le lecteur sait qu'il reviendra pour le deuxième tome, tout en se disant que celui-ci a plus un goût de prologue que de chapitre complet.
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Ice Cream Man, tome 1

Un comic vraiment original et aux illustrations superbes. Chaque chapitre nous raconte une petite histoire dans laquelle notre vendeur de glace a un sacré rôle à jouer, puisqu'il ne va épargner rien ni personne.



Les intrigues sont emplies de frissons, les thèmes abordés sont contemporains et bien traités : araignée mortelle, drogue, dépression... C'est vachement bien amené.

Les dialogues sont percutants, les infos glissées au fil des pages hyper intéressantes et l'ambivalence du personnage central est intrigante à souhait.

Qui est donc réellement ce marchand de glace qui semble semer douleurs et mort sur son passage ? D'apparence avenante, on a juste envie de lui faire confiance et pourtant... Il réserve bien des surprises dignes des enfers.

L'apparition d'un autre personnage en tout fin d'ouvrage nous laisse sur notre faim, vivement le tome 2, hâte d'en savoir plus et de déguster de nouveaux parfums.



Singulier, morbide, glaçant (sans mauvais jeu de mot). Une vraie réussite.

Un bel ouvrage avec couverture cartonnée de qualité et papier glacé agréable. Très coloré, le top !



Et vous, quel est votre parfum de glace préféré ? Oseriez-vous le confier sans méfiance à l'Ice Cream Man ? Attention, il risquerait bien de vous empoisonner sans prévenir...
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Ice Cream Man, tome 2

"Ice Cream Man" a une force, celle de traiter de thématiques sociales tout en nous contant des histoires horrifiques. Les récits sont très variés, tout comme les découpages, les cadrages ou les couleurs. Un deuxième tome de bonne facture.




Lien : https://www.actuabd.com/Ice-..
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Ice Cream Man, tome 2

"Ice Cream Man tome 2" demeure toujours aussi incontournable de part sa vision totalement novatrice du récit indé.
Lien : https://www.lescomics.fr/rec..
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Ice Cream Man, tome 1

Le trait de Chris O’Halloran, à la ligne fine et claire, est ciselé ! Cela participe renforce l’atmosphère corrosive du titre. Son style nous donne l’impression de marcher sur le fil du rasoir, à cheval entre la réalité et le délire, entre la normalité et l’horreur.
Lien : https://www.lescomics.fr/rec..
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Ice Cream Man, tome 1

Ce premier tome pose sur la table de belles idées à exploiter, une mise en scène soignée ainsi qu’un angle scénaristique original.
Lien : https://syfantasy.fr/critiqu..
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