Citations de Yuri Herrera (14)
Ils sonnèrent. On entendit un bref échange à l’intérieur. Va ouvrir, toi, Qu’il y aille, lui, Bon, ben c’est moi qui y vais, Non, n’y va pas maman, Laisse-la y aller, Non, j’y vais. Putain, la bonne s’est tirée, dit Vicky, Maintenant il faut qu’ils apprennent à ouvrir la porte.
Qui pourrait bien enterrer la jeune femme ? se demanda-t-il, Car ça ne va pas être eux, ceux qui ont tant pleuré et proféré tant de menaces ne vont pas creuser sa tombe. Quand avons-nous cessé d’enterrer de nos propres mains ceux que nous aimons ? pensa-t-il, Qu’est-ce qu’on peut attendre de gens comme nous ?
J’ai besoin d’acheter des capotes, se souvint à voix haute l’Émissaire. Vicky le regarda, moqueuse. Pourquoi, tes mains sont râpeuses ? Non, parfois des miracles se produisent.
Sa Coccinelle le regardait l’air circonspect, comme pour dire Moi, je n’en ai rien à faire des épidémies. Aucune voiture ne te regarde droit dans les yeux comme les Coccinelle, pensa-t-il. C’était l’être le plus expressif du quartier.
Il apprit aussi les vérités suivantes: Être ici, ce n'est qu'une histoire de temps et de malheur. Il y a un Dieu qui dit: Serre les dents, les choses sont comme elles sont. Et, peut-être, le plus important: Éloigne-toi de l'homme qui est sur le point de vomir.
La culpabilité fait de la réalité un serrement de cœur à heure fixe.
La ville est un agencement nerveux de particules de ciment et de peinture jaune. Les panneaux d’interdiction fourmillaient dans les rues, incitant les gens du pays à se sentir toujours protégés, sûrs d’eux.
Des baluchons. Qu’emportent avec eux les gens dont la vie, de ce côté, s’achève ? Makina voyait leurs baluchons obstrués par le temps. Des porte-bonheur, des lettres, parfois un violon pour jouer un air entraînant, une harpe pour faire la fête. Des blousons. Ceux qui s’en allaient prenaient avec eux des blousons car on leur avait dit que là-bas tout n’était que glace, même si le voyage foisonnait de déserts. Ils glissaient le peu d’argent qu’ils avaient dans leurs caleçons et un couteau dans leur poche arrière. Des photos, des photos et encore des photos. Ils emportaient les photos avec eux comme s’il s’agissait d’une promesse mais, quand ils revenaient au pays, ils les avaient déjà perdues.
Regarder et regarder et regarder encore, puis ne pas regarder : il n’y a pas moyen, il n’y a rien qu’un amoncellement de dégoût de soi. Une grimace superbe, un monde paresseux.
Dire quelque chose, rêve, cruche, terre, percussion.
Dire n’importe quoi.
Écouter l’addition de tous les silences.
Nommer la largesse prometteuse.
Puis se taire.
Ils lui laissèrent l’accordéon pour qu’il aille dans les tavernes, c’est là qu’il apprit que pour les boleros on peut garder un visage doux mais que les corridos demandent que l’on s’investisse et que l’on joue l’histoire que l’on chante.
Elles existent. Toutes ces paroles. De sa composition. Déposées là, sans autre finalité que celle de féconder l’esprit. Elles existent. Elles broient la feuille de papier entre des rouleaux d’insomnie, elles mettent en garde, elles taquinent la blancheur aride du papier et du regard.
Il regarda son visage : un visage alerte ; il y a des visages qui ressemblent à des accidents, mais pas ce visage dont les différentes parties riment entre elles, pas cette peau de sable chaud qui façonne les pommettes rondes, la petite bouche, les dents qui mordillent une lèvre, pas ce visage qui à présent se déploie pour lui-même.
Si vous faites mon portrait je deviens inutile