Citations de Zechen Xu (29)
Pékin grouille de faussaires. S'ils se regroupaient comme le font les corbeaux, on les entendrait croasser par milliers.
L'embouteillage matinal de ZhongGuanCun durera jusqu'au soir. Quelle idée de construire un boulevard destiné aux embouteillages... Dix minutes plus tard, DunHuang cogite encore sur les bouchons, et l'autobus n'a pas fait cinq mètres. Autant continuer à pied. En marchant lui vient une autre facétie : quelle idée de vivre une existence vouée à la mort...
Personne n'a jamais décrété à quoi doivent ressembler les secrétaires du Parti. Le problème est son haleine fétide. Quant au logement, il est encore plus repoussant que l'haleine. Comment croire que la «chambre» annoncée puisse être cette cabane, à peine plus haute que DunHuang, dans un coin de cour, bâtie à la va-vite ? Une simple couche de brique fait office de murs, quelques plaques servent de plafond, le tout étant couvert de lambeaux d'amiante pour protéger de la pluie. Que pareil gourbi soit considéré comme habitable tient du miracle, un prodige de l'histoire de l'architecture.
"Les chats aveugles n'attrapent que des rats morts". Proverbe chinois.
QiBao est un sport de combat, une cascade qui déferle sur lui et tourbillonne. Il en oublie ce qu’il est censé faire. Plus tard, le torrent rejoint la plaine et s’y évase. DunHuang remonte la pente et jouit de la douce fertilité des basses terres. Quelques secondes d’éblouissement font flotter son corps sur un vaste lit d’eau.
Cette année-là, il ne s’est rien passé, dans la rue des Fleurs, à part l’arrivée d’une femme. Elle y est apparue la veille du jour où la pluie des prunes a commencé, et elle est morte le lendemain du jour où la pluie a cessé. C’est son histoire que je veux vous raconter.
Les jours s'étirent, les culs circulent, tous pareils, tous différents: grands, petits, gros, maigres, ronds, plats, mûrs ou immatures, fermes ou informes. A trop regarder, tout devient flou. Les paupières closes de DunHuang abritent une paire de choses charnues qui se trémoussent. Rien d’appétissant en général, plutôt des formes atypiques, contrairement à son idée de départ. La laideur, toujours spécifique, se décline à l'infini, mais les jolis culs se ressemblent terriblement.
BaoDing ne fait pas de manières et lui donne un conseil : Ne prends pas les choses trop à cœur parce qu’à Pékin tout peut arriver. Le pire est toujours possible.
Voilà bien Pékin, on peut y galérer toute une vie sans trouver la sortie.
La propriétaire arpente la cour. Elle cherche un moyen d’augmenter le loyer. Revenant d’une énième vérification du compteur d’eau, elle aperçoit la lampe allumée dans le cabanon. Elle pousse la porte, le lit est couvert de pochettes. L’interrogatoire commence :
« Qu’est-ce que c’est ?
- Des films, répond DunHuang.
- Non, réplique l’intruse, ce sont des DVD, des DVD piratés. D’ou viennent-ils ?
- Achetés.
- Pourquoi en acheter autant ?
- Pour les vendre.
- Ainsi, tu vends des DVD piratés, accuse l’a proprio, l’index pointé sur DunHuang. Tu te livres à des activités illicites, voilà la vérité !
- Madame, qu’appelez-vous « Illicites » ? Les rues regorgent de DVD, les magasins de disques qui ont pignon sur rue en vendent aussi.
- Le piratage est illégal. Je suis secrétaire de cellule du Parti, tu ne m’embobineras pas ! Tu as déjà menti en prétendant vouloir devenir chercheur !
- Ce n’est pas moi qui l’ai dit, c’est vous.
- Moi ? Comment ça ? Si tu ne l’avais pas dit, comment aurais-je su que tu voulais entrer à l’UP ? »
Il n’est pas d’humeur à se disputer et continue à trier ses films : « Madame, ce serait plus simple de dire ce que vous avez à dire, d’accord ?
- Entendu, j’irai droit au but. Je ne peux pas héberger chez moi un vendeur de DVD piratés...pour seulement quatre cent cinquante par mois. Quand la police l’apprendra, je ne saurai plus où me mettre. Je suis secrétaire de cellule, voyons !
- Vous voulez combien ?
- Cent de plus. »
DunHuang la regarde en tapant sur le mur trop mince : « Madame, le bail n’est pas à son terme et vous voulez déjà augmenter, ce n’est pas raisonnable. Vous devriez profiter du fait qu’il fait encore jour pour aller dehors vous rendre compte de l'état réel de ce réduit. Si vous êtes entièrement convaincue qu’il vaut cent de plus, revenez me voir. »
Son expérience de secrétaire de cellule la pousse à changer aussitôt de tactique : « L’argent ne compte pas, seule compte ma réputation. Je ne peux pas laisser un délinquant habiter chez moi en toute impunité. Tu trouves le loyer cher, alors ne loue pas. Près de l’UP et dans toute la techno pole, je n’ai jamais entendu parler d’un propriétaire qui n’arriverait pas à louer.
- Parce que vous espérez encore louer à des étudiants ? Les nouvelles résidences universitaires poussent comme des champignons. Ils préfèrent les tours où un studio ne coûte que mille yuans vingt à l’année ! L’ancien ensemble des Dix Mille Saules, qui était bondé à craquer, est vide à présent et ouvert à tous vents.
- Tu te payes ma tête ?
- Je me suis renseigné puisque je prépare le concours d’entrée au doctorat. Peu importe, pas la peine de se fâcher : j’ajoute cinquante, c’est à prendre ou à laisser. Sinon, je chercherai une autre location dès demain. »
Elle sort, puis revient peu après frapper à la porte. « C’est ouvert », crie DunHuang. Elle se contente de parler à travers l’huisserie : sa fille, à qui elle vient de téléphoner, lui a rappelé comme c’est dur de vivre au loin sans sa famille. Donc elle va faire un effort, OK pour cinquante, mais qu’il s’en souvienne le mois prochain.
« Bouffe-le ton putain de fric !
- Pardon ?
- Pas de problème, je gagnerai la différence. »
Quand il pousse la porte de chez lui, QiBao lâche un cri en saisissant la télécommande. Elle rougit. À l’écran s’est figée l’étreinte d’un couple nu. Au lieu d’arreter le DVD, elle a pressé la touche pause. Désemparée, elle jette la télécommande par terre. DunHuang se met en devoir de la tranquilliser :
« Regarder du porno, et alors ? Ça n’a jamais tué personne ! C’est moi qui ai lancé ce film tout à l’heure. D’ailleurs, on n’a qu’à le voir ensemble.
- Non ! Je ne regarderai pas ça avec toi ! dit-elle, ayant retrouvé son aplomb.
- Sans regret ? Vraiment ? Avec l’âge, on n’a même plus envie de voir ces choses-là. »
Ce disant, il s’installe bravement à côté d’elle et relance la lecture. Il remet le son qu’elle avait coupé tout à l’heure, on n’en est plus à un détail près. QiBao ne bouge pas d’un millimètre. Ils se taisent, raides et rivés à l’écran où les amants ont repris leurs ébats : des mouvements aisés, des voix ondulantes qui emplissent la chambre d’un trouble suave. Sur le rebord du lit, ils sont comme deux statues de marbre, conscientes peu à peu de leur respiration. DunHuang bouge un tout petit peu, elle aussi, leurs genoux se touchent. Les cœurs restent en suspens, les genoux collés. Ils se tournent peu à peu, les visages s’interrogent et les regards s’embrasent. QiBao se jette sur lui.
« DunHuang, DunHuang.
- QiBao, QiBao. »
La suite est brouillonne, comme à l’écran. DunHuang ne s’attendait pas à ce déshabillage expéditif, encore moins aux manières débridées de sa partenaire. Une furie sauvage. N’aurait-il rien appris auprès de Xia ? Il se sent taiseux, trop calme, à la traîne et franchement dépassé. QiBao est un sport de combat, une cascade qui déferle sur lui et tourbillonne. Il en oublie ce qu’il est censé faire. Plus tard, le torrent rejoint la plaine et s’y évase. DunHuang remonte la pente et jouit de la douce fertilité des basses terres. Quelques secondes d’eblouissement font flotter son corps sur un vaste lit d’eau.
À l’ecran aussi, l’empoignade est terminée. Lui succède un fond bleu uni et muet comme la mort.
En mai, nouvelle tempête de sable, une intempérie tardive et rare d’apres les annales météorologiques de la capitale. Quoi qu’il en soit, l’ouragan recommence. Vingt-quatre heures de rafales sans discontinuer enroulent sable et poussière jusqu’au ciel. Les femmes se drapent de châles protégeant cou et décolleté de toute intrusion ; les hommes relèvent leur col et chaussent des lunettes noires. Tout le monde se couvre, protège sa peau : le mois de mai pékinois a rarement été aussi strict, aussi prude. Puis le vent cesse, d’un coup, sans préavis météo, comme un coureur de cent mètres dont les pieds récalcitrants feraient grève à mi-parcours. La fine poussière compactée entre ciel et terre diffuse un jaune crépusculaire. Les indicateurs de pollution atmosphérique s’emballent et les médias répètent que toute sortie est inappropriée tant que l’atmosphère brasse autant de particules.
"Il est trop bien, ce livre." Le fait est que DunHuang s'étonne de comprendre ce qu'il lit. Il croyait qu'un texte sérieux était par définition obscur, abscond, abyssal. Comprendre est excitant, il se sent presque intello.
On peut très bien vivre sans savoir que la Terre est ronde, 90 % des gens n’ont pas besoin de cette information.
Dans la bouche, elle avait un certain goût ; quand on avalait, elle en avait un autre ; après, le goût qui vous restait sur la langue était encore différent ; et quand on ouvrait la bouche pour aspirer de l’air frais, un quatrième goût apparaissait. Graduellement, l’effet était très fort.
Les gagne-petit ont bien du mal à faire bombance dans ce foutoir pékinois, mais y crever de faim est tout aussi difficile...
À penser en boucle, les yeux en vrille dans l'obscurité, un sentiment d'échec s'installe. Voilà bien Pékin, on peut y galérer toute une vie sans trouver la sortie.
Tenir le plus longtemps possible, ensuite on verra. Le jour finira bien par se lever.
Comment peut-on écrire des choses pareilles ?
« Un bon marinier, lui, voit loin, il se risquerait pas à emprunter des chemins détournés ; où qu’on soit sur terre, le raisonnement est le même. »