Yaa Gyasi

La première fois que j'avais vu Nana drogué, je n'avais pas compris. Il était prostré sur le canapé, les yeux révulsés, un léger sourire sur le visage. Je crus qu'il était à moitié endormi, plongé dans le plus doux des rêves. Des jours s'étaient écoulés ainsi, puis une semaine. J'avais fini par comprendre. Aucun rêve ne pouvait causer de tels ravages.

Je pense que lorsque les gens apprirent ce qui était arrivé à mon frère, ils imaginèrent que je m'étais tournée vers les neurosciences à cause de lui ; en réalité, je m'étais engagée dans cette voie non pas ce que je voulais aider les autres, mais parce qu'elle me semblait la plus difficile à suivre, et que je voulais faire ce qu'il y avait de plus difficile.

La seule manière sûre d'éviter l'addiction est de ne jamais toucher à la drogue. Cela paraît facile, et les politiciens et fanatiques qui prêchent l'abstinence dans de multiples domaines veulent nous faire croire que ça l'est. Peut- être serait-ce simple si nous n'étions pas humains, seul animal au monde qui soit prêt à essayer quelque chose de nouveau, de plaisant, d'inutile, de dangereux, d'excitant, de stupide, même au risque d'en mourir.

Je ne crois pas que ce pays ait apporté à ma mère tout ce qu'elle espérait quand elle avait demandé à Dieu où elle devait aller pour offrir le monde à son fils. Bien qu'elle n'eût pas traversé de rivière à gué ou franchit à pied des montagnes, elle avait pourtant accompli ce qu'avant elle tant de pionniers avait fait, elle s'était lancée hardiment, plein de curiosité, dans l'inconnu, avec l'espoir de trouver quelque chose de simplement un peu meilleur. Et comme eux elle avait souffert et persévéré, à part égale.

Je ne crois pas que ce pays [ Etats-Unis ] ait apporté à ma mère tout ce qu'elle espérait quand elle avait demandé à Dieu où elle devait aller pour offrir le monde à son fils. Bien qu'elle n'eût pas traversé de rivière à gué ou franchi à pied des montagnes, elle avait pourtant accompli ce qu'avant elle tant de pionniers avaient fait, elle s'était lancée hardiment, pleine de curiosité, dans l'inconnu, avec l'espoir d'y trouver quelque chose de simplement un peu meilleur. (p. 342)

Mes propres désirs font appel à des expériences qui peuvent faire progresser notre connaissance du cerveau, et mon désir de comprendre le cerveau dépasse tous mes autres désirs. Je comprends que ce qui fait notre supériorité humaine- la curiosité, la créativité, l'audace-est aussi ce qui menace la vie de tout ce qui existe autour de nous (...)
On m’a enseigné dans mon enfance que Dieu nous a créés supérieurs à l’animal, on ne nous a pas enseigné que je suis moi aussi un animal. (page 317)

"Quels sont vos objectifs ? Quelles sont vos ambitions ?" m'avait-il demandé. Je l'avais regardé en pensant: De combien de temps disposes-tu ? Je veux de l'argent et une maison avec une piscine et un compagnon qui m'aime et mon propre laboratoire avec les plus brillantes chercheuses. Je veux un chien et le prix Nobel et je veux trouver un remède à l'addiction et à la dépression et à tous nos maux. Je veux tout, tout en voulant vouloir moins. (p. 351)

Je ne savais pas où j'allais, je savais seulement que je ne voulais plus voir personne, ni les souris ni les humains. Je ne voulais même plus de ma propre compagnie, et si j'avais trouvé un moyen d'y parvenir, découvert l'interrupteur qui pouvait éteindre mes pensées, mes sentiments et les reproches qu'on me faisait, c'est ce que j'aurais choisi. (p. 366)

Depuis le banc du fond, le Christ a le visage même de l'extase. Je le contemple , et il se transforme, il semble tour à tour empli de colère, peiné ou joyeux. Certains jours, je m'attarde pendant des heures, d'autres, à peine quelques minutes, mais je n'incline jamais la tête. Je ne prie jamais. Je reste assise dans un silence béni, et je me souviens. J'essaye de mettre de l'ordre, de trouver un sens, une signification à tout ce bric-à-brac. Et j'allume toujours deux bougies avant de partir. (p. 371)

"Tu passes plus de temps avec les souris du laboratoire qu'avec des gens. Tu sais que ce n'est pas sain, hein ," me lança-t-il un jour.
Comment lui expliquer que le temps que je passais seule dans mon laboratoire était pour moi une façon de passer du temps avec des gens ? Pas exactement avec eux, mais de penser à eux, de communier avec eux au niveau de l'esprit, ce qui me paraissait aussi intime que n'importe quel dîner ou nuit passée à boire des verres. Ce n'était peut-être pas sain, mais d'une manière abstraite, il s'agissait de recherche pour améliorer la santé, cela ne comptait-il pas ? (p. 339)

Je ne parle pas du progressisme au sens politique, bien que cela en fît partie. Je parle du progrès dans le sens où apprendre naturellement quelque chose de nouveau implique de se débarrasser de quelque chose d'ancien. (p. 178)

Nous croyons celui qui a le pouvoir. C'est à lui qu'incombe d'écrire l'histoire. Aussi quand vous étudiez l'histoire, vous devez toujours vous demander : "Quel est celui dont je ne connais pas l'histoire ? Quelle voix n'a pas pu s'exprimer ?" Une fois que vous avez compris cela, c'est à vous de découvrir cette histoire. A ce moment-là seulement, vous commencerez à avoir une image plus claire, bien qu'encore imparfaite.

Elle parlait comme on s'adresse à une vieille femme dont les souvenirs, ces résistantes chrysalides, s'étaient transformés en papillons et envolés, pour ne jamais revenir.

C'était ainsi qu'on vivait ici dans le bush : manger ou être mangé. Capturer ou être capturé. Se marier pour être protégé. Quey n'irait jamais dans le village de Cudjo. Il ne serait pas faible. Il faisait le commerce des esclaves, et cela imposait des sacrifices.

Baaba se tenait à la grille de l'entrée. Elle semblait avoir vieilli de cent ans pendant les deux années d'absence d'Effia. Son rictus maussade était maintenu en place par les centaines de rides minuscules qui lui tiraient la peau, et ses ongles étaient devenus si longs qu'ils se recourbaient comme des serres.

Je sais que la psychologie et les neurosciences doivent travailler de concert si nous voulons embrasser la totalité du comportement humain, et l'idée de l'animal considéré comme un tout me satisfait parfaitement, mais ma question est : si le cerveau ne peut complètement expliquer des notions comme la raison et les émotions, alors qui le peut ? Si le cerveau "nous" permet de ressentir et de penser, alors que représente ce "nous" ? (p. 274)

La plupart du temps dans mon travail, je commence par les réponses, avec une idée des résultats. Je présume que quelque chose est vrai et je tente de m'approcher de cette présomption, expérimentant, bricolant, jusqu'à trouver ce que je cherche.
La conclusion, la réponse n'est jamais la partie la plus difficile. Le plus difficile est de déterminer quelle est la question, d'essayer de trouver quelque chose de suffisamment intéressant, suffisamment différent de ce qui a déjà été cherché, d'essayer d'en faire quelque chose d'important.(p. 225)

Je voulais garder mes péchés. Je voulais garder mon enfance, ma liberté de m'endormir dans la grande église sans que cela tire à conséquence. ( p. 191)

Ma mère s'était retrouvée enceinte de moi. Le Chin Chin et elle avaient depuis longtemps cessé d'essayer. La vie en Amérique était si chère que l'infertilité était une sorte de bénédiction. (p. 67)

Les neurosciences vous mettaient peut-être dans la catégorie intelligente, mais certainement pas sexy. Et si vous y ajoutez le fait que j'étais noire, c'était peut-être une anomalie de trop pour lui. Il ne me rappela jamais. (p. 35)