INTRODUCTION :
« Le siècle qui commence trouve une Argentine confiante en l'avenir. le positivisme à la mode met une foi illimitée dans les avancées du progrès et de la science, et la croissance de la jeune république autorise une vision optimiste du destin national. La classe dirigeante a bâti son programme sur la base d'une instruction publique et gratuite pour tous, destinée à réaliser l'intégration culturelle de la deuxième génération d'une masse énorme et hétérogène d'immigrants à peine débarqués d'Europe. Cette Argentine, qui est à l'époque une toute jeune nation - sa guerre contre les Indiens n'est terminée que depuis vingt ans -, dépend économiquement de l'Angleterre, est fascinée par la culture française et admire autant l'opéra italien que la technologie allemande. Ce qui ne l'empêchera pas de tâtonner à la recherche de sa propre identité, à la faveur d'un sentiment nationaliste exacerbé dès 1910 [
].
L'avant-garde poétique porte le sceau du modernisme, largement diffusé à Buenos Aires par Rubén Darío qui [
] marquera d'une empreinte durable la vie culturelle du pays. [
] La quête de la modernité inscrite dans le nouveau courant anime déjà ce pays avide de rallier un monde qui ne jure que par Le Louvre, la Sorbonne et Montparnasse. [
].
[
]
La seconde décennie du siècle [
] marque un tournant décisif dans la réalité argentine. [
] Hipólito Yrigoyen accède au pouvoir. Avec lui surgit une nouvelle classe sociale, issue de l'immigration et amenée, pour un temps, à prendre la place de la vieille oligarchie qui a dirigé le pays depuis les premiers jours de l'indépendance. [
]
Cette modernité, qui relie les poètes argentins à l'avant-garde européenne, se concrétise avec le retour au pays de Jorge Luis Borges, en 1921. [
]
Dans un article polémique paru dans la revue Nosotros (XII, 1921), Borges explique : « Schématiquement, l'ultraïsme aujourd'hui se résume aux principes suivants : 1°) Réduction de la lyrique à son élément fondamental : la métaphore. 2°) Suppression des transitions, des liaisons et des adjectifs inutiles. 3°) Abolition des motifs ornementaux, du confessionnalisme, de la circonstanciation, de l'endoctrinement et d'une recherche d'obscurité. 4°) Synthèse de deux ou plusieurs images en une seule, de façon à en élargir le pouvoir de suggestion. » [
]
[
] les jeunes poètes des années 20 se reconnaissent au besoin qu'ils éprouvent de revendiquer une appartenance et de se trouver des racines. [
]
Il faut attendre une dizaine d'années encore pour que, dans le calme de l'époque, de jeunes créateurs, avec l'enthousiasme de leurs vingt ans, apportent un élan nouveau et de nouvelles valeurs poétiques. Prenant leurs distances par rapport à l'actualité, ils remettent à l'honneur le paysage et l'abstraction, ainsi qu'un ton empreint de nostalgie et de mélancolie. [
]
Les années 60 correspondent en Argentine à une période d'apogée culturel. le secteur du livre est en plein essor ; de nouvelles maisons d'édition voient le jour et, conséquence du boom de la littérature sud-américaine, la demande d'auteurs autochtones augmente, ce qui facilite l'émergence de noms nouveaux. [
]
La génération des années 70, à l'inverse, est marquée au coin de la violence. Plus se multiplient les groupes de combat qui luttent pour l'instauration d'un régime de gauche, plus la riposte des dictatures militaires successives donne lieu à une répression sanglante et sans discrimination qui impose au pays un régime de terreur, torture à l'appui, avec pour résultat quelque trente mille disparus. [
] » (Horacio Salas.)
CHAPITRES :
0:00 - Titre
0:06 - Macedonio Fernández
0:23 - Leopoldo Lugones
1:22 - Baldomero Fernández Moreno
2:21 - Enrique Banchs
3:17 - Générique
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE :
Horacio Salas, Poésie argentine du XXe siècle, traduction de Nicole Priollaud, Genève, Patiño, 1996.
IMAGES D'ILLUSTRATION :
Macedonio Fernández : https://juanpebooks.com/macedonio-fernandez-german-garcia/
Leopoldo Lugones : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/ed/Leopoldo_Lugones.jpg
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...
Oui, comme celui qui tremble,
comme celui qui tremble heureux d'un beau rêve
et, endolori, du réveil qui le lui ôte
et, néanmoins, c'est la réalité qui l'attend
et le réveil qui garde son bonheur ;
ainsi tremblant je suis
...
Sí, como quien tiembla,
como quien tiembla feliz de su sueño hermoso
y, dolorido, del despertar que se lo quite
y, empero, es la realidad que lo espera
y el despertar lo que guarda su dicha,
así estoy trémulo
Ô Éternelle, Que Dans Ta Bouche Ne Se Dise Plus : Je Suis Passagère / Oh Eterna, En Tu Boca Ya No Se Diga Más : Soy Pasajera — MUSÉE DU ROMAN DE L'ÉTERNELLE (extraits, pp. 134-135)
JE CROYAIS
N’atteint pas tout Amour puisqu’il ne peut
casser la branche de la Mort qui touche.
Mais Mort à peine peut
si en cœur d’Amour sa peur meurt.
Mais Mort à peine peut, puisqu’elle ne peut
en poitrine d’Amour entrer sa peur.
Car Mort gouverne Vie ; Amour, Mort.
Avant de rencontrer Macedonio, j'étais un écrivain crédule. Je lui dois surtout de m'avoir appris à lire en sceptique. Au début, je l'ai plagié avec dévotion, reprenant même certaines de ses préciosités stylistiques. J'ai réellement aimé cet homme, jusqu'à l'idolâtrie. La certitude que le samedi, dans un salon de thé du quartier de l'Once, nous entendrions Macedonio nous expliquer quelle sorte d'absence ou quelle sorte d'illusion est le moi, suffisait à justifier toute notre semaine. Il nous suffit de savoir qu'à Buenos Aires dans les années vingt de notre siècle un homme repensa et découvrit certaines choses éternelles. (Jorge Luis Borges)
D'un point de vue philosophique, depuis la plus haute Antiquité, en Orient comme en Occident, le je est un piège. D'un point de vue plus largement spirituel, englobant les conceptions de l'amour qui sont nôtres depuis le fin'amor des troubadours, le moi est l'illusion qui nous conduit à la réification de l'autre, à sa réduction à l'objet. (...) Le corollaire du culte du moi est la sanctification du plaisir et de l'accaparement. L'égolâtre veut tout, tout de suite, à commencer par ce que possède son voisin. La seule égalité est dans l'être, non dans l'avoir. Toute égalité /.../ est impossible sans reconnaître la différence de l'autre. Et l'apprentissage de cette différence se fait dans la douleur, dans le deuil du ìMoi, jeî.
La sieste
Amour et Mystère
à toi, à qui j’ai de l’âme
accordé une si grande part
voudrais-je bien
lorsque ciel et terre guérit
la sorcière
divine lumière enchantée
t’emporter, ivres les deux seins
d’une même véhémence,
feu et feu,
sous les ombres mobiles,
sous la musique idyllique
que du bois
les cimes sonores versent.
Préface à l'éternité
Tout a été écrit, tout a été dit, tout a été fait, entendit Dieu - voilà ce qu'on lui disait alors qu'il n'avait pas encore créé le monde, qu'il n'y avait rien. Cela aussi on me l'a déjà dit, répliqua-t-il peut-être du fond du vieux Néant fendu. Et il se mit à l'œuvre.
Une phrase de musique populaire m'a été chantée par une Roumaine, puis j'ai trouvé dix fois ce motif dans diverses œuvres, chez divers auteurs des quatre cents dernières années. Il ne fait aucun doute que les choses ne commencent pas ; ou qu'elles ne commencent pas quand on les invente. Ou que le monde fut inventé déjà vieux.
Les meilleures possibilités de l'Argentin - la lucidité, la modestie, la courtoisie, la passion intime et le génie de l'amitié - se trouvèrent réalisés chez Macedonio Fernandez, avec peut-être encore plus de plénitude que chez d'autres contemporains fameux. Macedonio était créole, avec naturel et même avec innocence, et c'est précisément pour cela qu'il put faire des plaisanteries sur les gauchos et dire d'eux qu'ils n'étaient qu'un passe-temps pour les chevaux des estancias. (Introduction de Jorge Luis Borges)
Ma présence ici, messieurs, ne nécessite pas d’explications, puisque celle-ci fait défaut, et j’esp^ère que vous serez indulgents envers elle, en considérant qu’elle ne s’est pas produite. Je peux vous démontrer point par point que vous avez frôlé le danger de m’avoir à Córdoba ; et il ne faut pas se fier au fait que je ne suis pas là, comme s’il était facile d’obtenir mon absence, si réclamée, ni s’enorgueillir de ce que “ce monsieur Fernández” ,e se trouve pas à Córdoba, car en cela je ne vous ai dispensé aucune préférence particulière. Aujourd’hui, excepté Buenos Aires, toute ville argentine offre un tel attrait, et je crois même que mon absence s’est étendue à des points de l’étranger, où je ne suis jamais allé, par effet du concept qui, de moi, se diffuse.
... car c'était un personnage du roman, exténué précisément par les efforts de personnage que réclamaient impérieusement la dignité et la gloire de figurer dans un roman si indubitablement sublime. Réduit en cendres héroïques, il finit dans un reliquaire ...
Je fis sa connaissance en février 1921 : elle avait dix neuf ans, était célibataire, employée ; moi, quarante-cinq ans, sans compagne, professionnel ayant abandonné ma profession, aux revenus limités. Je me trouvais chez moi, au 44 rue Libertad, le jour où, accompagnée d’un enfant, elle passa visiter la chambre qui formait un angle avec la mienne, qu’elle occupa seulement quatre jours, après lesquels je devais cesser de la voir pendant plusieurs semaines.