Deux poètes marins, deux revenants, se retrouvent lors d'une escale imaginaire. Un siècle sépare la date de leur départ. Tristan Corbière est breton, il chante la marine en bois, la mer taillée à coups de hache. Louis Brauquier est provençal, il chante la marine en fer, les grands cargos des messageries maritimes. Enrichis de leur différence et complices dans leur amour de la mer, ils nous entraînent dans un voyage de vie, de rêve, de fureur et d'amitié. Dans un décor de voile sublimant la poésie des textes, Bernard Meulien et Gérard Pierron jouent les rôles de Corbière et de Brauquier. Ils sont accompagnés de leur équipage musical : Marie Mazille (violon, clarinette, chant...), Patrick Reboud(accordéon,dulcitone...) et Yves Perrin (guitares).
Spectacle créé au Théâtre de St Barthélémy d'Anjou en septembre 2011.
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IRREPARABILE
Le temps s'enfuit par des fissures invisibles
Qu'il creuse à travers les murailles transparentes
De notre vie ;
comme s'il en avait assez
D'être menacé de mort par des imbéciles,
D'être usé bassement par toutes ces besognes
Qui, à la longue, ne l'intéressent plus,
ou
Par ces plaisirs, toujours les mêmes, monotones.
Il s'évade vers de grands paysages calmes
De sources, d'arbres verts et de temples,
ou errent
Dans le silence de l'éternité primévale,
Lointaines et nues, de belles formes divines
Qui se rencontrent, s'accompagnent, puis se déprennent.
Et, comblées de bonheur, sous le ciel triste et pur,
Parfois pleurent d'ennui au fond des bois secrets.
NB : J'ai cru à une erreur pour le TITRE IRREPARABILE mais en cherchant j'ai vu que c'était un mot italien.
Les rêves dorment dans l'épaisseur du sommeil.
Serpents lovés qui se déroulent lentement
Lorsque nous atteignons la profondeur du songe
Et qu'ils perçoivent la chaleur de notre corps.
Alors, ils nous enlacent vers d'autres mondes,
Nous abandonnent nus sur des plages obscures,
Et vont se rendormir aux limbes de la nuit.
Je t'ai appelé longtemps,
Personne n'a répondu.
Entre nous de longs espaces,
Des villes et des campagnes,
Des montagnes et des fleuves,
Des voies de chemin de fer ;
Et du jour et de la nuit.
Et de la pluie et du vent.
Des saisons, surtout des tristes.
Mais le silence sur tout.
LES MAINS REVENT
Les mains rêvent à l'infini,
qui se souviennent
De délices sauvées de l'absence ;
anxieuses
De recréer ce qu'elles ont au bout des doigts :
La douceur, la tendresse et le plaisir des corps.
Impuissantes sur l'ineffable, mains douloureuses,
Mains songeuses, mains inutiles, mains heureuses.
Vie brève, la mort infinie.
L'espoir tend ses rets d'oiseleur.
Anxieuse une étoile file,
Se hâte vers une autre nuit.
Désirs, astres inaccessibles.
Et l'ombre est noire, du bonheur
LOUANGE INACHEVEE
Mon île blanche, ma polaire
Au firmament des nuits furtives ;
Ma dérive, mon habitacle,
Mon hivernage, mon printemps :
Ma statue renversée qui s'anime dans l'ombre ;
Ma lampe à huile au seuil d'un autel hors d'atteinte ;
Mes feux de position qui divergent vers le ciel ;
Mes yeux noyés au fil de l'eau des fjords tranquilles,
Ma carène éclairée aux brûlots des calfats,
Ma sirène sur le récif des îles Vierges,
Ma sirène écumante aux gouffres de l'amour ;
Ma cavale échappée des hauts reliefs rupestres ;
Ma caravane morte aux routes de la soie ;
Ma grande houle née au large des Australes
Qui s'apaise et s'endort sur ce rivage obscur.
En vain, j'ai couru après ma jeunesse.
Très
Vite je l'ai perdue de vue.
Ceux qui pouvaient
La rencontrer, que j'interroge, n'ont jamais
Reconnu celle que je croyais leur décrire.
Sans doute ne veut-elle pas être rattrapée.
Que me dirait-elle que je puisse comprendre ?
Et moi, que lui dirais-je qui ne l'ennuierait ?
Que lui importe maintenant que je la regrette ?
Que lui importe après tout que je l'aie aimée ?
(C'était avant, me dirait-elle, qu'il fallait.)
Et, enfin, que lui importe que j'en meure ?
Si je puis en rêver jusqu'au dernier moment.
POUR NOUS QUI N'AVONS PAS VU
Pour nous qui n'avons pas vu,
Il y a sur la carte du monde
Des noms de villes qui flottent
Aux lèvres comme des senteurs
Exotiques de vérandahs
Par la côte du Pacifique,
Ou comme des cris d'enfants
Sur les plages péruviennes.
Des noms de villes brûlants
Comme du carry sur la langue
Singapour, Bornéo et l'archipel malais.
D'autres soulevant des puissances,
Chair et dollars, comme un whisky
Bu dans un bar de Chicago,
De New York ou d'Oklahoma.
Noms de ports surgis dans les brumes
En passant par Liverpool
New-Zealand, Gothembourg jusqu'à
L'étonnante Terre Edouard VII.
Et puis enfin des noms perdus
Dont peut-être plus rien n'existe,
Des noms de contrées impossibles
Comme la Terre de Feu
Ou bien les Iles Sous-le-Vent.
Le bonheur, c'est d'attendre avec un peu d'espoir,
Une lettre apportant de mauvaises nouvelles,
La sonnerie et cette voix au bout du fil,
La rencontre d'un beau visage désiré.
Le bonheur, c'est avoir quelque chose à attendre.
Le désir se nourrit d'absences, de regrets,
De la violence des rencontres difficiles
Du souvenir moins pur que la réalité,
Et, toujours, de la peur d'avoir perdu l'amour.
Torrent fou, arrachant aux parois souterraines
Les oiseaux, les serpents gravés des millénaires,
Aveugle dans le secret de sa résurgence.
Pour affleurer, parfois, source au coeur du désert.
Autrefois je me demandais dans les lointains
Ports exotiques, si je reverrais Marseille,
Après toutes ces années, au mouillage dans la nuit.
Maintenant, tant de fois revenu, quand elle
Installe ses phantasmes au chevet de la chambre,
Je voudrais être sûr que je reverrai l'aube.