Citations de Élise Turcotte (86)
Raconter, expliquer, et être crue tout à fait. C’était un élément banal dans ma petite vie sans drame, mais j’ai enfin compris que c’était impossible. Toute l’actualité du monde me le disait pourtant. Un doute persiste toujours, et c’est pourquoi on continue de répéter la même histoire. Ou pas.
Je n'écris pas pour dévoiler la vérité. Simplement, j'ai besoin de dessiner une ouverture afin qu'une vérité ne soit pas enterrée vivante.
Plus les jours passent, plus je lis lentement, et plus les mots s'ouvrent comme de multiples printemps.
Le soir venu, pour mon plaisir, j’entretiens la pensée que même dans la mort, je suis désobéissante. (p. 81)
Dimanche nous étonne; le réel construit la musique, et plus tard, la lumière qui nous reste. Dehors, le vent décolore le ciel, les maisons. Le cœur change, soudain il entraîne la ville derrière nous avec le passé. Nous comparons les passions, la durée. Nous sommes partout, apprenant l’espace et la couleur pleine d’objets. Le pôle Nord se trouve quelque part dans notre cerveau. Pour une fois, la peur ne remplit pas le réel. Ni la forme du rêve. Ni l’image immédiate de la disparition.
Nous aimons donc, finalement, les aiguilles qui tournent. Nous aimons qu’il soit l’heure de quelque chose, après le hasard et l’amour qui sépare en deux la maison. Nous dînons avec des amis, ajoutant des livres sur les étagères; cela nous remplit de paysages. Un dimanche, il y a des larmes, la vie qui arrête et qui brûle près de nous. Nous regardons, finissons notre repas dans les ténèbres.
Nous habitions maintenant un espace en dehors de la loi, et ce n'était pas parce que nous étions morts. C'était parce que nous avions continué à lire, contre le monde... (...)
J'ai toujours pensé que toutes les choses étaient liées, même si c'est parfois par un fil invisible, et qu'il faut porter à tout une extrême attention parce qu'en perdant une seule petite chose, on pouvait laisser tomber tout le reste. Je pensais qu'une chemise mal attachée était liée au désordre de l'univers.
Maria était déjà toute ma vie, mais je savais très bien qu'il ne fallait pas que je sois toute la sienne. Enfin, pas pour toujours. C'est ce que j'ai toujours trouvé le plus difficile dans l'amour : ne pas être toute la vie de quelqu'un.
Les livres parlent d’apparition et de disparition,
comme le cinéma et le théâtre.
Celui-ci n’est pas tout à fait un roman
ni un récit.
C’est la descente dans un puits,
une cérémonie mexicaine,
une enquête dans la ville.
C’est une photo où une femme apparaît
en personnage oublié.
Une boîte enchantée où mon visage
se dessinerait s’il le pouvait
dans un miroir inversé.
Personne ne peut me protéger du monde dans lequel je vis.
Non, la tristesse ne nous fait pas mourir, mais elle nous fait embrasser trop fort ceux que nous aimons.
J'ouvre le premier flacon. Orange et bergamote maquillent un court instant la petite salle moisie. Le deuxième parfum demande plus d'attention, c'est la mandragore, un poème au paysage surréel dessiné lorsque j'étais vivante. Le troisième est une soirée paisible après la mousson. C'est celui que je portais quand je suis morte.
je voudrais nous servir un verre
et prier dans ce jardin
mouillé
mais je parle
une langue déraisonnable
sans savoir où tu es
Mes élèves viennent d’entrer.
J’ai envie de leur raconter. Que Can Xue écrit pour se venger, pour exhaler des bouffées de miasmes. Cela irait à l’encontre de tout ce qu’ils ont appris. La littérature concevable et guérisseuse. Je choisis plutôt, pour l’instant, de leur parler de la couleur rouge et des ginkgos.
-«La poésie te charme, écrit Can Xue en exergue du premier dialogue. Elle te charme, afin que tu crées des miracles». Que veut-elle dire? (p. 30)
Une chose qui n’existe pas ne peut nous être enlevée !
La rébellion commence avec la connaissance !
Les mots ne signifieront bientôt vraiment plus rien. Il aurait fallu les entreposer avec leurs souvenirs dans des bocaux remplis de formol, y enfermer aussi l’essence d’un être afin de le libérer à un moment comme celui-ci.
Me voici enfin sauvée par mes élèves, les enfants de la fleur humaine et sauvage.
Si au moins je n'avais pas eu à les convaincre de la beauté de la vie écrite.