Hier encore, à l'heure de la photocopie, et aujourd'hui, à l'heure du numérique, il était et il demeure frappant de voir, en Chine, nombre d'étudiants copier des heures durant des pages entières de livres dans les bibliothèques ou les librairies. Il est d'ailleurs dommage que les sinologues n'aient pas encore consacré autant d'ardeur à l'étude des copies manuscrites qu'à celle des ouvrages imprimés, comme s'ils sous-estimaient d'emblée la valeur, le rôle et l'importance des copies manuscrites. La survivance de la culture du manuscrit en Chine au moment où l'imprimé se développa n'aurait-elle pas de quoi nourrir notre réflexion actuelle sur la pérennité du livre face au numérique ?
[L]es hiéroglyphes sont assujettis à des contraintes d'orientation très strictes, qui ne s'imposent pas de la même manière dans les images relevant des simples représentations. Ces contraintes apparaissent quand on observe les signes dissymétriques, d'une manère générale, et plus particulièrement les signes représentant des êtres vivants – humains, dieux anthropomorphes et animaux. On constate, en effet, quelles que soient leurs positions dans l'inscription, que leurs regards sont tous tournés dans la même direction, qui est, en principe, celle de point de départ du texte, et donc la direction opposée à celle de la lecture. Car si notre écriture suit nécessairement et toujours le même sens, de gauche à droite, l'écriture égyptienne peut quant à elle se lire en lignes horizontales, de gauche à droite, mais aussi de droite à gauche, et même en colonnes verticales (dont le sens de succession peut varier).
Autrement dit, il y a au moins quatre directions d'écriture possibles, et c'est l'orientation des signes dissymétriques qui indique le sens de lecture d'une inscription : si les êtres vivants portent le regard vers la gauche, il faut lire de gauche à droite, et vice versa !
En Europe, l'islam n'a pas davantage évincé le christianisme que celui-ci avait éradiqué les pratiques païennes ou éliminé le judaïsme. Toutes ces religions peuvent objectivement se prévaloir d'une présence légitime et, en ce sens, aucune ne saurait être considérée comme un "Autre"; toutes font partie intégrante de l'Europe, de notre patrimoine.
En réalité, il y a deux angoisses contradictoires : d'une part, la crainte de la perte, qui fonde la quête des manuscrits anciens par les humanistes, l'impression des textes écrits à la main, les collections des grandes bibliothèques universelles ; et d'autre part, la crainte de l'excès de textes qui les rend illisibles, crainte du désordre des discours pour des lecteurs incapables de se reconnaître dans cette prolifération textuelle.
manière de conceptualiser et de présenter le passé où l’on part des événements qui se sont produits à l’échelle provinciale de l’Europe – occidentale, la plus souvent – pour les imposer au reste du monde
Le langage est l'attribut humain spécifique, le moyen primordial d'interaction entre les individus, la base du développement de ce que nous appelons " culture" et de la façon dont un comportement enseigné est transmis d'une génération à la suivante.
C'est à partir de leur foyer proche-oriental que les trois grands monothéismes que sont le judaïsme, le christianisme et l'islam se sont propagés vers l'ouest, en suivant les deux rives de la Méditerranée. En ce sens l'islam n'est pas plus exogène à l'Europe que le judaïsme et le christianisme : il y est implanté depuis longtemps et y a exercé une influence non seulement politique mais aussi culturelle. C'est d'ailleurs en partie pour se défendre de ses composantes juives et musulmanes, que l'Europe s'est définie comme un continent chrétien.
Repoussés pendant des siècles, les musulmans sont revenus en masse sur le continent, non plus comme envahisseurs, mais comme immigrés. Dans un cas comme dans l'autre, ils ont beaucoup contribué à la civilisation européenne. Par le passé, ils ont stimulé la vie intellectuelle et scientifique, et ouvert la voie à la Renaissance. Aujourd'hui, ils fournissent une part de plus en plus importante de la main d’œuvre dont l'Europe a besoin pour compenser la baisse de sa démographie. Et aujourd'hui, comme hier, les musulmans font indéniablement partie du paysage européen.
J'entends montrer, quant à moi, que non seulement l'Europe a négligé ou minimisé l'histoire du reste du monde, ce qui a eu pour effet de la conduire à une interprétation erronée de sa propre histoire, mais qu'elle a en outre imposé des concepts historiques et des découpages temporels qui ont beaucoup faussé notre compréhension de l'Asie et sont aussi lourds de conséquences sur l'avenir que sur le passé.
L'islam n'a jamais été l'Autre de l'Europe, l'Orient, mais une composante des Européens, qui fait partie intégrante non seulement de notre passé, mais aussi de notre présent, dans la Méditerranée, dans les Balkans, à Chypre, en Russie. Nous devons prendre la mesure de son importance et accepter ce lien, même si son influence a eu une forte coloration religieuse qui peut nous déplaire.