Citations de Élisabeth Revol (39)
Mon infinie gratitude à Tomek Mackiewicz, et tout mon respect pour sa fascination mystique du Nanga Parbat (l’appel de Fairy !), difficile à comprendre pour les non-initiés, mais qui a inspiré chaque nouvelle tentative sur ce sommet en hiver.
Je ne ressens plus d'émotions particulières, plus de colère, plus d'incompréhension. J'ai un but et j'avance.
J'ai dépassé l'altitude symbolique des 8 000, parmi les plus hauts sommets de la Terre, le rêve de tout alpiniste…
Depuis, mon cœur reste aimanté par ces très hauts sommets où j'ai vécu des moments magiques, accédé à une joie et à un état de contemplation difficiles à décrire et à partager.
23h06. Ludo : "Tiens bon la nuit est longue mais finalement très courte par rapport à la vie qui t'attend."
Rarissimes sont les alpinistes qui tentent l'ascension d'un 8000 mètres, qui plus est en hiver, en style alpin, c'est-à-dire le plus dépouillé qui soit : sans oxygène, sans cordes fixes, sans assistance, sans porteurs. Sans aucun filet.
Aujourd'hui, ce qui me fait le plus mal lorsque je repense à cet instant, c'est que Tomek n'a pu voir ce sommet qu'il désirait tant. Comme si ce Graal lui était défendu...
L’alpinisme me permet, j’en suis certaine, de mieux vivre en société. Pour moi, la vie en bas est parfois pesante. J’assume un côté peut-être asocial antisocial. En tout cas, ce sont les bouffée d’oxygène glanées en montagne qui détendent mon rapport quotidien au monde. C’est mon point d’équilibre. La fuite du quotidien. La fuite du modèle social, de l’aménagement confortable et routinier d’une vie, qui limiterait trop mes aspirations physiques, spirituelles, mes désirs de liberté. Et l’envie de vivre mes propres expériences, de me faire ma propre opinion.
Je viens ici pour prendre la pleine mesure de la vie, pour évaluer la distance, l'espace avec mes pas, ressentir avec mes seules ressources, mon énergie.
Cette journée difficile est toujours plus facile qu'une journée de travail en bas !
Effort, élévation, excitation, stress, questions, puis plénitude, le cocktail me comblait chaque fois un peu plus.
Je suis addict à la montagne.
Une passion trop forte emprisonne, une raison trop rigide prive d'élan, de liberté. (p190)
Pas après pas je gravissais mes reliefs intérieurs. (p189)
L'ascension de l'Everest est désormais à l'image de notre société "sécuritaire", de"cosommation", aseptisée, avec un bon ratio succès /rapidité. De nos jours, l'aventure, l'exploration sont à trouver ailleurs.
L'ascension de l'everest s'est banalisé.
[...] et pourtant, au fil des jours depuis mon arrivée au camp de base début avril, j'ai remarqué que chacun des "prétendants au sommet" a une histoire personnelle avec l'everest, une motivating singulière, légitime et respectable, et voir sa propre aventure, au final, même en conditions aseptisées. Mon regard a évolué, change sur ces candidats au Toit du monde, que je comprends :aux aussi recherchent une parenthèse dans leurs vies quotidiennes, une vie "allégée", en apesanteur, pour quelques semaines.
Je lui en ai énormément voulu, car on n’explose pas comme cela là-haut quand on a son expérience ! Il était si costaud, mon Tom, un vrai tracteur, super résistant. Nous avions toujours étudié avec lucidité les risques durant nos expéditions pour les réduire autant que possible. Mais cette fois, Tomek avait négligé certains signes d’alerte, c’est indéniable. Et moi, je n’ai pas su voir ces signes, je n’ai pas su nous imposer le demi-tour.
Mais comment trouver l'équilibre entre passion et raison? Une passion trop forte emprisonne, une raison trop rigide prive d'élan, de liberté. Comment ne plus me faire dépasser par mes propres choix et ne plus me laisser enfermer dans ma passion? Comment ne pas me laisser enfermer par l'ego dans notre société fondée sur l'évaluation, la comparaison, la rivalité?
Le vent dessine de scintillantes traînées de neige dans l'air. Je me calme, je respire profondément. Je suis entre deux mondes; la terre et le ciel. Les genoux bien collés au sol par l'attraction terrestre, mais les mains touchant du doigt les étoiles.
Avide d'assouvir mes désirs avant tout, craignant de regretter toute ma vie de ne pas accomplir mes rêves, vivant entre le passé - ce que j'ai fait - et le futur - ce que je veux faire et où -, mais négligeant l'ici et maintenant, le présent : qu'est ce que je vis en cee moment, quels sont mes sentiments ? (p191)
Je suis responsable de n'avoir pas pu redescendre Tomek et Tomek est responsable de n'avoir pas été en mesure de renoncer ou de redescendre. Mais seul Tomek a payé le prix fort, et je suis seule en vie aujourd'hui.