A l’heure où chacun tente d’éliminer les excès des fêtes de fin d’année et où le spectre de la galette à la frangipane nous hante, L’épidémie, le roman d’Åsa Ericsdotter sonne comme un coup de semonce. Pas question de Covid ici, le titre est trompeur ! Mais plutôt de calories, de graisse et d’Indice de Masse Grasse dans ce polar suédois très étonnant. En épitaphe, rien de moins qu’une citation de Naomi Wolf, tirée de The Beauty Myth : « Dieting is the most political sedative in women’s history; a quietly mad population is a tractable one ». En français par la traductrice : Les régimes sont le sédatif le plus politique dans l’histoire de la femme ; une population malade est une population malléable.
Un polar qui tranche sévèrement avec l’esprit de Noël… Vous vouliez vous baffrer ? oubliez. Le prix du sucre a été multiplié par 3 et il devient difficile d’en trouver dans les magasins… Vous vouliez du beurre pour vos tartines du matin ? Fichu, les taxes ont été augmentées et cette mauvaise graisse est devenue un produit de luxe. Vous vouliez assister à la messe de minuit ? Raté, les églises sont devenus des sanctuaires du sport et du bien-être : « C’était typiquement américain de réussir à transformer le christianisme en des jingles commerciaux. Les prédicateurs télé le faisaient quotidiennement. Mais transformer le message chrétien en une méthode de régime ? ça ressemblait à une blague. » Et pourtant, c’est bien ce qui arrive dans les premiers chapitres de ce polar sauce suédoise allégée.
A la tête de ce programme d’amincissement et d’assainissement national, le charismatique Premier ministre Johan Svärd. Fasciné par les prédicateurs américains, il s’inspire de leurs méthodes pour mettre au régime la Suède : « Dans la théologie d’O’Brien, la pénitence était la même chose que le régime. Moins on mangeait, plus Dieu était satisfait. Chaque kilo perdu était un pas de plus vers la rédemption. La porte du paradis est assez large pour une personne, dit O’Brien. Si tu es large comme deux personnes, tu ne passeras pas la porte. »
Un discours hygiéniste qui se traduit par des décisions de plus en plus totalitaires. L’obésité devient un fléau voire un danger pour l’économie et le pays. Les maladies cardio-vasculaires coûtent trop cher et il faut les éradiquer. La solution ? Les estomacs sont réduits par chirurgie bariatrique à tour de bras, les convocations pour « séminaires de régimes » sont légions et un emploi ou un appartement ne tient plus à vos compétences ou vos capacités de paiement mais bien à votre Indice de Masse Corporelle : « Elle n’arrivait toujours pas à comprendre comment le Parti de la santé avait pu mettre en place une telle loi sur l’embauche. Des licenciements en fonction du poids des employés. C’était une pure folie.
Tous les fonctionnaires avec un IMGM supérieur à 42 avaient trois semaines pour perdre du poids. Trois visites gratuites chez un nutritionniste diplômé et deux semaines de médication subventionnée ou de soins. Si on réussissait, on avait le droit de garder son poste. Si on échouait, on devait le quitter. »
La grossophobie est enclenchée et les obèses sont devenus des obstacles au rayonnement de la nation. Le peuple suédois se laisse faire bon an mal an et accepte ce régime, au sens strict du terme, totalitaire. Le Parti de la Santé vise un idéal de pays sans matière grasse. Les « porcs » doivent disparaître. Et s’infiltre tout doucement, au fil des pages, le totalitarisme le plus dangereux et meurtrier. Comme un relent de nazisme que la Suède aurait mal digéré…
Les protagonistes subissent de plein fouet les décisions du Parti de la santé : l’anti-héros Landon Thomson-Jaeger, un jeune universitaire, assiste impuissant à l’anorexie morbide et mortel de sa fiancée ; Héléna, elle, a fui Stockholm pour s’isoler à la campagne quand sa fille a été détectée par l’école comme étant en surpoids et inscrite dans une classe spéciale ; Gloria, une universitaire brillante est mise au ban en raison de son poids. Passée la phase de sidération et de culpabilité, elle décide de mener l’enquête : « Le problème venait peut-être du pays lui-même ? la célèbre modération suédoise. La fiabilité vaniteuse de Volvo. Le minimalisme médiocre d’Ikea. Qui d’autre qu’un Suédois pourrait transformer ça en une vertu dans laquelle se lover ? »
Ecrit en 2016, ce roman n’a donc rien à voir avec l’épidémie actuelle. Åsa Ericsdotter a écrit ce premier polar pour dénoncer la discrimination contre les personnes en surpoids. Cette poétesse, née en 1981 à Uppsala et qui a écrit son premier roman à l’âge de 17 ans, nous plonge dans une satire sociale de haut vol. C’est son premier roman à paraître en France.
Totalitarisme, populisme et relent de nazisme : ce polar a tout pour déplaire à vos estomacs. Ce thriller politique est profondément glaçant et perturbant. Cette chasse aux gros, comme une chasse aux sorcières, rappelle de sombres heures. Les trains se sont transformés en bétaillères et les camps de concentration sont devenus des abattoirs ou des fermes abandonnées. Mais le processus est le même. Et seule la mort attend les « pointés du doigt ». Un fascisme du fitness et de la nutrition puissance XXL. Une dystopie éminemment cauchemardesque. A éviter si vous venez de manger…
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